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prochèrent pour en becqueter le fruit. Sur quoi, transporté de joie & tout fier du suffrage de ces juges non suspects & non récusables, il demanda à Parrhasius qu'il fît donc paraître incessamment ce qu'il avoit à leur opposer.

Parrhasius obéit, & produisit sa pièce, couverte, comme il sembloit, d'une étoffe delicate en maniere de rideau. Tirez ce rideau, ajoûta Zeuxis, & que nous voyons ce beau chef-d'œuvre. Ce rideau étoit le tableau même. Zeuxis avoua qu'il étoit vaincu; car, dit-il, je n'ai trompé que des oiseaux, & Parrhasius m'a trompé moi-même qui suis peintre.

LXXVI. Generosity to Rivals the Charm of Genius. L'ORATEUR Eschine, jaloux de la gloire de Demosthéne son rival, entreprit d'attaquer le décret qui lui avoit accordé une couronne d'or. Jamais cause n'excita tant de curiosité, & ne fut plaidée avec tant d'appareil. On accourut de toutes parts, & l'on accourut avec raison.

Quel plus beau spectacle, que de voir aux mains deux orateurs excellens chacun en son genre, formés par la nature, perfectionnés par l'art, & de plus animés par d'éternelles dissensions & par une haine implacable. Eschine succomba & paya de la juste peine de l'exil une accusation témérairement intentée.

Au moment qu'il fortit d'Athènes, son vainqueur, la bourse à la main, courut après lui, & l'obligea d'accepter une offre qui dut lui faire d'autant plus de plaisir, qu'il avoit moins lieu de s'y attendre. Sur quoi Eschine s'écria Comment ne regretterois-je pas une patrie, où je laisse un ennemi si généreux que je désespère de rencontrer ailleurs des amis qui lui ressemblent.

Il alla s'établir à Rhodes, & ouvrit là une école d'eloquence, dont la gloire se soûtint pendant plusieurs siècles. Il commença ses leçons par lire à ses auditeurs les deux harangues qui avoient causé son bannissement.

On donna de grands éloges à la sienne; mais quand ce vint à celle de Demosthéne, les battemens de mains & les acclamations redoublèrent ; & ce fut alors qu'il dit ce mot si louable dans la bouche d'un ennemi & d'un rival :

Eh! que seroit-ce donc, si vous l'aviez entendu luimême.

LXXVII.

The Second to all the First of All. XERCES, Successeur de Darius au trône de Perse, ne tarda point à réunir ses forces pour venger l'affront que les Perses avoient reçu à la bataille de Marathon. Eurybiade, Spartiate, fut élu amiral des Grecs durant cette guerre.

Thémistocle, dans une occasion critique, osa être d'un sentiment opposé à cet amiral, & lorsque celui-ci irrité de cette résistance, le menaça de le frapper, frappe, lui cria Thémistocle, mais écoute. L'intrépide Athénien eut tout l'honneur du combat naval qui se donna à Salamine. La manière dont Athènes fut instruite de la principale part que Thémistocle avoit eue à cette fameuse journée de Salamine, mérite d'être remarquée.

Tous les capitaines avoient été obligés de déclarer, par des billets placés sur l'autel de Neptune, ceux qui avoient le plus contribué à la victoire. Chacun, après s'être donné la première part adjugea la seconde à Thémistocle; & le peuple crut alors devoir décerner la première récompense à celui que chacun des capitaines en avoit regardé comme le plus digne après lui.

LXXVIII. The Virtuous fear no Presages.

VESPASIEN, naturellement porté à la clémence, ne connut point ces défiances ombrageuses qui amènent l'injustice & la cruauté. Ses amis l'exhortant un jour à éloigner de sa personne Mésius Pomposianus, parce que le bruit couroit que son horoscope lui promettoit l'Empire, il le fit consul, & ajouta en riant: "S'il devient jamais empereur, il se souviendra que je lui ai fait du bien.

Vespasien étoit parvenu jusqu'à l'âge de soixante-dix ans sans éprouver aucune incommodité; mais une violente douleur qu'il ressentit alors, sembloit annoncer que sa fin étoit prochaine. Tout le monde s'inquiétoit à son sujet, lui seul paroissoit tranquille.

On débitoit, comme un présage de mauvais augure pour le prince, que le mausolée des Césars s'étoit tout

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d'un coup ouvert. "Ce prodige ne me regarde point, dit Vespasien je ne suis point de la race d'Auguste.' Une comète ayant paru au ciel avec une longue cheve"Si lure, il dit gaiement à ceux qui s'en entretenoient : cet astre menace quelqu'un, c'est le roi des Parthes qui a de longs cheveux, & non pas moi qui suis chauve.”

Cependant son mal augmentoit tous les jours; il connut lui-même le danger où il étoit, & dit à ses amis par une raillerie assez fine de l'adulation des Romains, qui déïfioient leurs empereurs après leur mort: Je sens que je deviens dieu.

LXXIX.

The Good should never despair of Protection. MARC-AURELE regardoit la vertu comme une sauvegarde contre les disgraces, opinion que l'expérience a souvent démentie, mais qu'il est beau de voir adoptée par un prince. Cet empereur étant à la tête de ses armées, le bruit se répandit qu'il étoit tombé malade. Un certain Avidius Cassius crut le moment favorable de se faire déclarer empereur.

