Page images
PDF
EPUB

Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde;

Soyez joints, mes enfants; que l'amour vous accorde
Tant que dura son mal, il n'eut autre discours.
Enfin se sentant près de terminer ses jours:
Mes chers enfants, dit-il, je vais où sont nos pères;
Adieu, promettez-moi de vivre comme frères;
Que j'obtienne de vous cette grâce en mourant.
Chacun de ses trois fils l'en assure en pleurant.
Il prend à tous les mains, il meurt. Et les trois frères
Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d'affaires.
Un créancier saisit, un voisin fait procès :
D'abord notre trio s'en tire avec succès.
Leur amitié fut courte autant qu'elle était rare.
Le sang les avait joints, l'intérêt les sépare :
L'ambition, l'envie, avec les consultants,
Dans la succession entrent en même temps.
On en vient au partage, on conteste, on chicane :
Le juge sur cent points tour à tour les condamne
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,

Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.
Les frères désunis sont tous d'avis contraire :
L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire
Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis, et pris à part.

137. Diamond alone cuts Diamond.

Que je hais cet art de pédant,
Cette logique captieuse,

Qui d'une chose claire, en fait une douteuse,
D'un principe erroné tire subtilement
Une conséquence trompeuse,

Et raisonne en déraisonnant!

Les Grecs ont inventé cette belle manière :
Ils ont fait plus de mal qu'il ne croyoient en faire.
Que Dieu leur donne paix! Il s'agit d'un renard,
Grand argumentateur, célèbre babillard,

Il tenoit école publique,

Avoit des écoliers qui payoient en poulets.

Un d'eux, qu'on destinoit à plaider au palais,

Devoit payer son maître à la première cause
Qu'il gagneroit: ainsi la chose

Avoit été réglée et d'une et d'autre part.
Son cours étant fini, mon écolier renard
Intente un procès à son maître,

Disant qu'il ne doit rien. Devant le léopard
Tous les deux s'en vont comparoître.
Monseigneur, disoit l'écolier,

Si je gagne, c'est clair, je ne dois rien payer;
Et cela par votre sentence,
Puisque par la sentence
J'aurai droit de ne pas payer.
Si je perds, nulle est sa créance;
Car il convient que l'échéance
N'en devoit arriver qu'après
Le gain de mon premier procès:
Or, ce procès perdu, je suis quitte, je pense:
Mon dilemme est certain.

Répondoit aussitôt le maître;

Nenni,

Si vous perdez, payez; la loi l'ordonne ainsi,
Si vous gagnez, sans plus remettre,
Payez; car vous avez signé

Promésse de payer au premier plaid gagné :
Vous y voilà. Je crois l'argument sans réponse.
Chacun attend alors que le juge prononce,
Et l'auditoire s'étonnoit

Qu'il n'y jetât pas son bonnet.

Le léopard, rêveur, prit enfin la parole:
Hors de cour, leur dit-il; défense à l'écolier
De continuer son métier,

Au maître de tenir école.

138. Life a Game of Blind-Man's Buff

Voici comment un père sage,

Au lieu de leçons et d'avis,
D'un jeu d'enfants sut faire usage
Pour l'instruction de son fils.
Trois jeunes gens du voisinage

Sont invités : ils viennent, et d'abord

Il s'agit de connaître, en consultant le sort,
Celui dont un bandeau doit couvrir le visage.
Le sort décide à l'un d'entre eux,

En cet état, il court, recule, avance;

S'il entend quelque bruit, aussitôt il s'élance.
Il s'empresse, il s'agite, il se tourmente en vain.
Croyant tenir quelqu'un, c'est l'air seul qu'il embrasse.
L'un s'approche et s'enfuit soudain :

Sur la table un autre se place,

Tend un livre à l'aveugle, et le lui laisse en main.
Pendant qu'il se dépite, ami, je viens me rendre,
S'écrie un enfant; me voici.—

