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cris de désespoir. Socrate seul restait calme. Il fit même quelques reproches à ses amis: "Que faites-vous? leur dit-il entre autres. Je vous admire. Eh! mes amis, où est donc la vertu ? n'était-ce pas pour cela que j'avais renvoyé les femmes, de peur qu'elles ne tombassent dans ces faiblesses! car j'ai toujours ouï dire qu'il faut mourir tranquillement et en bénissant les dieux. Demeurez donc en repos, et montrez plus de fermeté, plus de courage.

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Ils essayèrent de se contenir; mais leurs soupirs les trahissaient, et toute la tristesse de leur âme se peignait sur leur visage. Cependant Socrate continuait à se promener. Lorsqu'il sentit ses jambes s'appesantir, il se coucha sur le dos, ainsi qu'on le lui avait recommandé. Le poison faisait d'instant en instant des progrès plus sensibles. Le philosophe sentit qu'il commençait à gagner le cœur. Il expira bientôt après. Criton s'approcha, et lui ferma la bouche et les yeux. Il parfaisait alors sa soixante-dixième année : c'étaient soixante-dix ans passés dans la pratique de toutes les vertus.

LXXXVIII. Aristides another Name for Justice.

THEMISTOCLE, Cimon, Périclès, remplirent leur ville de superbes bâtimens, de portiques, de statues, de richesses; Aristide fit plus, il la remplit de vertus ; c'est le glorieux témoignage que lui rend Platon. Etranger en quelque sorte à toutes les affections qui maîtrisent les hommes & a sa propre gloire, l'amour de l'ordre étoit sa seule passion, l'unique objet de ses désirs & de ses démarches.

La persuasion générale où l'on étoit de la sincérité de sa vertu & de la pureté de son zèle pour les intérêts de l'état, se manifesta publiquement. Un jour que l'on jouoit une tragédie d'Eschyle, l'acteur ayant récité ce vers, qui contenoit l'éloge d'Amphiaraüs, il ne veut point seulement paroître homme de bien & juste, mais l'être effectivement, tout le monde jetta les yeux sur Aristide, & lui en fit l'application.

Il présidoit au jugement de la cause de deux particuliers. L'un des deux pour le prévenir en sa saveur, dit

que sa partie adverse s'étoit toujours montrée opposée aux démarches d'Aristide. “Eh mon ami, lui repartit ce juge intégre en l'interrompant, dis seulement les maux qu'il t'a faits; car c'est ton affaire que je juge & non la mienne."

Le peuple d'Athènes qui prétexta souvent la crainte d'une trop grande puissance, pour éloigner un citoyen auquel il portoit envie, exila Aristide par un jugement de l'Ostracisme. Ce fut dans cette occasion qu'un paysan ne le connoissant pas, vint le prier de mettre sur sa coquille le nom d'Aristide.

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L'illustre Athénien lui demanda, "si celui qu'il vouloit bannir lui avoit fait quelque tort :" Aucun, répondit cet homme, mais je souffre impatiemment de l'entendre toujours appeller le Juste. Aristide, sans prononcer un seul mot, prit la coquille, écrivit son nom & la rendit. Il partit pour son exil, mais en priant les dieux de ne pas permettre qu'il arrivât à son ingrate patrie, aucun malheur qui le fît regretter."

Ce grand homme fut bien-tôt rappellé pour défendre la Grèce contre l'invasion de Xercès. On lui confia le commandement des troupes, & il fit des prodiges de valeur. Thémistocle, qui avoit sollicité son exil, ayant été lui-même menacé d'un bannissement, Aristide se déclara en sa faveur, parce qu'il connoissoit en lui un général habile & expérimenté.

Le peuple d'Athènes témoigna un jour d'une manière bien sensible la confiance qu'il avoit dans ce citoyen. Thémistocle vainqueur de Mardonius, général des Perses, avoit imaginé de faire mettre le feu aux vaisseaux des Grecs alliés, qui s'étoient retirés dans le port de Pegaze, afin par ce moyen, de donner à Athènes l'empire des mers. Plein de cette idée, il annonça dans une assemblée du peuple, qu'il avoit à lui proposer quelque chose de très-avantageux pour la république, mais qui demandoit du secret. On nomma Aristide pour en juger. Ce citoyen, après avoir écouté Thémistocle, déclara simplement que son projet étoit la chose du monde la plus avantageuse à la république, mais en même temps la plus injuste. Les Athéniens aussi-tôt défendirent d'une voix unanime à Thémistocle de passer outre.

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Aristide qui avoit rempli les charges les plus éminentes de la république, mourut néanmoins si pauvre, qu'Athènes fut obligée de faire les frais de ses funérailles, de doter ses filles, & d'avoir soin de son fils Lysimachus, à qui il ne laissoit pour tout héritage que lo poids de sa gloire & l'exemple de ses vertus.

LXXXIX. Misfortune the best Test of Courage and true Greatness.

THE EXILE OF SIBERIA.

Le prince Menzikoff, d'abord garçon pâtissier, ensuite favori du czar Pierre-le-Grand, et le principal instrument des victoires et des réformes de ce prince, confident et ami de la czarine, veuve et héritière de ce monarque fameux, tuteur absolu du czar Pierre II, son petit-fils, près d'en être le beau-père, ayant déjà une de ses filles fiancée avec son maître, jouissant d'un pouvoir sans bornes et d'une opulence excessive, fut tout d'un coup chassé de la cour par ses ennemis qui s'emparèrent de l'esprit du jeune empereur.

