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l'empire sur toi-même, je suis ton ami."

Ah! dans ce moment mon père auroit pu m'ordonner les sacrifices les plus pénibles, j'aurois été heureux de lui obéir.

CHAPITRE V.

QUELLE nuit je passai après cette conversation de mon père! comme elle avoit élevé mon ame! Avec quelle exaltation je me promettois d'être digne de ce titre d'ami qui sembloit m'ouvrir une nouvelle existence! J'avois acquis toute la force quim'empêchoit de douter de moi-même. Par la suite j'admirai mon père d'avoir essayé mes premiers efforts contre un attachement qui n'étoit qu'un simple goût, qui me laissoit tout l'honneur d'avoir triomphé, sans que le combat eût été trop pénible. Je me crus de l'expérience; et, comme une chose facile, je' me dis que la vie pouvoit être soumise

à la volonté. La première fois qu'on se croit son maître, commander à soi-même, commander aux autres, c'est toujours commander; je me crus vainqueur, et je m'estimois.

J'allai reporter à Agathe la passion d'être bon, généreux, dont mon père avoit rempli mon ame. Elle m'écoutoit les yeux baissés: je n'eus pas la force de lui parler de son mariage; mais je lui peignis la joie de soigner sa mère, d'avoir de l'aisance, de faire du bien. J'appelai Louise; je lui dis que sa fille étoit décidée. Agathe soupira, mais ne me démentit point.- Dès le lendemain mon père fit tous les arrangements nécessaires pour son mariage. A mon tour, je devins triste, et fus au moment de maudire Louise, lorsque nous amenant son gendre et sa fille, elle me dit: "Je n'ai plus qu'un désir,

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"c'est que Dieu vous donne une bonne ❝ femme, un bel enfant, et qu'Agathe en "soit la nourrice."-" J'en aurai bien

"soin, dit la pauvre fille ;" puis elle me regarda et reprit: "j'en aurois plus de ❝ soin que des miens!"

Pauvre Agathe! elle ne devinoit pas l'amour maternel, et sentoit encore notre jeune et douce affection. Mon père les combla de biens: en partant, Agathe me jeta le dernier regard d'amour; j'y répondis par un soupir, dernier soupir de regret et d'amour!

CHAPITRE VI.

NON seulement mon père avoit surmonté cette légère inclination, mais il en avoit profité pour me rendre meilleur. Cependant il craignit que la solitude de sa terre ne m'attristât, et crut qu'il falloit à ma jeunesse une vie plus active. J'avois atteint l'âge d'entrer au service; mon père m'envoya au régiment.

Avant mon départ il me parla, pour la première fois, de la retraite dans laquelle il m'avoit élevé. "J'ai renoncé "au monde, me dit-il, pour me con"sacrer à votre éducation, n'admettant "chez moi que les personnes qui pou"voient vous instruire. On m'a accusé

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