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Et, sans aucune affaire, est toujours affairé.
Tout ce qu'il vous débite en grimaces abonde;
A force de façons il assomme le monde;

Sans cesse il a tout bas, pour rompre l'entretien,
Un secret à vous dire, et ce secret n'est rien;
De la moindre vétille il fait une merveille,

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Et, jusques au bon jour,' il dit tout à l'oreille. Acas. Et Géralde, madame?

Cél.

O l'ennuyeux conteur ! Jamais on ne le voit sortir du grand seigneur. Dans le brillant commerce il se mêle sans cesse, Et ne cite jamais que duc, prince, ou princesse. La qualité l'entête, et tous ses entretiens Ne sont que de chevaux, d'équipage et de chiens: Il tutoie, en parlant, ceux du plus haut étage, Et le nom de monsieur est chez lui hors d'usage. Clit. On dit qu'avec Bélise il est du dernier bien. Cél. Le pauvre esprit de femme, et le sec entretien ! Lorsqu'elle vient me voir, je souffre le martyre: Il faut suer sans cesse à chercher que lui dire; Et la stérilité de son expression

Fait mourir à tous coups la conversation. En vain, pour attaquer son stupide silence, De tous les lieux communs vous prenez l'assistance; Le beau temps et la pluie, et le froid et le chaud, Sont des fonds qu'avec elle on épuise bientôt. Cependant sa visite, assez insupportable, Traîne en une longueur encore épouvantable; Et l'on demande l'heure, et l'on bâille vingt fois, Qu'elle s'émeut autant qu'une pièce de bois. Acas. Que vous semble d'Adraste?

Cél.

Ah! quel orgueil extrême ! C'est un homme gonflé de l'amour de soi-même ! Son mérite jamais n'est content de la cour; Contre elle il fait métier de pester chaque jour; Et l'on ne donne emploi, charge, ni bénéfice, Qu'à tout ce qu'il se croit on ne fasse injustice. Clit. Mais le jeune Cléon, chez qui vont aujourd'hui Nos plus honnêtes gens, que dites-vous de lui?

Cél.

Eli.
Cél.

Phil.

Cél.

Que de son cuisinier il s'est fait un mérite,
Et que c'est à sa table à qui l'on rend visite.
Il prend soin d'y servir des mets fort délicats.
Oui; mais je voudrois bien qu'il ne s'y servit pas :
C'est un fort méchant plat que sa sotte personne,
Et qui gâte, à mon goût, tous les repas qu'il donne.
On fait assez de cas de son oncle Damis;

Qu'en dites-vous, madame?

Il est de mes amis. Phil. Je le trouve honnête homme, et d'un air assez sage. Cél. Oui; mais il veut avoir trop d'esprit, dont j'enrage.

Il est guindé sans cesse; et, dans tous ses propos, On voit qu'il se travaille à dire de bons mots. Depuis que dans la tête il s'est mis d'être habile, Rien ne touche son goût, tant il est difficile ! Il veut voir des défauts à tout ce qu'on écrit, Et pense que louer n'est pas d'un bel esprit, Que c'est être savant que trouver à redire, Qu'il n'appartient qu'aux sots d'admirer et de rire, Et qu'en n'approuvant rien des ouvrages du temps Il se met au-dessus de tous les autres gens. Aux conversations même il trouve à reprendre : Ce sont propos trop bas pour y daigner descendre, Et, les deux bras croisés, du haut de son esprit Il regarde en pitié tout ce que chacun dit. Voilà son portrait véritable. Clit. à Célimène. Pour bien peindre les gens vous êtes admirable.

Acas.

Alc. Allons, ferme poussez, mes bons amis de cour. Vous n'en épargnez point, et chacun a son tour : Cependant aucun d'eux à vos yeux ne se montre, Qu'on ne vous voie en hâte aller à sa rencontre, Lui présenter la main, et d'un baiser flatteur Appuyer les serments d'être son serviteur. Pourquoi s'en prendre à nous? Si ce qu'on dit vous blesse,

Clit.

Alc.

Il faut que le reproche à madame s'adresse.
Non, morbleu ! c'est à vous; et vos ris complai-

sants

Cél.

Tirent de son esprit tous ces traits médisants.
Son humeur satirique est sans cesse nourrie
Par le coupable encens de votre flatterie;
Et son cœur à railler trouveroit moins d'appas
S'il avoit observé qu'on ne l'applaudit pas.

C'est ainsi qu'aux flatteurs on doit par-tout se prendre

Des vices où l'on voit les humains se repandre. Phil. Mais pourquoi pour ces gens un intérêt si grand, Vous qui condamneriez ce qu'en eux on reprend ? Et ne faut-il pas bien que monsieur contredise? A la commune voix veut-on qu'il se réduise, Et qu'il ne fasse pas éclater en tous lieux L'esprit contrariant qu'il a reçu des cieux? Le sentiment d'autrui n'est jamais pour lui plaire : Il prend toujours en main l'opinion contraire, Et penseroit paroître un homme du commun, Si l'on voyoit qu'il fût de l'avis de quelqu'un. L'honneur de contredire a pour lui tant de charmes, Qu'il prend contre lui-même assez souvent les

armes;

Et ses vrais sentimens sont combattus par lui Aussitôt qu'il les voit dans la bouche d'autrui. Alc. Les rieurs sont pour vous, madame, c'est tout dire; Et vous pouvez pousser contre moi la satire. Phil. Mais il est véritable aussi que votre esprit

Alc.

