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jamais je ne me permettrai une plaisanterie qui puisse affliger un imbécile que je plains, un sot qu'il vaut mieux éviter, ou un homme de mérite dont l'embarras devroit me faire rougir.

CHAPITRE VIII.

JE dormis fort tranquille; c'étoit la première fois depuis cette sotte affaire. Le lendemain, je reçus mes camarades très gaiement; ils purent rire de moi, devant moi et avec moi tant qu'ils voulurent; dès-lors ils n'y pensèrent plus. C'est ainsi qu'en vivant avec les hommes, si je ne me corrigeois pas de mes défauts, au moins évitois-je les leurs; c'est déjà quelque chose. Lorsque je fus rétabli, j'allai chez le commandant de la płace. C'étoit un homme très rude, avec un fort bon cœur: il étoit né si impétueux que ses moindres goûts paroissoient des passions. Ne parlant de choses indiffé

rentes qu'avec des expressions exagérées, c'étoient des amplifications toutes au superlatif; mais il se craignoit tellement lui-même, qu'on sentoit qu'il s'échauffoit à mesure que sa voix s'affoiblissoit, et qu'il commençoit à se servir. d'expressions simples. +

"Ecoutez-moi, jeune homme, me dit-il j'avois votre âge lorsqu'on m'en

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voya pour la première fois à Nancy "où étoit mon régiment. C'est une jo"lie ville que Nancy: il y avoit alors "une femme de trente-six ans qui me parut charmante; entendez-vous ?"

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Il avoit en même temps des yeux terribles, et charmante tenoit bien plus de pláce dans sa bouche que dans celle d'un autre.

"Ma jeunesse la frappa; je cherchai " à lui plaire, je réussis, et je me crus "heureux; entendez-vous, heureux ?”

-Toute la chambre retentissoit de ce

mot heureux.

"Au bout de quelques jours, je crus " apercevoir qu'un monsieur de la ville ❝ venoit chez elle plus souvent que les "autres.... Il s'avisoit de me traiter avec

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protection..... de me sourire lorsque “ j'arrivois..... Cela me déplut. C'étoit une connoissance ancienne, me disoit"elle: je le savois : mais elle avoit été "nouvelle une fois, et c'est de cette époque que je m'inquiétois..... je son

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geois à tout cela, regardois ce mon"sieur fort en noir, répondois à peine "à cette dame, lorsqu'un matin que

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j'étois chez elle il y arrive, et lui pré"sente un petit bouquet d'un air si mignard que j'entre en fureur........ "Il avançoit la main; je fais sauter en "l'air son bouquet, son chapeau, et lui propose de passer par la fenêtre.

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"dame tombe sans connoissance; je 66 sors avec lui, nous nous battons, "et je le tue oui, monsieur," me, dit-il en me prenant le bras à me le casser, "je l'ai tué! un brave homme, "un honnête homme, à qui personne "n'avoit peut-être jamais dit un mot 'plus haut que l'autre de sa vie. Je "l'ai tué........!"-Le pauvre commandant fit un tour dans la chambre en essuyant ses yeux mouillés de larmes ; il vouloit que je crusse à ses regrets, et cependant il étoit embarrassé de ses larmes comme d'une foiblesse. Bon et brave homme ! Il me dit en se rapprochant de moi: "Je me désespérois au

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près de ce corps mort: ma mère, qui "étoit pieuse, m'avoit toujours dit qu'il

y avoit un ciel et un enfer; Dieu sait "où ce pauvre homme étoit allé. Je "m'échauffe, m'indigne contre moi

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