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Cinq années auparavant (1683), à la sollicitation de la duchesse de Bouillon, il avait rimé en deux chants les bienfaits du quinquina. On regrette que, par complaisance ou amitié, il ait ainsi forcé son talent à s'essayer sur des sujets si peu poétiques.

Il ne fut guère mieux inspiré lorsque, à la suite de La Fare, infidèle à Mme de la Sablière, il se mit à fréquenter la Champmeslé et à composer avec le mari de cette comédienne des pièces de théâtre dont la paternité reste indécise entre eux: la Coupe enchantée, Je vous prends sans vert, Astrée, Ragotin, le Florentin. Ces pièces, publiées d'abord séparément, Astrée en 1691, Je vous prends sans vert et le Florentin en 1699, Ragotin en 1701, furent réunies pour la première fois en un volume in-12, à la Haye, par Adr. Moetjens, en 1702.

Après s'être oublié quelque temps au théâtre, La Fontaine revint à des compositions qui allaient mieux à son talent, et on vit paraître, en 1685, deux volumes intitulés Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine. Les deux auteurs y avaient mis en commun leur nom et leur renommée. Le plus illustre des deux devait bien ce sacrifice à l'ami dévoué qui lui avait élevé son fils et dont l'attachement devait le suivre jusqu'au tombeau. Parmi les morceaux les plus remarquables du recueil se trouve le conte de Philémon et Baucis, adressé au duc de Vendôme, l'arrièrepetit-fils de Henri IV et qui fut, ainsi que son frère le grand prieur, un des protecteurs les plus généreux du poète.

Recherché pour son génie, aimé pour son caractère, répandu dans le monde, s'intéressant à tout ce qui s'y passait, La Fontaine jouissait avec délices de tous les agréments de la vie.

J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,

Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique.

Sa robuste constitution le maintint frais et dispos jusqu'en 1692. Mais à ce moment une maladie mit ses jours en danger et le ramena aux idées religieuses.

Le sort réservait encore à notre poète quelques années d'existence. Il les consacra à son dernier livre de fables, le XII, dont la plupart sont adressées au vertueux duc de Bourgogne, l'élève de Fénelon. Elles parurent en 1694. Ce fut le chant du cygne. La Fontaine, qui s'était retiré, après la mort de Mme de la Sablière, chez M. et Mme d'Hervart, rue Plâtrière, s'y éteignit dans leurs bras le 13 avril 1695, à l'âge de soixante et treize ans neuf mois et cinq jours.

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'IL y a quelque chofe d'ingenieux dans la Republique des Lettres, on peut dire que c'est la maniere dont Efope a debité fa Morale. Il feroit veritablement à fouhaiter que d'autres mains que les miennes y euffent ajoûté les ornemens de la Poëfie; puifque le plus fage des Anciens a jugé qu'ils n'y eftoient pas inutiles. J'ose, MONSEIGNEVR, vous en prefenter quelques Effais. C'est un Entre

tien convenable à vos premieres années. Vous eftes en un âge où l'amusement & les jeux font permis aux Princes; mais en mefme temps vous devez donner quelques-unes de vos penfées à des réflexions ferieufes. Tout cela fe rencontre aux Fables que nous devons à Efope. L'apparence en eft puerile, je le confesse; mais ces puerilitez fervent d'envelope à des veritez importantes. Je ne doute point, MONSEIGNE VR, que vous ne regardiez favorablement des Inventions fi utiles, & tout ensemble fi agreables: car, que peuton fouhaiter davantage que ces deux poincts? Ce font eux qui ont introduit les Sciences parmy les hommes. Efope a trouvé un Art fingulier de les joindre l'un avec l'autre. La lecture de fon Ouvrage répand infenfiblement dans une ame les femences de la vertu, & luy apprend à fe connoiftre, fans qu'elle s'apperçoive de cette étude, & tandis qu'elle croit faire toute autre chofe. C'est une Adreffe dont s'eft fervi tres-heureusement celuy fur lequel fa Majeflé a jetté les yeux pour vous donner des Inftructions. Il fait en forte que vous apprenez fans peine, ou, pour mieux parler, avec plaifir, tout ce qui eft neceffaire qu'un Prince fçache. Nous esperons beaucoup de cette Conduite; mais à dire la verité, il y a des chofes dont nous esperons infiniment davantage. Ce font, MONSEIGNE VR, les qua·litez que noftre Invincible Monarque vous a données avec la Naiffance; c'est l'Exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de fi grands

Deffeins; quand vous le confiderez qui regarde fans s'étonner l'agitation de l'Europe, & les machines qu'elle remuë pour le détourner de fon entreprise; quand il penetre dés fa premiere démarche jufques dans le cœur d'une Province où l'on trouve à chaque pas des Barrieres infurmontables, & qu'il en fubjugue une autre en huit jours, pendant la faifon la plus ennemie de la guerre, lors que le repos & les plaifirs regnent dans les Cours des autres Princes; quand non content de dompter les hommes, il veut triompher auffi des Elemens; & quand au retour de cette Expedition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner fes peuples comme un Augufte; avoüez le vray, MONSEIGNE VR, Vous foûpirez pour la gloire auffi bien que luy, malgré l'impuissance de vos années; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous declarer fon Rival dans l'amour de cette divine Maiftreffe. Vous ne l'attendez pas, MONSEIGNE VR, vous le prevenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquietudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'efprit, de courage, & de grandeur d'ame que vous faites paroistre à tous les momens. Certainement c'est une joye bien fenfible à noftre Monarque, mais c'est un Spectacle bien agreable pour l'Vnivers, que de voir ainfi croiftre une jeune Plante, qui couvrira un jour de fon ombre tant de Peuples & de Nations. Je devrois m'étendre fur ce fujet; mais comme le dessein que j'ay de vous diver

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