Cél.

Alc.

Se gendarme toujours contre tout ce qu'on dit;
Et que, par un chagrin que lui-même il avoue,
Il ne sauroit souffrir qu'on blâme ni qu'on loue.
C'est que jamais, morbleu! les hommes n'ont
raison;

Que le chagrin contre eux est toujours de saison,
Et que je vois qu'ils sont, sur toutes les affaires,
Loueurs impertinents, ou censeurs téméraires.
Mais....

Non, madame, non, quand j'en devrois mourir,
Vous avez des plaisirs que je ne puis souffrir;
Et l'on a tort ici de nourrir dans votre âme
Ce grand attachement aux défauts qu'on y blâme

Alc.

Clit. Pour moi, je ne sais pas; mais j'avouerai tout hɛ at
Que j'ai cru jusqu'ici madame sans défaut.
Acas. De grâces et d'attraits je vois qu'elle est pourvue;
Mais les défauts qu'elle a ne frappent point ma vue.
Ils frappent tous la mienne; et, loin de m'en cacher,
Elle sait que j'ai soin de les lui reprocher.
Plus on aime quelqu'un, moins il faut qu'on le flatte:
A ne rien pardonner le pur amour éclate;
Et je bannirois, moi, tous ces lâches amants
Que je verrois soumis à tous mes sentiments,
Et dont, à tout propos, les molles complaisances
Donneroient de l'encens à mes extravagances.
Cél. Enfin, s'il faut qu'à vous s'en rapportent les cœurs,
On doit, pour bien aimer, renoncer aux douceurs,
Et du parfait amour mettre l'honneur suprême
A bien injurier les personnes qu'on aime.
L'amour, pour l'ordinaire, est peu fait à ces lois,
Et l'on voit les amants vanter toujours leur choix.
Jamais leur passion n'y voit rien de blâmable,
Et dans l'objet aimé tout leur devient aimable;
Ils comptent les défauts pour des perfections,
Et savent y donner de favorables noms.

Eli.

La pâle est aux jasmins en blancheur comparable:
La noire à faire peur, une brune adorable;
La maigre a de la taille et de la liberté;

La grasse est, dans son port, pleine de majesté;
La malpropre sur soi, de peu d'attraits chargée,
Est mise sous le nom de beauté négligée;
La géante paroît une déesse aux yeux;
La naine, un abrégé des merveilles des cicux;
L'orgueilleuse a le cœur digne d'une couronne;
La fourbe a de l'esprit; la sotte est toute bonne;
La trop grande parleuse est d'agréable humeur;
Et la muette garde une honnête pudeur.

C'est ainsi qu'un amant dont l'ardeur est extrême
Aime jusqu'aux défauts des personnes qu'il aime.

t

Cél.

Ars.

Cél.

Ars.

SCENE THIRD,

Frankness often the Mask of Envy and Malignity.

CELIMENE, engaged to Alceste.
ARSINOE, a Prude.

Ah! quel heureux sort en ce lieu vous amène?
Madame, sans mentir, j'étois de vous en peine.
Je viens pour quelque avis que j'ai cru vous devoir.
Ah! mon ami! que je suis contente de vous voir!
Madame, l'amitié doit sur-tout éclater

Aux choses qui le plus nous peuvent importer:
Et comme il n'en est point de plus grande impor-
tance

Que celles de l'honneur et de la bienséance,
Je viens, par un avis qui touche votre honneur,
Témoigner l'amitié que pour vous a mon cœur.
Hier j'étois chez des gens de vertu singulière,
Où sur vous du discours on tourna la matière;
Et là, votre conduite, avec ses grands éclats,
Madame, eut le malheur qu'on ne la loua pas.
Cette foule de gens dont vous souffrez visite,
Votre galanterie, et les bruits qu'elle excite,
Trouvèrent des censeurs plus qu'il n'auroit fallu,
Et bien plus rigoureux que je n'eusse voulu.
Vous pouvez bien penser quel parti je sus prendre;
Je fis ce que je pus pour vous pouvoir défendre;
Je vous excusai fort sur votre intention,

Et voulus de votre âme être la caution.

Mais vous savez qu'il est des choses dans la vie
Qu'on ne peut excuser, quoiqu'on en ait envie;
Et je me vis contrainte à demeurer d'accord
Que l'air dont vous viviez vous faisoit un peu tort;
Qu'il prenoit dans le monde une méchante face,
Qu'il n'est conte fâcheux que par-tout on n'en'fasse;
Et que, si vous vouliez, tous vos déportements
Pourroient moins donner prise aux mauvais juge-

ments.

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