Page images
PDF
EPUB

même un amour partagé ne pourront vous faire oublier. Jardin d'Agathe, vous ne serez plus si près du château, mais vous aurez encore une place dans le parc. Un sentier détourné, solitaire, me conduira vers vous: ce n'est point avec des regrets que j'irai vous chercher. Amour pour Agathe, vous n'eussiez pas rempli ma vie; mais j'irai penser à vous avec charme, et comme on se rappelle ces beaux jours qui n'ont eu ni veille ni lendemain.

Que de preuves d'amour j'avois déjà données à Agathe sans qu'elle les distinguât, et sans me douter que je l'aimois! Mon père en se promenant s'efforçoit de paroître gai, mais j'apercevois sa préoccupation. Il revint chez Louise.-Par "quel hasard, lui dit-il, n'avois-je jamais vu Agathe ?-Elle étoit chez ma mère.-Depuis quand est-elle

"revenue Depuis trois mois. Il "faudra bientôt songer à la marier.”— En disant ces mots mon père me regarda, et j'éprouvois un embarras inexprimable. -"Qu'elle soit sage, dit mon père, et "je la doterai."-Ce qu'elle soit sage fut accompagné d'un regard si sévère, qu'Agathe baissa les yeux comme si elle avoit su ce que c'étoit qu'être coupable.

En rentrant au château il s'arrrêta près du petit jardin que j'avois fait sous mes fenêtres. Il regardoit chaque plante avec un triste étonnement, et sembloit se dire:

"Depuis quand son ame m'est-elle échappée ?"-Ah! pères, mères, qui prétendez connoître vos enfants, lorsque vous leur verrez un goût nouveau, n'ayez aucun repos que vous ne sachiez ce qui l'a fait naître. Si mon père avoit cherché pourquoi je préférois un vilain petit carré de terre aux jolis bosquets de son

parc il auroit su qu'il y avoit près de là une Agathe de seize ans, qui pourroit bien inspirer à son fils ce qu'on appelle

amour.

CHAPITRE III.

MON père résolut de marier Agathe, et de l'éloigner de moi. Le lendemain, à déjeûner, il me remit plusieurs papiers qui devoient m'occuper toute la matinée; et dès qu'il m'eut établi à son secrétaire, il alla chez Louise. J'ai su depuis qu'il lui avoit proposé de donner à Agathe une ferme considérable, si elle vouloit épouser le fils d'un de ses fermiers. Louise accepta avec joie, promit la main de sa fille, et mon père revint au château.

Pendant le dîner, il me dit qu'il avoit passé la matinée à s'occuper de mes amis.-Je le regardois avec inquié

tude. -"Oui, vous aimez Louise, "c'est une brave femme; j'ai assuré son "sort, celui de sa fille, par un bon ma"riage; elles seront très heureuses..... "Vous devez être content..... J'ai fait 66 ce que vous auriez dû faire.-Je n'a"vois pas de dot à donner à Agathe, répondis-je en rougissant. Mon

[ocr errors]

66

66

ami, reprit mon père, j'aurai toujours soin du bonheur de ceux qui "vous seront chers; ainsi une autre fois, 66 ne formez pas de liaisons sans m'en parler. Si j'avois connu votre amitié

6.6

616

pour Agathe, j'aurois déjà trouvé

"mille manières de lui être utile."Jamais mon père ne m'avoit paru aussi bon, et cependant jamais je n'avois été aussi malheureux..

Aussitôt après le dîner j'allai chez Louise je trouvai Agathe dans le petit jardin; elle pleuroit: je m'assis

« PreviousContinue »