On le relégua d'abord dans une de ses terres, à deux cent cinquante lieues de la capitale. Cette première disgrâce fut bientôt suivie d'un ordre de le conduire en Sibérie, à quinze cents lieues de Pétersbourg. On lui ôta ses habits, pour le vêtir ainsi que les paysans Russes. Sa femme et ses enfans essuyèrent le même outrage: on les couvrit de robes de bure et de bonnets de peaux de mou

ton.

La princesse Menzikoff, accoutumée aux jouissances du luxe, succomba en peu de temps: elle mourut dans la route, aux environs de Casan. Son mari, fut obligé de lui rendre lui-même les derniers devoirs: il l'enterra dans le lieu où elle était morte. A peine lui permit-on de verser. quelques larmes sur la tombe de cette épouse infortunée et chérie ; on le força de hâter sa route jusqu'à Tobolsk, capitale de la Sibérie.

CONTINUATION.

THE EXILE IS REPROACHED BY ENEMIES.

De nombreux ennemis l'y attendaient, Les premiers qui s'offrirent à ses regards furent deux seigneurs Russes

qui avaient été exilés pendant son ministère. Ils l'accablèrent d'injures. Menzikoff ne montra pas, dans cette occasion, la plus légère impatience. "Tes reproches sont justes, dit-il à l'un d'eux, je les ai mérités, satisfaistoi, puisque tu ne peux tirer d'autre vengeance dans l'état où je suis."

Se retournant ensuite vers l'autre, il lui dit : "J'ignorais entièrement que tu fusses en ces lieux: ne m'impute point ton malheur. Tu avais sans doute quelques ennemis auprès de moi, qui m'ont surpris pour obtenir l'ordre de ton exil: j'ai souvent demandé pour quelles raisons je ne te voyais pas ; on me faisait des réponses vagues, et j'étais trop occupé pour penser aux affaires des particuliers. Si tu crois cependant que les injures puissent adoucir ton chagrin, tu peux te satisfaire."

Un troisième banni vint couvrir de boue le visage du fils de Menzikoff et de ses filles. "Eh! c'est à moi, s'écria le père pénétré de douleur ; c'est à moi qu'il faut jeter de la boue, et non à ces malheureux enfans qui ne t'ont rien fait." Le vice-roi de Sibérie lui fit parvenir, par ordre du czar, cinq cents roubles pour pourvoir à ses besoins et à ceux de sa famille. Menzikoff employa la plus grande partie de cet argent, à acheter pour lui et ses enfans, des scies, des cognées, toutes sortes d'outils propres à remuer la terre; il pria qu'on donnât le reste aux pauvres.

CONTINUATION.

THE EXILE IS RECOGNIZED BY A FRIEND.

SA destination n'était pas de rester à Tobolsk. On le mit, lui et les siens, sur un chariot découvert, et qui n'était tiré que par un seul cheval, quelquefois par des chiens. Il lui fallut cinq mois pour aller de Tobolsk à Yacouska. Il fut exposé, pendant ce long et pénible trajet, à toutes les injures de l'air, qui dans ce climat est extrêmement froid.

Un jour que ses gardes l'avaient fait descendre de son chariot, et entrer dans la cabane d'un paysan de Sibérie, avec sa famille, pour se reposer et prendre leur repas, un officier s'y introduisit pour le même motif. Il revenait de Kamtschatka, où il avait été envoyé sous le règne de

Pierre-le-Grand, pour accompagner le capitaine Béring dans ses découvertes. Cet officier avait servi sous Menzikoff, en qualité d'aide-de-camp; mais il ne le reconnut point à cause de son travestissement. Menzikoff le remit sur-le-champ, et l'appela par son nom.

L'officier l'ayant considéré attentivement, s'écria: "Ah! mon prince, par quelle suite de malheurs votre altesse est-elle dans un état si déplorable? Ne pouvant encore en croire ni ses yeux, ni ses oreilles, il courut à un jeune paysan, qui, dans un coin de la cabane, attachait avec une corde la semelle de ses souliers, et lui demanda à voix basse qui était l'homme auquel il venait de parler.

Le jeune paysan était le fils de Menzikoff. Il répondit en élevant la voix: "C'est mon père: notre malheur vous porte-t-il à nous méconnaître, vous qui nous avez tant d'obligations?" Menzikoff blâma son fils d'avoir fait cette réponse; il appela l'officier, et lui dit : " Pardonnez à ce jeune infortuné: le malheur a aigri son caractère. C'est lui que vous faisiez jouer dans son enfance voilà mes filles."

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Elles se tenaient, par terre, autour d'une jatte de lait, dans laquelle elles trempaient des croûtes de pain noir. Celle-ci, continua-t-il, a eu l'honneur d'être fiancée avec l'empereur Pierre II, et elle touchait au moment d'être unie à sa majesté par des liens indissolubles."

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CONTINUATION. REFLECTIONS ON PAST GREATNESS. IL lui fit ensuite un tableau des révolutions qui avaient agité la cour de Russie depuis quatre ans, époque de l'absence de l'officier, et le termina par ces mots. Ami, que te dirai-je de plus ? maître absolu et plus redouté que Pierre-le-Grand, je me croyais au-dessus des revers; je me flattais de jouir tranquillement du fruit de mes travaux, lorsque les Dolgorouski et l'étranger Asterman m'ont précipité dans l'état où tu me vois. La perte des honneurs, des biens, de ma liberté même, ne m'arracherait pas un soupir; mais (ajouta-t-il en versant des larmes et en montrant ses enfans) voilà mon supplice, et il durera autant que ma vie.

Ces victimes innocentes ont reçu le jour dans le sein

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