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Mart. (still thinking herself alone.) Oui, il faut que je m'en venge à quelque prix que ce soit. Ces coups de bâton me reviennent au cœur ; je ne saurois les digérer, et... (running against Valère & Lucas.) Ah! messieurs, je vous demande pardon; je ne vous voyois pas, et je cherchois dans ma tête quelque chose qui m'embarrasse. Val. Chacun a ses soins dans le monde ; et nous cherchons aussi ce que nous voudrions bien trouver. Mart. Seroit-ce quelque chose où je puisse vous aider ? Val. Cela se pourroit faire; et nous tâchons de rencontrer quelque habile homme, quelque médecin particulier, qui pût donner quelque soulagement à la fille de notre maître, attaquée d'une maladie qui lui a ôté tout d'un coup l'usage de la langue. Plusieurs médecins ont déjà épuisé toute leur science après elle; mais on trouve parfois des gens avec des secrets admirables, de certains remèdes particuliers, qui font le plus souvent ce que les autres n'ont su faire, et c'est là ce que nous cherchons.

Mart. (aside.) Ah! que le ciel m'inspire une admirable invention pour me venger de mon pendart! (aloud.) Vous ne pouviez jamais mieux vous adresser pour rencontrer ce que vous cherchez ; et nous avons un homme, le plus merveilleux homme du monde pour les maladies désespérées.

Val. Hé, de grâce, où pouvons-nous le rencontrer ? Mart. Vous le trouverez maintenant vers ce petit lieu que voilà, qui s'amuse à couper du bois.

Lucas. Un médecin qui coupe du bois ?

Val. Qui s'amuse à cueillir des simples, voulez-vous dire ?

Mart. Non. C'est un homme extraordinaire, qui se plaît à cela, fantasque, bizarre, quinteux, et que vous ne prendriez jamais pour ce qu'il est. Il va vêtu d'une façon extravagante, affecte quelquefois de paraître ignorant, tient sa science renfermée, et ne fuit rien tant tous les jours, que d'exercer les merveilleux talens qu'il a eus du ciel pour la médecine.

Val. C'est une chose admirable que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de folie mêlée à leur science.

1. Mart. La folie de celui-ci est plus grande qu'on ne peut croire; car elle va parfois jusqu'à vouloir être battu, pour demeurer d'accord de sa capacité ; et je vous donne avis que vous n'en viendrez pas à bout, qu'il n'avouera jamais qu'il est médecin, s'il se le met en fantaisie, que vous ne preniez chacun un bâton, et ne le réduisiez, à force de coups, à vous confesser à la fin ce qu'il vous cachera d'abord. C'est ainsi que nous en usons quand nous avons besoin de lui.

Val. Voilà une grande folie.

Mart. Il est vrai; mais après cela, vous verrez qu'il fait des merveilles.

Val. Comment s'appelle-t-il ?

Mart. Il s'appelle Sganarelle. Mais il est aisé à connoître c'est un homme qui a une large barbe noire, et qui porte une fraise, avec un habit jaune et vert.

Val. Mais est-il bien vrai qu'il soit aussi habile que vous le dites ?

Mart. Comment c'est un homme qui a fait des miracles. Il y a six mois qu'une femme fut abandonnée de tous les autres médecins ; on la tenoit morte il y avoit déjà six heures, et l'on se disposoit à l'ensevelir, lorsqu'on y fit venir de force l'homme dont nous parlons. Il lui mit, l'ayant vue, une petite goutte de je ne sais quoi dans la bouche, et dans le même instant elle se leva de son lit, et se mit aussitôt à se promener dans sa chambre, comme si de rien n'eût été

Val. Il falloit que ce fût quelque goutte d'or potable. Mart. Cela pourroit bien être. Il n'y a pas trois semaines encore qu'un jeune enfant de douze ans tomba du haut du clocher en bas, tête, les bras et les jambes.

et se brisa, sur le pavé, la On n'y eut pas plutôt amené

notre homme, qu'il le frotta partout le corps d'un certain onguent qu'il sait faire, et l'enfant aussitôt se leva sur ses pieds, et courut jouer à la fossette

Val. Il faut que cet homme-là ait la médecine universelle.

Mart. Qui en doute?

Lucas. Voilà justement l'homme qu'il nous faut. Allons vîte le chercher.

Val. Nous vous remercions du plaisir que vous nous faites.

Mart. Mais souvenez-vous bien au moins de l'avertissement que je vous ai donné.

Lucas. Hé, laissez-nous faire

tre, la vache est à nous.

(Exit Martine.) s'il ne tient qu'à bat

Val. (to Lucas.) Nous sommes bien heureux d'avoir fait cette rencontre, et j'en conçois pour moi la meilleure espérance du monde.

Enter Sganarelle.

Sgan. (singing behind the scenes.) La, la, la.

Val. J'entends quelqu'un qui chante, et qui coupe du

bois.

Sgan. (entering, with a bottle in his hand, and not perceiving Valère and Lucas.) La, la, la.....Ma foi, c'est assez travailler pour boire un coup: prenons un peu d'haleine.

