"aimé Amélie, ne prononcez pas adieu pour toujours !"-Je n'en avois pas la pensée: je n'osai pas examiner si je le devois; je ne pouvois envisager ni un retour vers elle, ni la possibilité de m'en séparer. "Eugène, je vous l'ai dit: en mourant, ma mère m'a laissé le por"trait de la vôtre; c'est le seul bien qu'elle m'ait ordonné de conserver. Depuis que je vous aime, il ne m'a 66 86 pas quitté un instant; chaque jour je lui adresse mes promesses de vous "rendre heureux."-Je demandai à voir ce portrait de ma mère, et les larmes me suffoquèrent. Elle! si bonne si douce! qui, avec tant de résignation, disoit sans se plaindre: Pas un jour de bonheur, et je meurs à dix-sept ans! Je m'agitois, ne savois que répéter: "Par qui ma mère a-t-elle tant souffert?"-" Mais moi! Eugène, "reprit madame de Rieux, vous l'avez dit, je ne suis pas coupable." Je ne répondois pas, ne pouvois lui répondre ; je ne pensois qu'à la cruelle légèreté de madame d'Estouteville. Mon silence effraya Athénaïs.-"Eu"gène, me dit-elle, jamais je ne me "serois séparée du portrait de votre "mère;...... si vous devez cesser de "m'aimer, détachez-le vous-même de mon cou, portez-le à votre père; "tandis que, seule ici, j'expierai des "malheurs qu'assurément je n'ai pas " causés." Ses reproches me rendirent à moimême. Moi! cesser de la chérir! Eh! que deviendrois-je? n'occupe-t-elle pas toute mon ame?-Ah! que de ser ments nous fîmes de nous aimer toujours, cependant sans oser prévoir si jamais nous serions-unis! Avec quelle tendresse je l'appelois mon Athénaïs ! Ce nom rassuroit mon ame, calmoit mes craintes, répondoit à toutes les pensées déchirantes qui venoient m'assaillir." Je vais trouver mon père; "dites-moi que vous y consentez. Je l'avouerai, dans ce moment j'irois également si vous vous y opposiez; "cependant il me sera doux que vous "vouliez être bien pour lui."-" Je consens à tout, me répondit-elle, "hors à perdre votre affection.""Bonne Athénaïs !" Je regardai encore le portrait de ma mère ; je l'approchai de mes lèvres avec un sentiment religieux. "Il vous a été "confié, ma chère Athénaïs, gardez-le; "peut-être il nous protègera, nous "inspirera quelque moyen d'être moins "misérables." J'osai la presser contre mon cœur, et je m'échappai pour aller rejoindre mon père. Il étoit nuit lorsque j'arrivai chez mon père. Je le trouvai seul dans ce grand salon. Pas de livres, à peine de lumière, rien autour de lui qui eût pu le distraire. Il étoit visible qu'il avoit passé le jour à réfléchir, à s'inquiéter sur sa situation et la mienne. Lorsqu'il me vit, il leva ses mains et ses yeux vers le ciel, et se détourna pour me cacher son émotion. Pourquoi me la cacher? Avec des droits éternels à ma reconnoissance, fort de ses intentions, de sa bonté, il a cru sans injustice pouvoir prétendre à me subjuguer. Hélas! il eût mieux valu pour tous deux |