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Mais des lois des chrétiens mon esprit enchanté
Vit chez eux, ou du moins crut voir la vérité;
Et ma bouche, abjurant les dieux de ma patrie,
Par mon âme en secret ne fut point démentie :
Mais renoncer au dieu que l'on croit dans son

cœur,

C'est le crime d'un lâche, et non pas une erreur;
C'est trahir à la fois, sous un masque hypocrite,
Et le dieu qu'on préfère, et le dieu que l'on quitte;
C'est mentir au ciel même, à l'univers, à soi.
Mourons; mais, en mourant, sois digne encor de
moi :

Et si Dieu ne te donne une clarté nouvelle,

Ta probité te parle, il faut n'écouter qu'elle. Zam. J'ai prévu ta réponse: il vaut mieux expirer Et mourir avec toi, que se déshonorer.

Alv.

Cruels, ainsi tous deux vous voulez votre perte!
Vous bravez ma bonté qui vous était offerte.
Ecoutez, le temps presse, et ces lugubres cris....

Enter Gusman, supported by Montèze.

Zam. Cruels, sauvez Alzire, et pressez mon supplice! Alz. Non, qu'une affreuse mort tous trois nous réunisse. Alv. Mon fils mourant, mon fils! ô comble de douleur! Zam. à Gusman. Tu veux donc jusqu'au bout consommer ta fureur?

Viens, vois couler mon sang, puisque tu vis encore; Viens apprendre à mourir en regardant Zamore. Gus. à Zamore. Il est d'autres vertus que je veux t'enseigner:

Je dois un autre exemple, et je viens le donner. (à Alvarez.) Le ciel qui veut ma mort, et qui l'a suspen

due,

Mon père, en ce moment m'amène à votre vue,
Mon âme fugitive, et prête à me quitter,
S'arrête devant vous....mais pour vous imiter.
Je meurs: le voile tombe; un nouveau jour
m'éclaire;

Je ne me suis connu qu'au bout de ma carrière;

J'ai fait, jusqu'au moment qui me plonge au cercueil,

Gémir l'humanité du poids de mon orgueil.

Le ciel venge la terre: il est juste; et ma vie
Ne peut payer le sang dont ma main s'est rougie.
Le bonheur m'aveugla; la mort m'a détrompé:
Je pardonne à la main par qui Dieu m'a frappé.
J'étais maître en ces lieux; seul j'y commande en-

core:

Seul je puis faire grâce, et la fais à Zamore.
Vis, superbe ennemi; sois libre, et te souvien
Quel fut et le devoir et la mort d'un chrétien.
(â Montèze qui se jette à ses pieds.)
Montèze, Américains, qui fûtes mes victimes,
Songez que ma clémence a surpassé mes crimes.
Instruisez l'Amérique; apprenez a ses rois

Que les chrétiens sont nés pour leur donner des
lois.

(à Zamore.) Des dieux que nous servons connais la dif

Alv.

férence:

Les tiens t'ont commandé le meurtre et la ven

geance;

Et le mien, quand ton bras vient de m'assassiner,
M'ordonne de te plaindre et de te pardonner.

Ah, mon fils! tes vertus égalent ton courage.
Alz. Quel changement, grand Dieu! quel étonnant lan-

- gage!

Zam. Quoi! tu veux me forcer moi-même au repentir! Gus. Je veux plus, je te veux forcer à me chérir. Alzire n'a vecu que trop infortunée,

Et par mes cruautés, et par mon hyménée;
Que ma mourante main la remette en tes bras:
Vivez sans me haïr, gouvernez vos états,
Et de vos murs détruits rétablissant la gloire,
De mon nom, s'il se peut, bénissez la mémoire.
(à Alvarez.) Daignez servir de père à ces époux heureux;

Que du ciel, par vos soins, le jour luise sur eux!
Aux clartés des chrétiens si son âme est ouverte,
Zamore est votre fils, et répare ma perte,

Zam.

Je demeure immobile, égaré, confondu.

Alz.

Quoi donc, les vrais chrétiens auraient tant de vertu!
Ah! la loi qui t'oblige à cet effort suprême,

Je commence à le croire, est la loi d'un Dieu même.
J'ai connu l'amitié, la constance, la foi;
Mais tant de grandeur d'âme est au-dessus de moi;
Tant de vertu m'accable, et son charme m'attire.
Honteux d'être vengé, je t'aime, et je t'admire.
(il se jette à ses pieds.)
Seigneur, en rougissant je tombe à vos genoux:
Alzire en ce moment voudrait mourir pour vous.
Entre Zamore et vous mon âme déchirée

Succombe au repentir dont elle est dévorée.

