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ce que les eftoiles lumineufes font fur les voiles de la nuit. Et c'est ce que j'ay tafché de faire fentir.

La plus grande difficulté que j'aye trouvée dans cet Ouvrage, c'eft lorfqu'il a fallu détailler les combats & expliquer les differents ordres de bataille des Anciens. Il eft tres- difficile qu'un Escrivain qui n'eft pas homme de guerre, & qui n'a jamais fervi, s'exprime proprement & convenablement fur un art qu'il ne connoift point & qu'il n'a jamais profeffé, & je me fouviens fur cela d'une Hiftoire qui me fait peur. La voicy: Annibal ayant efté chaffé de Carthage, & eftant obligé d'aller chercher un asyle à la Cour d'Antiochus, arriva à Ephese. Les Ephefiens avoient chés eux un Philofophe Peripateticien, nommé Phormion, qui avoit une reputation tres-grande. Ils crurent ne pouvoir mieux regaler ce grand Capitaine, qu'en luy faisant entendre Phormion. Ils luy propoferent d'aller à fon auditoire, ce qu'Annibal accepta tres volontiers. Ils le menent donc avec un grand concours de peuple. Le Philofophe fit un difcours de plufieurs heures fur le devoir du General d'armée, & fur tout l'art de la guerre. Les Ephefiens charmés demanderent à Annibal ce qu'il penfoit de leur Philofophe. Annibal s'expliquant affés mal en Grec,mais avec une franchise digne de luy, dit qu'il avoit bien veu en fa vie des vieillards radotter, mais qu'il n'avoit jamais veu un plus parfait radotteur que leur Philofophe. En effect quelle arrogance, & quelle démangeaifon de babiller dans ce Grec qui n'avoit jamais veu l'ennemi, ni mefme un camp, & qui toute la vie avoit efté efloigné de toute fonction publique, de se mesler de parler de l'art de la guerre

devant Annibal, qui avoit difputé tant d'années l'Empire aux Romains vainqueurs de toute la terre!

Plutarque n'eftoit pas plus homme de guerre que moy, mais il eftoit feur de bien parler, parce qu'il ne faifoit que rapporter les propres termes des grands hommes qu'il copioit. Il avoit pour garants Thucydide, Polybe, Xenophon, & autres grands Capitaines, dont il lifoit les memoires,ainfi il ne s'expofoit point au ridicule de Phormion. J'ay cherché à l'éviter dans tout ce qui eft de nos usages, car j'ay tasché de m'inftruire dans nos meilleurs Efcrivains,qui ont efcrit de la guerre, & dans la conversation de plufieurs Officiers de reputation. Mais il y a bien des chofes où je n'ay pu trouver aucun fecours, fur tout lorsqu'il a fallu faire pasler en nostre Langue des termes que nous ne connoiffons pas, & des ordres de bataille, que perfonne n'a expliqués, ce qui eft une difficulté très grande. J'aurois bien pu me contenter de dire la chofe litteralement fans l'expliquer, & cacher ainfi mon ignorance fous un filence orgueilleux, qui auroit pu paffer pour science; mais je me fuis fait une loy d'expliquer tout, ou de dire franchement ce que je n'entends point. Voicy deux endroits qui m'ont fait le plus de peine.

Le premier eft dans la vie de Pelopidas, tom. 111. pag. 129. où Plutarque defcrit l'ordre de bataille des Thebains à la fameuse journée de Leuctres: 11 dit qu'Epaminondas tira du cofté de fon aile gauche fa phalange eftenduë en escharpe, ou en biais, paraga rožké. Tous les Traducteurs fe font fort mal tirés de ce paffage, & n'ont rendu ni la lettre, ni le fens. Et moy j'ay voulu, non feulement traduire la lettre, mais en donner auffi l'explication

l'explication dans ma remarque où je fais voir qu'Epaminondas, avec fon aile gauche fortifiée d'une partie de fa phalange en biais, tomba fur l'aile droite des Lacedemoniens, commandée par le Roy Cleombrotus. Cela ne fuffit pas encore pour la parfaite intelligence de ce paffage, & j'ay cru qu'il eftoit neceffaire de le mettre fous les yeux,par un petit plan. Je me fuis donc hazardé à en faire un, & j'ay eu le plaifir de voir qu'il eft conforme à celuy qu'en avoit fait M. le Chevalier de Follard, Officier tres-habile, qui a fervi long-temps, qui a donné en plusieurs occafions des marques de sa cité & de fon courage, & qui a fort estudié la milice des Anciens. Le voicy:

