Page images
PDF
EPUB

laisser à Paris. Nous convînmes de dire qu'il étoit allé passer quinze jours dans ses terres. Son absence ne devoit durer que six semaines; mais si elle se prolon geoit, je lui promis d'aller le joindre aussitôt que mes forces me le permettroient.

Au moment de son départ, mon père me donna beaucoup plus d'argent que je ne devois raisonnablement en désirer. "Mon enfant, me dit-il, "ne contractez jamais de dettes: je "sais qu'à votre âge tous les enga

[ocr errors]

gements sont nuls, mais votre pa"role me seroit sacrée. Oui, mon fils,

[ocr errors]

ajouta-t-il en élevant la voix, vous "n'avez point de frère, point de sœur

66

qui partage mes devoirs et je puis "tout sacrifier à ce que j'appelle le vé"ritable honneur. N'oubliez donc point

66

que je languirai, souffrirai dans ma

[ocr errors]
[ocr errors]

vieillesse, si votre jeune âge a été in"considéré. A mon retour, je vous ferai "connoître ma fortune; c'est vous qui jugerez ce que je puis accorder à vos "besoins, à vos habitudes. Vous êtes "mon ami." Que j'étois ému! Je pris ses mains dans les mienne. "Mon

[ocr errors]

"père, s'il est vrai que je sois votre ami, "parlez à votre fils; vous avez eu des peines; mon cœur vous plaint, vous 66 approuve d'avance; chacune de vos paroles m'inspirera vos sentiments. Il 66 me consolera, vous l'avez dit. Eh! de

[ocr errors]

66

quel autre que moi pouviez-vous par"ler?""Ce mot vous a fait une grande "impression, me répondit-il tristement. "Je n'ai point de peine, mon fils, ou il "me seroit douloureux de les confier." Je serrai mon père dans mes bras, le pressai contre mon cœur; j'espérois briser cette glace qui nous séparoit. Mon père

[ocr errors]

me repoussa doucement, mais il me repoussa. S'il avoit su que de sa confiance dépendoit toute la mienne!....Pourquoi m'a-t-il appris qu'il pouvoit y avoir entre nous des réserves impénétrables? Quel mal il me fit, lorsque, reprenant toute la sévérité de sa raison, je l'entendis me dire froidement :-"Croyez, mon fils, que "je sais mieux que vous ce qu'il est bon "de vous taire, ou de vous apprendre." En. s'en allant, mon père m'embrassa. Il me quittoit pour la première fois, et j'avois besoin d'être seul, de m'abandonner au regret que j'éprouvois. Il me sembloit avoir perdu un ami que je n'avois fait qu'entrevoir; je le regrettois d'autant plus que, comme père, il étoitincomparable.

CHAPITRE XII.

Le lendemain du départ de mon père je me trouvai bien isolé dans sa grande maison. L'émotion que j'avois éprouvée la veille n'étant plus si vive, le souvenir de ses bontés reprenoit toute sa force; je devins plus triste encore lorsqu'on me demanda les ordres que mon père donnoit toujours. Ces mots si simples, Monsieur dinera-t-il seul? me troublèrent. Que je plains celui qui jouit du premier moment où il se trouve et maître et seul chez lui! Sa jeunesse n'a sûrement pas été environnée de bienveillance et d'amour.

Ne pouvant m'occuper, j'allai me

promener dans la campagne; plus calme, je m'étonnois de l'impression que ce refus de mon père m'avoit causée. N'étoit-il pas maître de ses secrets? La veille, je n'avois jugé que mon père; lui absent je n'examinai que moi. Cependant je pensai à la conduite qu'à sa place j'aurois eue avec mon fils, et je me promis que mes enfants n'apercevroient jamais s'il y avoit dans mon ame des points où ils n'arrivoient pas. Tout en marchant je fis de beaux plans pour leur éducation, mais je revenois toujours à l'objet qui m'avoit blessé ; c'étoit l'article de la confiance, que je discutois avec moi-même. Obligé de m'avouer que jeunesse est indiscrète, inconsidérée, je ne pensois qu'à devenir meilleur, à devenir si parfait pour mon père, qu'il pût me bénir tous les jours de sa vie. A ma dernière heure, me di

la

« PreviousContinue »