Je me sens trop coupable, et mes tristes erreurs.... Gus. Tout vous est pardonné, puisque je vois vos pleurs. Pour la dernière fois, approchez-vous, mon père;

Vivez long-temps heureux; qu'Alzire vous soit

chère.

Zamore, sois chrétien; je suis content: je meurs. Alv. à Montèze. Je vois le doigt de Dieu marqué dans nos malheurs.

Mon cœur désespéré se soumet, s'abandonne
Aux volontés d'un Dieu qui frappe et qui pardonne.

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Ils sont saisis sans doute, ils sont au moins connus?
Quel sombre et noir chagrin, couvrant votre visage,

Val.

Bru.
Val.

De maux encor plus grands semble être le présage?
Vous frémissez.

Songez que vous êtes Brutus.

Expliquez-vous....

Je tremble à vous en dire plus.

(Il lui donne des tablettes.)

Voyez, seigneur; lisez, connaissez les coupables. Bru. prenant les tablettes. Me trompez-vous, mes yeux? O jours abominables!

Val.

Bru.

Val.

Bru.

Val.

O père infortuné! Tibérinus? mon fils!
Sénateurs, pardonnez...Le perfide est-il pris?
Avec deux conjurés il s'est osé défendre;

Ils ont choisi la mort plutôt que de se rendre;
Percé de coups, seigneur, il est tombé près d'eux.
Mais il reste à vous dire un malheur plus affreux,
Pour vous, pour Rome entière, et pour moi plus

sensible.

Qu'entends-je ?

Reprenez cette liste terrible
Que chez Messala même a saisi Proculus.
Lisons donc...Je frémis, je tremble.

Ciel! Titus!

Assez près de ces lieux je l'ai trouvé sans armes,
Errant, désespéré, plein d'horreur et d'alarmes.
Peut-être il détestait cet horrible attentat.

Bru. Grands dieux! à vos décrets tous mes vœux sont

soumis!

Dieux vengeurs de nos lois, vengeurs de mon pays,
C'est vous qui par mes mains fondiez sur la justice
De notre liberté l'éternel édifice :

Voulez-vous renverser ses sacrés fondements?
Et contre votre ouvrage armez-vous mes enfants?
Ah! que Tibérinus, en sa lâche furie,

Ait servi nos tyrans, ait trahi sa patrie,

Le coup en est affreux, le traître était mon fils!
Mais Titus! un héros! l'amour de son pays!
Qui dans ce même jour, heureux et plein de gloire,
A vu par un triomphe honorer sa victoire !
Titus, qu'au capitole ont couronné mes mains!
L'espoir de ma vieillesse et celui des Romains!

Val.

Bru.

Val.

Bru.

Val.

Bru.

Val. Bru. Val.

Bru.

Val

Bru.

Val.

Bru.

Val

Titus dieux !

Du sénat la volonté suprême

Est que sur votre fils vous prononciez vous-même,
Moi?

Vous seul.

Et du reste en a-t-il ordonné?
Des conjurés, seigneur, le reste est condamné;
Au moment où je parle ils ont vécu peut-être.
Et du sort de mon fils le sénat me rend maître?
Il croit à vos vertus devoir ce rare honneur.
O patrie!

Au sénat que dirai-je, seigneur?

Que Brutus voit le prix de cette grâce insigne;
Qu'il ne la cherchait pas...mais qu'il s'en rendra
digne...

Mais mon fils s'est rendu sans daigner résister;
Il pourrait.... Pardonnez si je cherche à douter;
C'était l'appui de Rome, et je sens que je l'aime.
Seigneur, Tullie..

Eh bien...

Tullie au moment même N'a que trop confirmé ces soupçons odieux. Comment, seigneur?

4

A peine elle a revu ces lieux,
A peine elle aperçoit l'appareil des supplices,
Que, sa main consommant ces tristes sacrifices,
Elle tombe, elle expire, elle immole à nos lois
Ce reste infortuné de nos indignes rois.

Si l'on nous trahissait, seigneur, c'était pour elle.
Je respecte en Brutus la douleur paternelle;
Mais, tournant vers ces lieux ses yeux appesantis,
Tullie en expirant a nommé votre fils.

Bru. Justes dieux !

Val.

C'est à vous à juger de son crime Condamnez, épargnez, ou frappez la victime; Rome doit approuver ce qu'aura fait Brutus. Bru. Licteurs, que devant moi l'on amène Titus. Val. Plein de votre vertu, seigneur, je me retire: Mon esprit étonné vous plaint et vous admire;

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