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L'un l'autre ils vont se mesurant,

Hérissent de leur cou l'ondoyante crinière;
De leur terrible queue ils se frappent les flancs,
Et s'attaquent avec de tels rugissements,

Qu'à ce bruit, dans le fond de leur sombre tanière,
Les tigres d'alentours vont se cacher tremblants.
Egaux en vigueur, en courage,

Ce combat fut plus long qu'aucun de ces combats,
Qui d'Achille au d'Hector signalèrent la rage;
Car les dieux ne s'en mêlaient pas.

Après une heure ou deux d'efforts et de morsures,
Nos héros fatigués, déchirés, haletants,

S'arrêtent en même temps.

Couverts de sang et de blessures,

N'en pouvant plus, morts à demi,

Se traînant sur le sable, à la source ils vont boire :
Mais, pendant le combat, la source avait tari.

Ils expirent auprès.

Vous lisez votre histoire,

Malheureux insensés, dont les divisions,

L'orgueil, les fureurs, la folie,

Consument en douleurs le moment de la vie.
Hommes, vous êtes ces lions;
Vos jours, c'est l'eau qui s'est tarie.

132. Indiscretion often leads to Crime.

Mon frère, sais-tu la nouvelle ?

Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflar vient, dit-on, de manger

Le petit agneau noir, puis la brebis sa mère,
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.

-Seroit-il vrai ?—Très-vrai, mon frère.
-A qui donc se fier? grands dieux !

C'est ainsi que parloient deux moutons dans la plaine;
Et la nouvelle était certaine.

Mouflar, sur le fait même pris,
N'attendoit plus, que le supplice;

Et le fermier vouloit qu'une prompte justice
Effrayât les chiens du pays.

La procédure en un jour est finie.
Mille témoins pour un déposent l'attentat :
Récolés, confrontés, aucun d'eux ne varie;
Mouflar est convaincu du triple assassinat.
Mouflar recevra donc deux balles dans la tête
Sur le lieu même du délit.

A son supplice qui s'apprête
Toute la ferme se rendit.

Les agneaux de Mouflar demandèrent la grâce;
Elle fut refusée. On leur fit prendre place;
Les chiens se rangèrent près d'eux,
Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse,
Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux.
Tout le monde attendoit dans un profond silence.
Mouflar paroît bientôt, conduit par deux pasteurs :
Il arrive; et levant au ciel ses yeux en pleurs,
Il harangue ainsi l'assistance:

O vous qu'en ce moment je n'ose et je ne puis
Nommer, comme autrefois, mes frères, mes amis,
Témoins de mon heure dernière,

Voyez où peut conduire un coupable désir !
De la vertu quinze ans j'ai suivi la carrière,
Un faux pas m'en a fait sortir.

Apprenez mes forfaits. Au lever de l'aurore,
Seul auprès du grand bois, je gardois le troupeau,
Un loup vient, emporte un agneau,

Et tout en fuyant le dévore.

Je cours, j'atteins le loup, qui, laissant son festin, Vient m'attaquer : je le terrasse,

Et je l'étrangle sur la place.

C'étoit bien jusque là: mais, pressé par la faim,
De l'agneau dévoré je regarde le reste,
J'hésite, je balance....A la fin, cependant,
J'y porte une coupable dent:

Voilà de mes malheurs l'origine funeste.
La brebis vient dans cet instant,
Elle jette des cris de mère......

La tête m'a tourné, j'ai craint que la brebis
Ne m'accusât d'avoir assassiné son fils;
Et pour la forcer à se taire,
Je l'égorge dans ma colère.
Le berger accourut armé de son bâton;
N'espérant plus aucun pardon,

Je me jette sur lui: mais bientôt on m'enchaîne,
Et me voici prêt à subir

De mes crimes la juste peine.
Apprenez tous, en me voyant mourir,

Que la plus légère injustice

Aux forfaits les plus grands peut conduire d'abord;
Et que dans le chemin du vice,

On est au fond du précipice,

Dès qu'on met un pied sur le bord.

133. The Wisest need Advice.

Un jour l'oiseau de Jupiter,

Côtoyant les bords de la mer,

Fit rencontre d'une huître. Il l'aurait dévorée
Très-volontiers; mais l'huître tenait bon
Contre les coups de bec, et se tenait serrée
Sans vouloir ouvrir sa maison.

