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Louis XI. reçut son présent avec autant de marques de bonté qu'il avoit reçu la rave, & après avoir lui-même fait l'éloge du cheval, il ajoûta: qu'on m'apporte ma rave. Tenez, dit-il, voici une rave des plus rares dans son genre, aussi bien que votre cheval je vous la donne & grand merci.

LV. The Ass without Manners.

HENRI IV. passant par une petite ville, plusieurs députés vinrent au devant de lui, pour le haranguer: un d'entre eux ayant commencé son discours, fut interrompu par un âne, qui étoit à vingt pas delà, & qui se mit à braire Messieurs, dit le roi, parlez chacun à votre tour, s'il vous plait; sans cela, je ne puis vous entendre.

Cip LVI.

The Reformed should be encouraged.

LA miséricorde divine avoit conduit un homme vicieux dans une société de Sages, dont les mœurs étoient saintes & pures; il fut touché de leurs vertus; il ne tarda pas à les imiter, & à perdre ses anciennes habitudes: il devint juste, sobre, patient, laborieux & bienfaisant.

On ne pouvoit nier ses œuvres, mais on leur donnoit des motifs odieux; on vantoit ses bonnes actions, sans aimer sa personne; on vouloit toujours le juger par ce qu'il avoit été, & non par ce qu'il étoit devenu. Cette injustice le pénétroit de douleur; il répandit ses larmes. dans le sein d'un vieux Sage, plus juste & plus humain que les autres.

O mon fils, lui dit le vieillard, tu vaux mieux que ta réputation; rends-en grâces à Dieu. Heureux celui qui peut dire, mes ennemis & mes rivaux censurent en moi des vices que je n'ai pas ! Que t'importe, si tu es bon, que les hommes te poursuivent comme méchant ? N'as-tu pas pour te consoler deux témoins éclairés de tes actions, Dieu & ta conscience?

LVII. No Confidence where there is no Principle. TROIS habitants de Balck voyageoient ensemble; ils rencontrèrent un trésor, & ils le partagèrent; ils continuèrent leur route, en s'entretenant de l'usage qu'ils feroi

ent de leurs richesses. Les vivres qu'ils avoient portés étoient consommés; ils convinrent qu'un d'eux iroit en acheter à la ville, & que le plus jeune se chargeroit de cette commission; il partit.

Il se disoit en chemin Me voilà riche; mais je le serois bien davantage si j'avois été seul quand le trésor s'est présenté..... Ces deux hommes m'ont enlevé mes richesses... Ne pourrois-je pas les reprendre?.... Cela me seroit facile. Je n'aurois qu'à empoisonner les vivres que je vais acheter; à mon retour, je dirois que j'ai dîné à la ville; mes compagnons mangeroient sans défiance, & ils mourroient. Je n'ai que le tiers du trésor, & j'aurois le tout.

Cependant les deux autres voyageurs se disoient : Nous avions bien à faire que ce jeune homme vînt s'associer à nous nous avons été obligés de partager le trésor avec lui; sa part auroit augmenté les nôtres, & nous serions véritablement riches.... Il va revenir, nous avons de bons poignards. . . .

Le jeune homme revint avec des vivres empoisonnés ; ses compagnons l'assassinèrent ils mangèrent; ils moururent; & le trésor n'appartint à personne.

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LVIII. Solitude no Retreat from bad Passions. UN religieux, sentant sa colère s'allumer dans son monastère, dit en lui-même : "Je m'en irai dans le désert, afin que n'ayant là personne avec qui je puisse avoir aucun démêlé, cette passion se calme.' S'étant donc retiré au fond d'une caverne, sa cruche, qu'il avait remplie d'eau, se renversa trois fois de suite. Cet accident l'irrita si fort qu'il jeta la cruche et la cassa. Mais aussitôt, rentrant en lui-même, il dit : "Le démon de la colère m'a trompé; car, quoique je sois seul, il ne laisse pas de me vaincre puis donc que partout où il y a à combattre, nous avons besoin de patience et du secours de Dieu, je m'en retournerai au monastère."

LIX. Ignorance best concealed by Silence.

MOLIERE allait avec Chapelle à Auteuil, dans un batelet. Ils discoururent sur Descartes et sur Gassendi, et

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finirent par prendre pour juge de leur différend un minime qui se trouvait être leur compagnon de voyage. m'en rapporte au révérend père, dit Molière, si le système de Descartes n'est pas une fois mieux imaginé que tout ce que Gassendi a débité pour nous faire adopter les rêveries d'Epicure." Le religieux répondit par un hem! hem! qui donnait aux deux amis sujet de croire qu'il était connaisseur en cette matière.

"Oh! parbleu! mon père, dit à son tour Chapelle, qui se crut attaqué par l'apparente approbation du minime, il faut que Molière convienne que Descartes n'a formé son système que comme un mécanicien, qui imagine une belle machine, sans faire attention à l'exécution." Le minime sembla se ranger du côté de Chapelle par un second hem! hem!

Molière, piqué de ce que son rival triomphait, redoubla d'efforts, et opposa de si bonnes raisons aux opinions de Gassendi, que le religieux fut obligé de s'y rendre par un troisième hem! hem! qui semblait décider la question en sa faveur. Chapelle, s'échauffant, reprit encore une fois l'avantage à en juger par les hem! hem! du minime.

