Page images
PDF
EPUB

estendu fur les premieres, & n'en pardonne aucune mais il n'a pas relevé toutes les autres. Il luy eft mefme fouvent arrivé de faire les mefmes fautes qu'Amiot, & quelquefois auffi d'en reprendre d'autres qu'Amiot n'a pas faites, & où ce Cenfeur s'eft luy feul trompé.

Par exemple dans la vie de Thesée, vol. 1. pag. 9. il accuse Amiot de n'avoir pas entendu le Grec, parce qu'il a traduit qu'Egée reconnut & avoua Thefée pour fon fils, au lieu qu'il devoit traduire, qu'il l'adopta. Car, dit-il, Egée n'avoua pas feulement Thesée, mais en outre l'adopra; mais c'eft luy qui fe trompe, & Amiot a mieux parlé sa Langue que luy. On n'a jamais dit qu'un prince qui a un fils naturel, l'adopte pour le reconnoiftre & le legitimer. Il fuffit qu'il le reconnoiffe; l'adoption n'eft nullement neceffaire, & la reconnoiffance feule fait la légitimation, râda deμsus Aigéws autov, ne peut fignifier icy adopta, mais reconnut & avoua pour son fils, & c'eft ainfi qu'il faut traduire.

Dans la vie d'Alcibiade, vol. 2. pag. 405 Plutarque dit que le peintre Ariftophon ayant peint Nemea qui tenoit Alcibiade couché dans fon fein, &c. Amiot a traduit: Et ayant le peintre Ariftophon peint une Courtisane nommée Nemea qui tenoit Alcibiade affis fur fon giron Sur cela M. de Meziriac luy fait un grand procés, & l'accuse d'avoir corrompu ce paffage en mettant la Courtisane Nemea, au lieu, dit-il, qu'il devoit traduire, ayant peint la celebrité des Jeux de Nemée. Mais c'eft luy qui fe trompe & qui a fait en cela une tres-lourde faute, comme le fçavant M. de la Monnoye l'a remarque avant moy. Nemea eft icy la celebre Courtifane Nemea joueufe de fufte. Quel fens y auroit-il à dire qu'Aristophon pei

ટિ

gnit la fefte des jeux de Nemée qui tenoit Alcibiade dans fon fein; le fein d'une fefte eft d'un ridicule parfait. Ce feul paffage fait voir qu'il eft fouvent utile d'adjoufter au texte quelque mot qui en détermine le fens. Parce que le Grec n'a pas adjousté Courtisane, M. de Meziriac s'y eft trompé. Il n'auroit pas fait cette faute,s'il s'eftoit fouvenu de ce qu'Athenée rapporte dans fon XIII. liv. pag. 587. Voicy ce qu'il dit: Hyperide, dans fon Oraifon contre Patrocle, fait mention de Nemea joueuse de flufte; il y a fujet de s'eftonner que les Atheniens n'ayent rien dit d'une Courtisane, qui portoit le nom d'une des affemblées les plus celebres, car il eftoit défendu de donner fortes de noms, non feulement aux Courtisanes, mais auffi à toutes les autres esclaves, comme Polomon l'affeure dans fon traité de la Citadelle. Voilà donc la mefme Nemea Courtifane & joueuse de flufte, dont Plutarque parle, la voilà mentionnée dans les Anciens. Et ce paffage d'Hyperide nous apprend que ce nom luy fut donné des Jeux Neméens, où apparemment elle avoit brillé par fa beauté & par fon art.

ces

Dans la vie de Caton le Cenfeur, vol. 111. pag. 357 Plutarque dit qu'une des trois chofes dont Caton fe repentoit, c'eftoit on μav μév åðsáder éμiciev, de ce qu'il avoit laißé passer un feul jour fans rien faire. M. de Meziriac prétend que ce n'eft pas le fens du paffage,& qu'Amiot devoit traduire, d'avoir laiße passer un feul jour fans avoir fait fon teftament. Voilà un plaifant repentir; Caton auroit donc voulu faire fon teftament fort jeune. Le motar, fignifie quelquefois inteftatus, mais il fignifie auffi, dérangé, faineant, oifif. Henry Eftienne ne condamne pas cette explication, il fe contente de dire

que

Caton fe repentoit d'avoir paßé un feul jour fans avoir fait quelque chofe de ferieux, ou fans avoir fait quelque chofe qui concernaft fes affaires. Ce qui revient au mefme fens, & qui s'accorde parfaitement avec ce que Plutarque nous dit du caractere de Caton qui eftoit fort avare, & qui regardoit la pareffe comme la mere de tous les vices. S'il eft honteux de faire des fautes, il l'eft encore davantage d'en faire en reprenant les autres.