Toute huître qu'elle était elle avait bien raison:
Il ne faut pas chez nous donner entrée
A gens pareils. L'aigle ne savait plus

Comment s'y prendre. Après maints efforts superflus,
Il consulta sur cette affaire

Un docteur du canton: c'était un vieux Vautour.
Maître Gonin, qui savait plus d'un tour.
"Ouvrir l'huître, seigneur, est chose aisée à faire,"
Répondit le subtil escroc;

66 Faites-la tomber sur un roc,

Mais de bien haut, voilà tout le mystère."
L'aigle le croit. Il vole au haut des cieux.
Sans se douter de sa surprise,

Laisse tomber l'écaille, qui se brise,
Et fait voir en s'ouvrant un mets délicieux.
Mais d'en tâter, qui des deux eut la joie?

Ce fut notre larron.

Il fondit sur la proie

Dans le moment, et l'aigle, de retour,

Vit qu'il avait ouvert l'huître pour le vautour.

134. Interest knows neither Reason nor Justice

Avec un travail assidu,

Avec une grande industrie,
Une araignée avait tendu

Ses filets dans une écurie.

Une mouche survint, qui, ne la voyant pas,
Voltigeait à l'entour, et prenait ses ébats.
Bon jour, venez me voir, lui dit la filandière,
J'ai de sucre et de miel ample provision,
Profitez de l'occasion,

Je vous régalerai, nous ferons chère entière.
La mouche trop crédule approche, mais hélas!
Aussitôt la pauvrette est prise dans le lacs.
Elle fait mille efforts pour se tirer d'affaire,
Plus d'espoir, plus de liberté !

Il faut mourir ! l'insecte sanguinaire
Se jette sur la mouche avec avidité.

-Quel mal vous ai-je fait, lui dit l'infortunée ? Pour quel crime inconnu suis-je donc condamnée A souffrir les rigueurs de votre cruauté,

Lorsque je crois chez vous trouver un sûr asile ? -Il est vrai que jamais tu ne m'as fait de mal, Répond le venimeux et perfide animal;

Mais ta mort me peut être utile;

Je m'embarrasse peu qu'elle soit juste ou non :
Lorsque je t'arrache la vie

C'est à mon intérêt que je te sacrifie,
Et ce n'est point à la raison.

135. Nature never Flatters.

Au temps jadis une femelle

Sans agréments, sans esprit, sans beauté,
Et pourtant pas sans vanité,

Désira son portrait. Vint un enfant d'Apelle,

Qui lorgna, dessina, mais surtout qui vanta

Toutes les grâces du modèle.

Vous êtes charmant, lui dit-elle;

Mais ne me flattez point. Le peintre la flatta.
Le portrait fait, il l'apporta.

Dieux, quel plaisir ! ô surprise charmante !

Mais c'est bien moi ! mais, mais j'y suis parlante !
Parents, voisins sont accourus,

Qui répétèrent en chorus:

"Il est parlant! mais c'est à s'y méprendre, Si ce n'est que madame a l'air encore plus tendre, Le coloris plus frais, plus de feu dans les yeux : A cela près le portrait est au mieux.” Ainsi, dans l'art croyant voir la nature, L'original admirait la peinture,

Sans se lasser de la revoir;

Quand par malheur la folle aperçoit un miroir.

Ciel, quelle horreur ! dieux, quelle glace impure ! Que ce verre est mauvais ! que ce miroir est faux; Il m'a renversé la figure.

Vite au miroir elle tourna le dos,

Et caressa la miniature.

On chérit le flatteur qui cache nos défauts,
On fuit l'ami qui les censure.

136. Union is Strength,

Un vieillard, près d'aller où la mort l'appeloit,
Mes chers enfants, dit-il (à ses fils il parloit),
Voyez si vous romprez ces dards liés ensemble:
Je vous expliquerai le noeud qui les assemble.
L'aîné les ayant pris, et fait tous ses efforts,
Les rendit, en disant: Je le donne aux plus forts.
Un second lui succède, et se met en posture;
Mais en vain. Un cadet tente aussi l'aventure.
Tous perdirent leur temps, le faisceau résista:
De ces dards joints ensemble un seul ne s'éclata,
Foibles gens dit le père: il faut que je vous montre :
Ce
que ma force peut en semblable rencontre.

On crut qu'il se moquoit, on sourit, mais à tort :
Il sépare les dards, et les rompt sans effort.

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