La dispute continuait avec beaucoup de vivacité quand on arriva devant le couvent des Bons-Hommes. Là, le religieux demanda qu'on le mît à terre; et avant de sortir du bateau il alla prendre sous les pieds du batelier sa besace, qu'il y avait mise en entrant: c'était un frère quêteur; les deux savans n'avaient point vu son enseigne.

Honteux de s'être ainsi disputés devant un homme qui n'y entendait rien, ils se regardèrent d'abord l'un et l'autre sans se rien dire. Molière, revenant ensuite de son étonnement, dit à Baron qui était de la compagnie, mais trop jeune pour avoir pris part à une pareille conversation: "Voyez, petit garçon, ce que fait le silence quand il est observé avec conduite.'

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LX. Forgiveness our Interest as well as our Duty.

M. DE MOLE, premier président au parlement de Paris sous la minorité de Louis XIV, étant allé inutilement demander à la reine régente, qui logeait alors au PalaisRoyal, la liberté de Broussel, conseiller au parlement,

que cette princesse tenait en prison pour sa conduite séditieuse, fut arrêté à la Croix du Trahoir, par une troupe de mutins qui lui demandèrent si Broussel avait sa liberté.

Le premier président ayant répondu que la reine l'avait refusé, un des plus audacieux prit Molé par un petit toupet de barbe qu'il portait au menton, et lui dit insolemment: "Retournez donc au Palais-Royal, et ne revenez point que M. Broussel n'ait sa liberté !"

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Le premier président fut obligé de rebrousser chemin. Il obtint effectivement la liberté du conseiller, et tout se tranquillisa. Un particulier vint bientôt apprendre à M. de Molé que le séditieux qui l'avait si grièvement offensé était un apothicaire, son voisin. M. de Molé envoya chercher cet apothicaire avec main-forte.

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Le pauvre disciple d'Esculape fut fort embarrassé quand il se vit en présence du premier président. Ce magistrat lui demanda s'il savait pourquoi on l'avait fait venir: "Ah! monseigneur, répondit-il, je vois bien que vous êtes informé de tout, et j'implore votre miséricorde !"

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Il s'était jeté à genoux. M. de Molé le fit relever en lui disant : Je ne vous ai pas envoyé quérir pour cela, mais pour vous avertir que vous avez un méchant voisin. Ainsi défiez-vous-en; il pourrait vous perdre. Adieu," Telle fut la vengeance de ce grand homme,

LXI. The Expectation of Wealth and Power an Obstacle to Education.

ment.

CHOSROES, roi de Perse, avait un ministre qui faisait sa gloire, et qui lui avait toujours montré beaucoup d'attacheCe ministre vint cependant un jour lui demander la permission de se retirer: "Pourquoi veux-tu me quitter? lui dit le monarque ; j'ai fait tomber sur toi la rosée de ma bienfaisance; mes esclaves ne distinguent point tes ordres des miens: je t'ai approché de mon cœur, ne t'en éloigne jamais."

Le sage Mitrane répondit: "O roi ! je t'ai servi avec zèle, et tu m'en as trop récompensé ; mais la nature m'impose aujourd'hui des devoirs sacrés: souffre que je les remplisse. J'ai un fils; il n'a que moi pour lui apprendre à te servir un jour comme je t'ai servi,

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J'y consens, dit Chosroès, mais à une condition. mi les hommes de bien que tu m'as fait connaître, il n'en est aucun qui soit aussi digne que toi d'éclairer et de former l'âme de mon fils: finis ta carrière par le plus grand service qu'un homme puisse rendre aux autres hommes; qu'ils te doivent un bon maître. Je connais la corruption de la cour: il ne faut pas qu'un jeune prince la respire; prends mon fils, et va l'instruire avec le tien dans la retraite, au sein de l'innocence et de la vertu.

Mitrane obéit à cet ordre ; et cinq ou six ans après, il revint avec les deux jeunes gens. Chosroès ne trouvant pas son fils égal en mérite à celui de son ministre, s'en plaignit à celui-ci : “O roi, lui repartit Mitrane, mon fils a fait un meilleur usage que le tien des leçons que j'ai données à l'un et à l'autre. Mes soins ont été partagés également entre eux; mais mon fils savait qu'il aurait besoin des hommes; je n'ai pu cacher au tien que les hommes auraient besoin de lui."

LXII. Resignation and Patience, royal Virtues.

PHILIPPE II, roi d'Espagne, avait armé une flotte à jamais célèbre, qu'on nomma l'invincible, parce qu'on présumait trop de sa force. Elle ne devait rien moins que conquérir l'Angleterre ; mais la tempête la détruisit entièrement à la vue des côtes de la Grande-Bretagne. Lorsqu'on apprit ce désastre à Philippe II, il était à écrire; il répondit seulement : "Je ne l'avais pas envoyée combattre les vents." Et il reprit tranquillement la plume.

Une autre fois, ayant passé une nuit entière à faire des dépêches, il les donna, sur le matin, à son secrétaire, qui les étala toutes sur une table pour y mettre les adresses. Pour qu'elles ne s'effaçassent point, il voulut répandre du sable dessus; mais comme il était à moitié endormi, au lieu de la sablière, il prit l'écritoire, et la renversa sur le papier, de manière que tout l'ouvrage de la nuit fut perdu. Philippe lui dit tranquillement ; “ Voilà le cornet à l'encre, et voilà la sablière :" et, sans autre mouvement d'impatience, il se mit à récrire ses dépêches.

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