Marc-Aurèle marcha contre lui: mais dans le temps que ce prince faisoit ses préparatifs, le rebelle fut tué par un centenier, & sa tête envoyée à l'empereur. Ce prince refusa de la voir & brûla toutes les lettres du rebelle, afin de n'être pas obligé de punir ceux qui avoient trempé dans sa révolte.

Il avoua même qu'on l'avoit privé du plus grand & du plus doux fruit de sa victoire, en lui ôtant l'occasion de pardonner à un homme qui l'avoit offensé. "Mais si Avidius eût vaincu, lui dit-on, en auroit-il ainsi usé à votre égard ?" Avec la vie que je mène, répondit MarcAurèle, & la profession que je fais d'honorer les dieux, je n'ai pas à craindre d'être vaincu.

LXXX. Contentment the best Source of Happiness.

PYRRHUS est bien célèbre dans l'histoire de la république Romaine par les guerres qu'il fit aux Romains. On connoît la réponse de Cinéas, rapportée par Plutarque. Ce confident de Pyrrhus voyant ce prince qui se préparoit à passer en Italie, & le trouvant un jour de

tion avec lui. aux Romains.

loisir & de bonne humeur, il entra librement en conversaVous songez, dit-il, à faire la guerre Si les Dieux nous font la grace de vaincre cette nation belliqueuse, quel avantage tirerons nous de notre victoire ?

Les Romains une fois vaincus, répondit Pyrrhus, toute l'Italie sera à nous.-Et quand nous en serons maîtres, continua Cinéas, que ferons nous ? Pyrrhus qui ne voyoit pas encore où il en vouloit venir: Voilà, lui ditil, la Sicile qui nous tend les bras, & tu sais de quelle importance est cette isle.

Mais, ajouta Cinéas, la Sicile prise sera t-elle la fin de nos expéditions?—Non certainement, répliqua Pyrrhus avec vivacité. Quoi! nous demeurerions en si beau chemin? Si les Dieux nous accordent la victoire, & que nous réussissions, ce ne seront là que les préludes des plus grandes entreprises. Carthage avec toute l'Afrique, la Macédoine, mon ancien domaine, la Grèce entière, voilà une partie de nos conquêtes futures. Et quand nous aurons tout conquis, que ferons nous Ce que nous ferons? Alors, mon ami, nous vivrons en repos, nous passerons les jours entiers en festins, en conversations agréables, & nous ne penserons qu'a nous réjouir.

?

Cinéas content de l'avoir amené à cette conclusion: Eh! seigneur, lui dit-il, qui nous empêche dès aujourd'hui de vivre en repos, de faire des festins, de célébrer des fêtes, & de nous bien réjouir ? Pourquoi aller chercher si loin un bonheur que nous avons entre nos mains ; & acheter si cher ce que nous pouvons avoir sans peine ?”

LXXXI. Excessive Tyranny a Source of Liberty.

LE ridicule despotisme de Gesler, chez les Helvétiens, fit perdre à la Maison d'Autriche, vers le commencement du treizième siècle, la souveraineté qu'elle avoit conservée jusqu'alors sur ces peuples. Ce Gesler, homme bizarre et cruel, s'avisa un jour de mettre un chapeau au bout d'une perche, qu'il fit planter sur la place d'Altorf, avec ordre aux passans de saluer ce chapeau, comme si c'étoit lui-même. 5

Un laboureur, nommé Guillaume Tell, ayant manqué à cette formalité, Gesler le fit venir pour lui demander la raison de sa désobéissance. Le paysan s'excusa en disant qu'il n'avoit aucune connoissance de cette loi, sans quoi il n'auroit pas manqué de s'y conformer.

Peu content de cette réponse, le ministre Autrichien ordonna au laboureur, ou de lui dire la vérité, ou d'abattre d'un coup de flèche une pomme sur la tête de celui de ses enfans qu'il aimoit le plus; ajoutant que, s'il manquoit son coup, il le feroit pendre sur-le-champ.

Ce père malheureux, n'ayant pu adoucir son juge, ni par ses pleurs ni par ses prières, prit la flèche, et la décocha avec tant de bonheur qu'il abattit la pomme, à cent vingt pas de distance, sans faire aucun mal à son fils. La joie du père fut égale au dépit du gouverneur, qui, dans le dessein de perdre GuiHaume, lui suscita une autre querelle, sur ce qu'il avoit une deuxième flèche dans son carquois.

"A

Il voulut savoir à quel usage elle étoit destinée. te tuer toi-même !" lui répondit hardiment le laboureur ; ce qu'il exécuta dans le temps même que le gouverneur donnoit ses ordres pour le faire conduire en prison. Plusieurs citoyens se réunirent à Guillaume après la mort du tyran, et cette alliance fut le fondement de la république Helvétique, qui dure depuis plus de quatre cents ans.

LXXXII. Death less dreadful than Dishonor. CHATEAUNEUF, garde des sceaux sous Louis XIII, roi de France, soupçonné de quelques intrigues contre l'état, ayant été arrêté, le Chevalier du Jars, son intime ami et son confident, fut mis à la Bastille, et l'on s'efforça de tirer de lui les secrets de son ami. On chercha d'abord à l'éblouir par de belles promesses; mais, ce moyen n'ayant pu réussir, on employa, pour le faire parler, la crainte de la mort.

On lui fit son procès, comme à un coupable; et les juges, à qui l'on assura qu'on lui accorderoit sa grâce sur l'échafaud, le condamnèrent à mort. Le chevalier fut conduit au supplice. Sa constance ne se démentit point dans cet affreux moment. Il sembloit, au contraire,

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