Le mefme M. de Meziriac eftoit fi perfuadé de la neceffité d'une nouvelle traduction, qu'il l'entreprit & qu'il l'accompagna de fçavantes remarques, bien convaincu qu'on ne pouvoit s'en paffer. La mort l'empefcha d'achever. Il n'y en a eu que quelques vies de faites & de tranfcrites. M. l'Abbé Bignon qui a herité de ses peres l'amour qu'ils avoient pour les Lettres, & qui a réüni en luy leurs grands talents comme leurs vertus, m'en a communiqué cinq, celle de Thefée avec des notes, celle de Romulus fans notes, celle de Numa & celle de Fabius Maximus avec des notes, & celle de Cefar fans notes.

Pour ce qui eft de la traduction de ce fçavant homme, elle eft certainement plus exacte & plus fidelle que celle d'Amiot ; mais dans ce que j'en ay veu, je puis dire fans craindre d'eftre démenti par ceux qui auront cette copie entre leurs mains, que fi elle avoit efté imprimée dans ce temps-là, elle en demanderoit aujourd'huy une nouvelle. Elle manque de grace, d'harmonie & deforce, & la douceur & la majesté de noftre Langue n'y paroiffent pas avec tout l'esclat qu'elle avoit desja de son temps. Si l'on compare son style avec celuy de Vaugelas, qui eftoit fon contemporain, on y remar

que une difference infinie. Ce n'eft pas l'intelligence qui luy a manqué, c'est un certain gouft qu'on ne peut gueres acquerir que dans laCapitale & dans le commerce du monde. Elle fe fent de la Province où elle a efté faite. D'ailleurs on peut dire, pour le justifier, que de son temps noftre Langue n'eftoit pas dans toute la perfection où lle eft aujourd'huy, & qu'elle n'avoit pas ces graces & ces delicateffes que les grands hommes, qui ont efcrit dans noftre fiecle, luy ont donné dans leurs ouvrages, & auxquelles on ne peut nier fans ingratitude & fans injustice que l'Académie Françoise n'ait beaucoup contribué. J'oferay dire de Meziriac & d'Amiot ce qu'Horace dit de Lucilius :

Si foret hic noftrum fato dilatus in avum,
Detereret fibi multa.

Si les Deftinées les avoient confervés l'un & l'autre jusqu'à noftre fiecle, ils effaceroient beaucoup de chofes dans leur Ouvrage, ils le corrigeroient & le changeroient.

Ses remarques font fçavantes & judicieuses, il reprend tres-fouvent Amiot avec raison, mais fouvent auffi il releve des fautes peu importantes, & qu'il fuffit de corriger fans en parler, & il defcend dans des détails ou inutiles, ou ennuyeux. Il démefle bien des points de Fable, de Chronologie & de Genealogie, mais il n'esclaircit aucun point de Philofophie, ni de Politique, il n'explique aucun des endroits les plus importants, & ne fait fentir aucune des beautés de fon original, ce qui est pourtant le principal devoir d'un Interprete, & ce qui peut eftre le plus utile dans fon travail. On en jugera, car j'ay fait imprimer fes notes fur Thefée, fur Numa & fur Fabius Maximus. Par la qualité de fes notes le

Public jugera de la perte qu'il a faite de n'avoir pas fon Ouvrage entier, & par leur ftyle il jugera de celuy de fa traduction. J'ofe dire que fi elle eftoit imprimée, elle paroiftroit plus ancienne que celle d'Amiot.

Voilà donc une chose bien finguliere & affés plaifante, d'un costé les deux hommes les plus esclairés de leur temps, à qui la Langue de Plutarque eftoit auffi connue que la leur propre, & qui avoient fait une eftude profonde de l'Antiquité, font convaincus qu'une nouvelle traduction de Plutarque eft neceffaire, & que Plutarque a besoin de remarques pour eftre bien entendu, & de l'autre ceux qui ne connoiffent que le nom de cet Efcrivain, qui ne fçauroient le lire dans fa Langue, & qui n'ont fait nulles recherches des mœurs & des ufages de ces temps anciens, nulles eftudes folides dans ce genre,fouftiennent que la traduction d'Amiot suffit, & qu'on peut fe paffer de remarques. Qui croira-t- on?

Voilà tout ce que j'avois à dire pour justifier mon deffein. Je n'ay pas la préfomption de croire l'avoir parfaitement executé, mais ce que j'ay dit fuffira tousjours pour faire voir que ceux qui auront plus de lumiere & plus de force que moy, feront bien receus à l'entreprendre jufqu'à ce qu'on y ait bien réüffi. Cependant j'ofe efperer que les plus grands amateurs d'Amiot ne pourront condamner les efforts que j'ay faits pour mettre Plutarque entre les mains de ceux qui, ne pouvant goufter & entendre fa traduction, ni lire Foriginal, font privés d'une lecture tres- neceffaire, & dont on peut tirer autant de profit que de plaifir.

Je ne manquois pas de matiere pour des Ouvrages nouveaux ;outre lesMorales dePlutarque que je prepare, Tome I.

C

« PreviousContinue »