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salut en riant aussi.-" Jamais? lui "dit-il avec l'air du doute."-" Moins

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que jamais, répondit-elle d'un ton "très-positif.”— Nous verrons, reprit❝il en secouant la tête." Il alla parler à une autre femme, et elle recommença à causer avec moi.

Son intimité apparente avec ce jeune homme me déplut: je ne sais pourquoi je me croyois le sujet de ces mots mystérieux.-" Votre père vous a-t-il dit que "nous étions un peu parents?”—“ Ja"mais," répondis-je à mon tour, d'un air que je m'efforçai de rendre bien fin, quoique je n'attachasse aucune importance à l'oubli qui avoit empêché mon père de me parler d'elle. Aussi quelle fut ma surprise lorsqu'elle me répondit tristement : "Je le crois, je m'en "doutois.......

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-"Comment, vous le

croyez, m'écriai-je? Et pourquoi ?”

"Ah! les intérêts de famille ont une "gravité qui ne convient pas au bal. "Voulez-vous walser?" Je la suivis, la tenant dans mes bras, tournant dans cette chambre avec elle, partageant sa gaieté; car la walse russe est si vive, qu'elle ressemble un peu à la folie: j'éprouvois un sentiment de joie, de bonheur que je n'avois jamais connu. Si l'on m'eût dit que je voyois madame de Rieux pour la première fois, je ne l'aurois pas cru; si l'on m'eût averti de craindre l'avenir, je me serois moqué de l'avenir et de la prévoyance. La walse finie, je ne quittai pas madame de Rieux de la soirée.-"Quel âge avez-vous, "me dit-elle ?"" Sommes-nous bien

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proches parents, lui répondis-je.""Non, pas assez pour nous aimer ni nous "haïr."--"Mais au moins assez pour 66 que vous consentiez à me recevoir."

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"Oui...... nous nous chercherons par égard," reprit-elle d'un air doucement "avec indifférence." En

moqueur,

prononçant ces derniers mots, il y avoit sur son visage: Moi, cela n'est pas douteux; mais vous, nous verrons!

Je la ramenai jusqu'à sa voiture, et revenu chez moi, je me croyois encore au bal. Je voyois madame de Rieux sourire, me regarder; un souvenir de musique, de danse, charma ce moment qui précède le sommeil, et je m'éveillai si content, si gai, que j'aurois craint d'ajouter un sentiment à l'impression légère qui m'étoit restée.

CHAPITRE XIV.

JE me rendis chez la maréchale: elle n'étoit pas encore dans le salon; il y avoit beaucoup de monde, mais point de femmes. C'étoit un jeudi, jour où elle invite toutes les personnes distinguées par un mérite quelconque. Les rangs s'y trouvoient réunis sans être confondus; l'homme de lettres cherchoit à plaire, le grand seigneur à obliger. Toujours attentif à s'oublier soimême, toujours empressé à faire valoir les autres, il sembloit qu'à ces jeudis le grand moi étoit effacé. Je crois bien qu'on le retrouvoit en sortant; mais au moins chez elle il ne se faisoit jamais

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La maréchale parut, suivie de madame de Rieux. Qu'il a de charmes, ce premier penchant du cœur, ce goût qui porte l'un vers l'autre sans aimer encore, sans se demander même si l'on . s'aimera jamais!

Je ne me suis pas aveuglé: madame de Rieux n'avoit fait qu'un pas dans la chambre, qu'elle m'avoit déjà salué d'un regard, et que tout l'attrait de sa personne et la grace de sa parure m'avoient enchanté.

La maréchale parla à tout le monde en allant à sa place. Madame de Rieux la suivoit, disant aussi ses petits mots obligeants à chacun. Lorsqu'elle fut près de moi, elle me regarda sans me parler: je lui en sus gré; ce n'étoit pas me traiter comme un autre.

Je saluai madame d'Estouteville avec un profond et véritable respect.-" Au

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