Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide : Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés;
Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez. Ainsi, sans que jamais notre amitié décide Qui de nous deux remplit le plus utile emploi. Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.
120. One good Turn deserves another.
Un lion, décrépit, goutteux, n'en pouvant plus, Vouloit que l'on trouvâit remède à la vieillesse. Alléguer l'impossible aux rois, c'est un abus. Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des médecins : il en est de tous arts. Médecins au lion viennent de toutes parts; De tous côtés lui vient des donneurs de recettes. Dans les visites qui sont faites,
Le renard se dispense, et se tient clos et coi. Le loup en fait sa cour, daube, au coucher du roi, Son camarade absent. Le prince tout à l'heure Veut qu'on aille enfumer renard dans sa demeure, Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté; Et sachant que le loup lui faisoit cette affaire : Je crains, sire, dit-il, qu'un rapport peu sincére Ne m'ait à mépris imputé
D'avoir différé cet hommage : Mais j'étois en pélerinage,
Et m'acquittois d'un vœu fait pour votre santé. Même j'ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants; leur ai dit la langueur Dont votre majesté craint à bon droit la suite. Vous ne manquez que de chaleur, Le long âge en vous l'a détruite : D'un loup écorché vif appliquez-vous la peau Toute chaude et toute fumante :
Le secret sans doute en est beau Pour la nature défaillante,
Messire loup vous servira,
S'il vous plaît, de robe de chambre. Le roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre Messire loup. Le monarque en soupa, Et de sa peau s'enveloppa.
121. Rank gives force to Example.
Un roi de Perse certain jour Chassait avec toute sa cour. Il eut soif, et dans cette plaine
On ne trouvait point de fontaine.
Près de là seulement était un grand jardin, Rempli de beaux cédras, d'oranges, de raisin: A dieu ne plaise que j'en mange !
Dit le roi, ce jardin courrait trop de danger : Si je me permettais d'y cueillir une orange, Mes visirs aussitôt mangeraient le verger.
122. Self-Love sees no Decay.
Le bon Jupin, comme on sait, a doté Chaque animal d'une propriété Qui le distingue et fait son apanage; Les uns ont la légèreté,
D'autres la force et le courage : L'oiseau vole, le poisson nage.
L'homme raisonne; il eut pour son partage La sagesse et l'habileté :
Les femmes eurent la beauté, Qui vaut encor bien davantage. Après avoir fait cet ouvrage Jupiter croyait bonnement Qu'un aussi juste arrangement N'exciterait aucun murmure, Et de la part de chaque créature Lui vaudrait un remercîment.
On murmura pourtant les femmes se plaignirent, Et dans leur requête établirent
Que le céleste réglement,
En paraissant leur faire un sort charmant, Ne leur offrait qu'un bien de si courte durée, Que c'est l'affaire d'un moment :
Elles invitaient l'empirée
A reformer leur traitement, Et demandaient expressément Que leur beauté devînt un don à vie, Sans que jamais on pût la voir suivie Du moindre petit changement.
Jupiter a bon cœur : il reçut la requête
En monarque indulgent toujours prêt d'obliger; Mais aussi, comme il a bon sens et bonne tête, Il ne prétendit rien changer
Au cours constant de la nature.
La beauté conserva sa passagère allure, Et le beau sexe en dut passer par-là; Mais Jupiter le consola
En lui donnant l'amour-propre qui dure Toute la vie, et même par-delà.
Vanity the Preservative of Beauty.
Les femmes, trouvant à redire
A ce qu'ayant du ciel obtenu la beauté,
Le terme en fût si limité
Qu'elles pouvaient à peine exercer son empire, Sur cet injuste arrêt des cieux
Furent porter leur plainte au souverain des dieux. Jupiter, ne pouvant faire une loi nouvelle, Ni changer le décret par le destin porté, Pour consoler l'esprit femelle,
Leur fit don de la vanité. La laide alors crut être belle, Ou
par des soins assidus Croyait du moins le paraître; Celle qui ne l'était plus S'imagina toujours l'être.
124. The feeblest Sinners the most criminal.
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enricher en un jour l'Achéron,
Faisoit aux animaux la guerre.
Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés : On n'en voyoit point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie; Nul mets n'excitoit leur envie : Ni loups, ni renards n'épioient La douce et l'innocente proie; Les tourterelles se fuyoient :
Plus d'amour, partant plus de joie. Le lion tint conseil, et dit: Mes chers amis, Je crois que le ciel a permis Pour nos péchés cette infortune :
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux : Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents On fait de pareils dévoûments.
Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétis gloutons, J'ai dévoré force moutons.
Que m'avoient-ils faits? nulle offense. Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le berger.
Je me dévoûrai donc, s'il le faut : mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi; Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.
Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi; Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, seigneur, En les croquant, beaucoup d'honneur.
Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il étoit digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses :
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, Au dire de chacun, étoient de petits saints. L'âne vint à son tour, et dit : J'ai souvenance Qu'en un pré de moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense, Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avois nul droit, puisqu'il faut parler net. A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue Qu'il falloit dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venoit tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable! Rien que la mort n'étoit capable
D'expier son forfait. On le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
125. Virtue the true Source of Happiness.
La santé, la vertu, les plaisirs, la richesse, Du bonheur des humains, ces quatre grands moteurs, Comparurent un jour aux beaux jeux de la Grece. Chacun de ces compétiteurs
Prétendait hautement que l'homme Lui devait le souverain bien, Et concluait par demander la pomme. La Richesse au brillant maintien,
Disait De tous les biens, c'est moi qui suis la mère, Puisqu'on peut avec moi se les procurer tous. Vous vous trompez, répliquait sans courroux Le Plaisir; car enfin, ma chère,
On ne veut vous avoir que pour me posséder. La Santé dit: Je vais vous accorder,
Votre débat est inutile:
Vous disputez un prix qui m'appartient :
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