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j'en ay actuellement un autre entre les mains qui demanderoit un des plus fçavants hommes & des plus confommés dans la Philofophie & dans la Politique. C'est la traduction de la Republique & des Loix de Platon, & des Politiques d'Ariftote, dont j'efpere de faire un corps de politique entier & parfait, où l'on verra le bon & le mauvais de tous les Gouvernements, & les caufes de leur décadence & de leur durée. A mon âge, je ne puis gueres efperer d'avoir le temps de finir des Ouvrages filongs, fi confiderables, & qui demandent de fi profondes meditations, mais je feray ce que je pourray, & j'auray du moins la confolation de finir mes jours dans une occupation utile, & digne d'un homme de bien. Quelqu'un a dit que c'eftoit un beau fuaire que la Tyrannie, mot horrible; & moy je dis que le plus beau & le plus honorable de tous les fuaires, c'est un travail entrepris pour le bien public. La moiffon eft fi riche, & il fe prefente tant de chofes neuves qu'on pourroit donner & qui feroient tres-utiles,que j'ofe dire que rien ne marque davantage la difette où l'on eft aujourd'huy de gens fçavants & habiles que cette infinité d'ouvrages frivoles que l'on donne tous les jours au Public au milieu de tant de chofes excellentes qu'on pourroit faire, & qu'on neglige.

Ce n'est donc point faute d'occupation,ni pour m'emparer de terres desja occupées, que j'ay travaillé fur Plutarque. J'ay entrepris ce travail, parce qu'il m'a paru qu'il n'y en avoit pas de plus utile, ni dont on euft un plus grand befoin.

Il est temps prefentement de rendre raison de la conduite que j'ay fuivie dans la traduction & dans les

remarques.

La premiere chofe qu'il faut faire pour parvenir à donner une bonne traduction, c'eft de bien eftablir la verité du texte, & c'eft ce qu'on ne peut faire qu'en le corrigeant ou par des conjectures feures & bien fondées, ou par le fecours des manufcrits. J'ay eu recours à ce dernier moyen, M. Salvini, auffi officieux que fçavant, a eu la bonté de m'envoyer fur plufieurs vies les diverfes leçons d'un excellent manufcrit de la biblio theque du Grand Duc. M. de la Grive, jeune Medecin tres-fçavant en Grec, m'a communiqué une collation fidelle&exacte qu'il a faite de plufieurs autres de ces vies fur un tres-bon manuscrit de la bibliotheque de feu M. le Chancelier Seguier,& qui eft aujourd'huy dans celle de S. Germain des Prez, entre les mains de ces fçavants Religieux qui nous ont donné & qui nous donnent encore tous les jours de fi beaux Ouvrages, & des Ouvrages fi utiles aux Lettres & à la Religion. J'ay consulté auffi un manufcrit de la bibliotheque du Roy, & les diverses leçons qu'on a ramassées à la fin des éditions in folio. Dans les endroits où ces manuscrits ne m'ont rien fourni pour la reftitution des paffages alterés, ou corrompus, j'ay corrigé le texte fur les autorités des Auteurs mefme que Plutarque a fuivis, & qui font plus fains & plus corrects, ou par des conjectures qui paroiftront vrayes, ou du moins tres-vrayfemblables. Je puis affeurer qu'il y a une infinité de paffages corrigés. C'eft une chofe eftonnante qu'un texte auffi important que celuy de Plutarque, ait efté laiffé dans le defordre où il eft dans toutes les éditions, & qu'on ne se soit appliqué à en donner une édition p'us exacte & plus correcte. Età propos des manuscrits, je diray qu'ils font

pas

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fouvent tres-utiles pour reformer des textes corrompus, mais il ne faut les fuivre qu'avec choix. Les Copiftes ont fouvent fommeillé & fait des fautes confiderables. C'est mesme de là que font venuës les fautes des imprimés. Ainfi il faut fe fervir de fon jugement, & ne recevoir que ce qui eft clair & indubitable. C'eft ce que j'ay obfervé autant que je l'ay pu. Je n'ay pas advertí de tous les changements que j'ay fuivis, ma traduction le fera affés entendre à ceux qui liront l'original, car elle monftre évidemment les leçons que j'ay embraffées, & je me flatte qu'elle pourra fervir à ceux qui entreprendront de donner une nouvelle édition Grecque de cet Auteur.

