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Qu'il allât ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,
On l'eût pris de bien court à moins qu'il ne songeât
A l'endroit où gisoit cette somme enterrée.

Il

y fit tant de tours, qu'un fossoyeur le vit, Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.

Notre avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs: il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.

Un passant lui demande à quel sujet ces cris.
-C'est mon trésor que l'on m'a pris.

-Votre trésor ! où pris ?-Tout joignant cette pierre.
-Eh! sommes-nous en temps de guerre

Pour l'apporter si loin? N'eussiez-vous pas mieux fait De le laisser chez vous en votre cabinet

Que de le changer de demeure?

Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.
-A toute heure! bon dieu! ne tient-il qu'à cela ?
L'argent vient-il comme il s'en va ?

Je n'y touchois jamais.-Dites-moi donc, de grâce,
Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant :
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent,
Mettez une pierre à la place,

Elle vous vaudra tout autant.

115. Beauty is Transient, Virtue Immortal.
Plus jalouse encore que belle,

La rose à ses côtés voyant une immortelle,
La prit pour sa rivale; et sur elle soudain
Jetant un regard de dédain :
Comment peux-tu, lui dit-elle,
Oser te comparer à moi,

Ou me croire semblable à toi ?
N'est-il donc entre nous aucune différence ?
Contemple mon éclat; regarde tes couleurs.
Quoi je suis la reine des fleurs,

Et je n'obtiendrais pas sur toi la préférence ?
Oh! je n'aurais pas l'imprudence

De vous le disputer, lui dit avec douceur
L'immortelle modeste et pleine de candeur,

Je connais votre éclat; ma vue en est ravie,

Mais cet éclat éblouissant

N'excite point ma jalousie.

Un bien n'est précieux que lorsqu'il est constant;
Et du soir au matin votre beauté flétrie
Ne brille que quelques instants.
Glorifiez-vous donc des charmes attrayants
Dont les dieux vous ont embellie;
Bien que mes traits soient moins brillants,
Comme ils ne craignent pas les outrages des ans,
Je ne vous porte point envie.

J'aime mieux briller moins, et briller plus long-temps.
Dans ces deux fleurs on voit une image fidèle
De la vertu, de la beauté.

La vertu vit et dure autant que l'immortelle;
La beauté de la rose a la fragilité.

116. Busy-Bodies are always a Nuisance. Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiroient un coche.

Femmes, moine, vieillards, tout étoit descendu :
L'attelage suoit, souffloit, étoit rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,
Elle s'en attribue uniquement la gloire;
Va, vient, fait l'empressée: il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,

Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disoit son bréviaire :

Il prenoit bien son temps! Une femme chantoit :

C'étoit bien de chansons qu'alors il s'agissoit !
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la mouche aussitôt :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Cà, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.

Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires ;

Ils font partout les nécessaires,

Et, partout importuns, devroient être chassés.

117. A Hypocrite worse than an open Villain.
Vers la brune, un renard rencontre une brebis.
Vous vous écartez trop, ma chère,
Du berger et des chiens. Ecoutez mes avis:
Le loup vous guette; il est dans la bruyère;
Le voilà qui paraît; retournez au logis;
Fuyez, il vous atteint...Bon, la voilà sauvée.
La pauvrette enfin arrivée,

Moutons de l'entourer, parlant tous à la fois :
Où t'es-tu donc perdue? était-ce au fond des bois ?
N'as-tu pas vu le loup?
Il est bien laid, je gage.

Est-il gros ? a-t-il l'air sauvage ?

Une course forcée, et surtout la frayeur,
D'un long saisissement avaient frappé la belle;
Et reprenant ses sens et sa vigueur,

Grâce au seigneur renard j'existe encor, dit-elle;
Vous devez mes jours à son zèle.

On bénit le renard; il eut un grand renom
D'humanité chez le peuple mouton,

Et s'attira toute sa confiance.

Mais le loup le tança de la bonne façon :
Ami, dit-il, en conscience,

Des troupeaux, des bergers, tous les deux ennemis,
Devais-tu me tromper quand tu m'avais promis

De m'aider de ta ruse, et de là le partage!

Je veux rompre avec toi, cœur double et sans courage.

Et le renard

Vraiment j'ai payé mon écot

Tu ne me comprends pas, mon cher; tu n'es qu'un sot; Je sauve une brebis, et trente vont me suivre; Adroitement alors je te les livre.

Oh! nous serions moins fin, moins dangereux Si nous n'étions jamais ni bons ni généreux, Avis à la gent moutonnière:

On doit moins craindre un loup qu'un renard débonnaire.

118. A Patron is not always a Sage.

Un homme riche, sot et vain,

Qualités qui parfois marchent de compagnie,
Croyait pour tous les arts avoir un goût divin,
Et pensait que son or lui donnait du génie.
Chaque jour à sa table on voyait réunis

Peintres, sculpteurs, savants, artistes, beaux esprits,
Qui lui prodiguaient les hommages,

Lui montraient des dessins, lui lisaient des ouvrages,
Ecoutaient les conseils qu'il daignait leur donner,
Et l'appelaient Mécène en mangeant son dîner.
Se promenant un soir dans son parc solitaire,
Suivi d'un jardinier, homme instruit et de sens,
Il vit un sanglier qui labourait la terre,

Comme ils font quelquefois pour aiguiser leurs dents.
Autour du sanglier, les merles, les fauvettes,
Surtout les rossignols, voltigeant, s'arrêtant,
Répétaient à l'envi leurs douces chansonnettes,
Et le suivaient toujours chantant.
L'animal écoutait l'harmonieux ramage
Avec la gravité d'un docte connaisseur;
Baissait parfois sa hure en signe de faveur,
Ou bien, la secouant, refusait son suffrage.
Qu'est ceci? dit le financier :

Comment les chantres du bocage

Pour leur juge ont choisi cet animal sauvage?
Nenni, répond le jardinier :

De la terre par lui fraîchement labourée,
Sont sortis plusieurs vers, excellente curée
Qui seule attire ces oiseaux;

Ils ne se tiennent à sa suite

Que pour manger ces vermisseaux,

Et l'imbécile croit que c'est pour son mérite.

119. The Unfortunate may aid each other.
Aidons-nous mutuellement,

La charge des malheurs en sera plus légère;
Le bien que l'on fait à son frère

Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.
Confucius l'a dit; suivons tous sa doctrine :
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contoit le trait suivant.

Dans une ville de l'Asie

Il existait deux malheureux,

L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux
Ils demandaient au ciel de terminer leur vie :
Mais leurs cris étaient superflus,

Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint; il en souffrait bien plus.
L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,

Etait sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l'aimer et pour le conduire.
Un certain jour il arriva

Que l'aveugle, à tâtons, au détour d'une rue,

Près du malade se trouva;

Il entendit ses cris, son âme en fut émue.
Il n'est tels que les malheureux

Pour se plaindre les uns les autres.

J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres :
Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.
Hélas! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas;
Vous-même vous n'y voyez pas

A quoi nous servirait d'unir notre misère !
A quoi? répond l'aveugle, écoutez à nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire;
J'ai des jambes, et vous des yeux :

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