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LLL L'armée Thebaine. A La phalange en efcharpe. B Aile droite de Cavalerie. C Aile gauche d'Infanterie. D Bataillon facré. E Cavalerie de l'aile gauche.

MM M Armée de Lacedemone. F Phalange. G Cavalerie de l'aile gauche. H Aile droite. I Cavalerie de la droite.

Tome I.

Sur ce plan, quoy que groffierement fait, on voit fans peine comment Epaminondas marchant avec son aile gauche, fortifiée par fa phalange en efcharpe, tomba fur l'aile droite des Lacedemoniens, qui furent obligés de s'efloigner de leurs alliés, & qui ne purent la fouftenir, parce qu'ils avoient diminue de leur hauteur pour déborder les Thebains, & que ceux-cy profiterent de ce moment pour les charger.

L'autre eft dans la vie de Philopomen, pag. 434. du mefme volume, où Plutarque dit que les Achéens n'eftoient pas accouftumés à l'ordonnance qu'on appelle Spirale, & qu'ils ne fe fervoient que de la phalange, ou bataillon carré. C'est ce que perfonne n'a expliqué; j'ay voulu le faire dans ma remarque, & j'ay dit que c'eftoit une ordonnance par bataillons feparés, ou par cohortes feparées avec des intervalles. Le mefme M. le Chevalier de Follard m'a fait voir que j'avois raison, mais qu'il falloit adjoufter que les cohortes eftoient placées vis à-vis des intervalles de celles qui les précedoient, comme dans cette figure, où l'on voit pourquoy cette ordonnance eftoit appellée Spirale,

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Les vers que Plutarque a cités, je les traduis en profe,parce qu'il n'y a rien de plus infupportable dans noftre Langue, ni qui vieilliffe fi-toft que des vers mediocres; mais quand mefme j'en pourrois faire de fort

bons, je ne fçai fi je traduirois ces endroits-là en vers, à caufe de la grande difficulté, ou, pour mieux dire, de l'impoffibilité qu'il y a de conferver dans noftre poëfie ce gouft fimple & antique qui fait la plus grande beauté des vers Grecs. Ciceron l'a fait quelquefois fort heureusement dans fes Ouvrages, & quelques Poëtes Latins avant luy l'ont fait auffi avec beaucoup de fuccés dans leur poëfie, mais la richeffe de leur Langue les a bien fervis, & nous ne fçaurions faire dans la noftre ce qu'ils ont fait dans la leur. Il eft certain qu'Amiot ne l'a pas fait, fes vers font le fupplice des oreilles, & ceux de M. de Meziriac ne font gueres meilleurs. Ces lambeaux d'or & de pourpre deviennent dans leur poëfie des chiffons de bure qu'on ne peut voir fans dégouft.

pas

Je conferve les anciens noms des peuples, des dignités, des charges, parce que les noms d'aujourd'huy n'y refpondent point du tout, que c'eft traveftir les anciens que de les habiller ainsi à la moderne, & qu'il n'eft pas poffible de conserver la veritable idée des chofes avec ce changement de noms. On avoit porté mesme mon fcrupule jufqu'à balancer fi je ne conferverois les noms des mois Grecs & la maniere de dater des Romains par nones,ides & calendes,comme M. de Meziriac prétend qu'on doit le faire, & comme il l'avoit fait luy-mesme`dans fa traduction. Mais aprés avoir veu l'effect que ces dates eftranges & ces noms Pyanepfion, Maimacterion, Pofeideon, faifoient dans une traduction Françoise, au lieu de Novembre, Decembre, Fanvier, j'y ay renoncé, & je me fuis contenté de les rejerter à la marge avec ces dates qui ne font remarquables

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