Plutarque n'eft pas recommandable par la maniere d'efcrire; fon ftyle eft dur & embarraffé; c'est un compofé de plufieurs fortes de styles, car il employe ordinairement les termes & les phrases des Historiens dont il emprunte les faits, & des Philofophes dont il employe les fentiments. De là vient qu'il n'a point de ftyle uni, qu'il ne fuit ni mesure, ni regle, & qu'on trouve dans les efcrits un meflange divers qui n'a aucune conformité; on pourroit le comparer à ces anciens bastiments, dont les pierres ne font ni polies ni bien arrangées, mais bien affifes, & ont plus de folidité que de grace, & reffentent plus la nature que l'art. Dans ce qui eft de luy, il n'a prefque aucune des graces de fa Langue, il neglige le nombre & l'harmonie, il ignore, ou recherche la beauté de l'arrangement, & n'a nulle regle pour fes periodes, mais toutes les paroles font pleines de fens; c'eft dans le bon fens que fa plume eft tousjours trempée; il a beaucoup de force &

peu

de gravité, & il égale ordinairement la grandeur & la profondeur de fes penfées par le poids de fes termes.

temps,

Dans la traduction je tasche de conserver toute la force qu'il a,& j'aurois bien voulu pouvoir luy donner les agréments qui luy manquent. Je fepare, & je renverfe mefme fes periodes, quand elles font trop embarraffées, ou que le genie de noftre Langue ne s'accommode pas de l'ordre qu'il a fuivi. Je fupplée quelquefois à fon texte la fuite de quelques citations, dont il ne rapporte qu'un mot, parce qu'elles estoient connuës & familieres de fon temps, mais qui ne le font pas du noftre; j'adoucis des images trop fortes & trop libres, que la chasteté de noftre Langue ne pourroit fouffrir; pour donner plus de jour à ce qu'il a laiffé dans une trop grande obfcurité, ou qui eftoit clair de son & ne l'eft plus du nostre, j'ay adjousté quelquefois au texte quelque mot. C'eft eftre trop idolatre de fon original que de n'ofer y rien adjouster pour une plus grande clarté & que d'aimer mieux le laiffer dans fon obfcurité, que de l'efclaircir par l'addition de quelque terme, qui met le Lecteur au fait, & qui l'inftruit de ce que le texte ne luy apprend pas affès clairement. Ce n'eft pas un vice que d'adjoufter au texte ce qui est neceffaire, foit pour la clarté, foit pour la grace, ou pour la force; mais c'en est un que d'y adjoufter fans neceffité & mal à propos, comme Amiot l'a fait tres-souvent. Je n'ay pas fait difficulté d'employer quelque expreffion qu'il m'a paru que l'Académie accufoit peut-eftre trop legerement de vieillir. C'est servir la Langue que de ne pas fouffrir qu'on l'appauvriffe en la privant de certaines façons de parler naturelles, dont les anciens

Efcrivains fe font fervis, & qui n'ont contre elles que le vain reproche, qu'on n'en Îçauroit rendre aucune raifon. Combien en avons-nous de cette forte qui font pourtant tres-Françoifes? Noftre Langue eft fur tout capricieufe en une chofe, c'eft qu'elle prend fouvent plaifir à s'efloigner de la regle, & l'on peut dire que louvent rien n'eft plus François que ce qui eft irregulier. Autre chofe eft parler François, & autre chose parler felon les regles de la Grammaire. L'Usage est un Tyran, & rien ne bleffe tant un Tyran que de ramener à la regle ce qu'il en a tiré ; mais en cela il faut ufer d'une grande prudence pour bien diftinguer les regles invariables, qui font le fondement de la Langue, & dont on ne fçauroit s'efcarter fans faire une faute, & les regles auxquelles l'usage a dérogé. Enfin je cherche particulierement la netteté, l'élegance, & la naïveté, qui seule, comme l'a fort bien dit Vaugelas, est capable de couvrir beaucoup de défauts, & peutestre mefme d'empefcher qu'ils ne foient des défauts. Et il y a des occafions où je facrifie à la force, & à la brieveté du difcours un foin trop fcrupuleux des termes; mais avec tout cela, je m'efloigne fi peu de l'ori ginal, que j'ofe affeurer qu'il n'y a point de traduction plus fidelle ni, plus litterale.

Je ne dois pas oublier icy une chofe qui donne beaucoup de grace à quelques endroits de Plutarque. C'est que fouvent il mefle dans fon difcours des mots & des paffages des Poëtes sans en advertir, & ce sont comme autant de fleurs qui émaillent fes efcrits d'une varieté charmante, ou pour parler plus poëtiquement encore, comme des lumieres brillantes qui font sur son style

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