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EUGENE

DE ROTHELIN.

CHAPITRE PREMIER.

JE venois d'avoir vingt ans lorsque mon père me ramena à Paris, après m'avoir fait voyager avec lui pendant trois ans pour terminer mon éducation. Avant d'entrer dans le monde, il chercha à me faire connoître les différentes personnes chez lesquelles il vouloit me conduire.

"Nous irons aujourd'hui chez ma"dame de Senecey, me dit-il; c'est une "femme de grande vertu, d'un esprit su

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périeur, capable des procédés les plus "généreux, mais qu'on ne peut s'empê"cher de craindre." Ce sentiment, si contraire à l'éloge qu'il en faisoit, m'étonna. Quoique assez accoutumé à prendre sans examen les impressions que mon père vouloit me donner, je lui demandai comment des qualités si essentielles pouvoient produire un aussi triste résultat. Elle voit beaucoup de monde,

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me répondit-il; chaque soir elle écrit "tout ce qu'elle a entendu dire dans la journée, le bien et même le mal; on ne l'ignore pas aussi chez elle le plus

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sage est gêné; il semble qu'en y arri"vant chacun se pose devant une glace, "d'où il ne se perd pas ne se perd pas de vue."

Mon père, accoutumé à diriger mon esprit, m'amena à penser que cette habitude, un peu inquiétante pour les autres, seroit fort utile pour soi; qu'un

jeune homme qui écriroit, sans rien omettre, ses actions, ses sentiments, les motifs qui l'ont entraîné, deviendroit nécessairement meilleur.

J'allois jouir de ma liberté, commencer une existence nouvelle, et, charmé par l'idée de retrouver un jour toute ma vie, je résolus d'écrire.

Cependant je souriois d'avance à la contrainte que j'allois m'imposer; car j'entrevoyois fort bien qu'un censeur qu'on ne peut ni tromper, ni séduire, ni quitter, devoit quelquefois être assez incommode.

CHAPITRE II.

Mon père pensoit qu'il suffit d'imprimer fortement dès l'enfance une vertu quelconque, pour que par la suite toutes les autres viennent s'y. réunir, lors même qu'elles auroient été oubliées.

Un grand respect pour sa parole lui paroissoit la base de tout honneur, de toute considération parmi les hommes; ce fut donc celle de mon éducation. "Ne

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manquez jamais à votre parole, mon "fils," me disoit-il sur tous les tons que la voix peut employer pour arriver à l'ame. Au milieu de mes jeux, après mes fautes, dans nos raccommodements, il me rappeloit cette fidélité, me la pres

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