L'aveugle accourt: mais au lieu de le prendre,
A l'autre bout il est surpris d'entendre,
Tu te trompes, je suis ici.—
Comment finira cette histoire ?
Un petit fripon d'écolier
Se cache derrière un pilier,

Par un trait de malice noire :
Puis, sans crier, gare le pot au noir !
En badinant, en riant il excite

L'enfant dont le visage est couvert du mouchoir.
Celui-ci, plein d'espoir, vole et se précipite,
Disant enfin, te voilà pris.-
Heureusement le maître du logis

Se met au-devant et l'arrête;
Sans quoi, contre le marbre il se cassait la tête.
Le jeu finit. Le père, après souper,

Dit à son fils ce badinage

Est de la vie humaine, une naïve image.
Par ses penchants on se laisse tromper.
Chaque passion qui nous flatte

Rend l'homme aveugle, et ressemble au mouchoir. Elle ressemble encor à l'écolier; l'ingrate

Appelle, et ne dit point, gare le pot au noir!
Je nomine pot au noir, et c'est avec justice,
Le déshonneur qui suit le vice.

Ton compagnon, mon fils, courait avec ardeur,
S'agitait, s'élançait, sans cesse croyait prendre.

La passion nous dit : je vous mène au bonheur.-
Esclaves de nos sens, pouvons-nous y prétendre ?
Quand nous paraissons le tenir,

Après bien des efforts, après beaucoup de peine,
Que tenons nous ? une ombre vaine,
Une vapeur, qu'on appelle plaisir.
La vertu seule est permanente,
Libre, sincère, indépendante

De la fortune et du hasard.
Toutes les fois qu'elle est absente,
La vie est un colin-maillard.

139. Justice the Basis of Greatness.

Autrefois dans Bagdad le calife Almamon
Fit bâtir un palais plus beau, plus magnifique,
Que ne le fut jamais celui de Salomon.

Cent colonnes d'albâtre en formoient le portique;
L'or, le jaspe, l'azur, décoroient le parvis;
Dans les appartements, embellis de sculpture,
Sous des lambris de cèdre, on voyoient réunis
Et les trésors du luxe et ceux de la nature,
Les fleurs, les diamants, les parfums, la verdure,
Les myrtes odorants, les chefs-d'œuvre de l'art,
Et les fontaines jaillissantes

Roulant leurs ondes bondissantes

A côté des lits de brocard.

Près de ce beau palais, juste devant l'entrée,
Une étroite chaumière, antique et délabrée,
D'un pauvre tisserand étoit l'humble réduit.
Là, content du petit produit

D'un grand travail, sans dettes et soucis pénibles,
Le bon vieillard, libre, oublié,
Couloit des jours doux et paisibles;

Point envieux, point envié.

J'ai déjà dit que sa retraite

Masquoit le devant du palais.

Le visir veut d'abord, sans forme de procès,

Qu'on abatte la maisonnette;

Mais le calife veut que d'abord on l'achète.

Il fallut obéir: on va chez l'ouvrier,

On lui porte de l'or. Non, gardez votre somme,
Répond doucement le pauvre homme;

Je n'ai besoin de rien avec mon atelier:

Et, quant à ma maison, je ne puis m'en défaire ;
C'est là que je suis né, c'est là qu'est mort mon père,
Je prétends y mourir aussi.

Le calife, s'il veut, peut me chasser d'ici,
Il peut détruire ma chaumière :

Mais, s'il le fait, il me verra

Venir, chaque matin, sur la dernière pierre
M'asseoir et pleurer ma misère.

Je connois Almamon, son cœur en gémira.
Cet insolent discours excita la colère
Du visir, qui vouloit punir ce téméraire,
Et sur-le-champ raser sa chétive maison.
Mais le calife lui dit: Non,

J'ordonne qu'à mes frais elle soit réparée;
Ma gloire tient à sa durée:

Je veux que nos neveux, en la considérant,
Y trouvent de mon règne un monument auguste;
En voyant le palais ils diront: Il fut grand;
En voyant la chaumière ils diront: Il fut juste.

21*

« PreviousContinue »