Voilà du bois qui est salé comme tous les diables. (He sings.)

Qu'ils sont doux,

Bouteille jolie,

Qu'ils sont doux

Vos petits gloux-gloux !

Mais mon sort feroit bien des jaloux,
Si vous étiez toujours remplie,

Ah! bouteille, ma mie!

Pourquoi vous videz-vous ?

Allons, morbleu, il ne faut point engendrer de mélancolie. Val. (low to Lucas.) Le voilà lui-même.

Lucas. (low to Valère.) Je pense que vous dites vrai, et que j'ai bouté le nez dessus.

Val. Voyons de près.

Sgan. (embracing his bottle.) Ah! ma petite friponne, que je t'aime, mon petit bouchon! (Perceiving Valère and Lucas who are examining him, he lowers his voice, and sings :)

Mais mon sort...feroit...bien des jaloux,

Si.....

(Seeing that they examine him more closely.) Que diable, à qui en veulent ces gens-là ?

Val. (to Lucas.) C'est lui assurément.

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Lucas. (to Valère.) Le voilà tout craché comme on nous l'a défiguré.

Sgan. (aside.) Ils consultent en me regardant. Quel dessein auroient-ils ?

Val. Monsieur, n'est-ce pas vous qui vous appelez Sganarelle ?

Sgan. Hé quoi ?

Val. Je vous demande si ce n'est pas vous qui se nomme Sganarelle ?

Sgan. (turning towards Valère, then towards Lucas.) Oui et non, selon ce que vous voulez.

Val. Nous ne voulons que lui faire toutes les civilités que nous pourrons.

Sgan. En ce cas, c'est moi qui se nomme Sganarelle. Val. Monsieur, nous sommes ravis de vous voir. On nous a adressés à vous pour ce que nous cherchons, et nous venons implorer votre aide, dont nous avons besoin. Sgan. Si c'est quelque chose, messieurs, qui dépende de mon petit négoce, je suis prêt à vous rendre service.

Val. Monsieur, c'est trop de grâce que vous nous faites; mais, monsieur, couvrez-vous, s'il vous plaît, le soleil pourroit vous incommoder.

Sgan. (aside.) Voici des gens bien pleins de cérémonie. (He puts on his hat.)

Val. Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à vous; les habiles gens sont toujours recherchés, et nous sommes instruits de votre capacité.

Sgan. Il est vrai, messieurs, que je suis le premier homme du monde pour faire des fagots.

Val. Ah, monsieur !...

Sgan. Je n'y épargne aucune chose, et les fais d'une façon qu'il n'y a rien à redire.

Val. Monsieur, ce n'est pas cela dont il est question.
Sgan. Mais aussi je les vends cent dix sous le cent.
Val. Ne parlons point de cela, s'il vous plaît.

Sgan. Je vous promets que je ne saurois les donner à

moins.

Val.

Monsieur, nous savons les choses.

Sgan. Si vous savez les choses, vous savez que je les vends cela.

Val. Monsieur, c'est se moquer que...

Sgan Je ne me moque point, je n'en puis rien ra

battre.

Val. Parlons d'autre façon, de grâce.

Sgan. Vous en pourrez trouver autre part à moins ; il y a fagots et fagots; mais pour ceux que je fais... Val. Hé, monsieur, laissons-là ce discours.

Sgan. Je vous jure que vous ne les auriez pas, s'il s'en falloit un double.

Val. Hé si !

Sgan. Non, en conscience, vous en paierez cela. Je vous parle sincèrement, et ne suis pas homme à surfaire.

Val. Faut-il, monsieur, qu'une personne comme vous s'amuse à ces grossières feintes, s'abaisse à parler de la sorte qu'un homme si savant, un fameux médecin, comme vous êtes, veuille se déguiser aux yeux du monde, et tenir enterrés les beaux talens qu'il a ?

Sgan. (aside.) Il est fou.

Val. De grâce, monsieur, ne dissimulez point avec

nous.

Sgan. Comment ?

Lucas. Tout ce tripotage ne sert de rien; je sais ce que je sais.

Sgan. Quoi donc ? que voulez-vous dire ? pour qui me prenez vous ?

Val. Pour ce que vous êtes, pour un grand médecin. Sgan. Médecin vous-même; je ne le suis point, et ne l'ai jamais été

Val. (low.) Voilà sa folie qui le tient. (aloud.) Monsieur, ne veuillez point nier les choses davantage, et n'en venons point, s'il vous plaît, à de fâcheuses extrémités. Sgan. A quoi donc ?

Val. A de certaines choses dont nous serions marris. Sgan. Parbleu, venez-en à tout ce qu'il vous plaira : je ne suis point médecin, et je ne sais ce que vous me voulez dire.

Val. (low.) Je vois bien qu'il faut se servir du remède. (aloud.) Monsieur, encore un coup, je vous prie d'avouer ce que vous êtes.

Sgan. J'enrage.

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