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Dit le Talent, il peut arriver

Qu'on s'égare.-On le peut, sans doute,
Dit Vertu; dans ce cas, comment nous retrouver ?
Réputation dit: il faut donc que d'avance,
Vous me donniez des signes assurés,

Qui, si je vous perdais, me donnent connaissance
A peu près, pour le moins, des lieux où vous serez.
-Soit, dit Talent. Partout où vous verrez
Du progrès dans les arts, du goût dans les ouvrages,
Prose ou vers marqués au bon coin,

Tableaux riants, sculpture enlevant les suffrages,
Cherchez-moi là, je ne serai pas loin.
-Moi, dit Vertu, je serai moins facile
A retrouver si l'on me perd.

Il ne faudra pas trop me chercher à la ville;
Je serai bien plutôt cachée en un désert.

Mais cependant où vous verrez paraître
Des riches bienfaisants par le pauvre attendris;
Des amis empressés, faisant gloire de l'être
Pour les amis que le sort a proscrits;
De fidèles époux, des juges équitables,
Des ministres zélés, des vainqueurs raisonnables,
Aimant le bien public et n'aimant que cela;

Demandez-moi, je serai là.

-Fort bien, je ne puis m'y méprendre,
Répartit Réputation.

A mon égard, il n'est qu'une précaution
Que je vous conseille de prendre.
Gardez-moi bien; ayez attention
A ne me point perdre de vue :

Pour peu que vous m'cussiez perdue,
Tous signes seraient superflus.

Qui me perd une fois ne me retrouve plus.

83 The God of the Sick is the God of the Well also. Un faucon qui croyait les dieux muets et sourds,

Etant à son heure dernière,

D'un lamentable ton sollicita sa mère

D'aller en sa faveur implorer leur secours.

-Mon enfant, lui dit-elle en mère habile et sage,
Pendant que tu te portais bien,

Tu disais qu'ils ne pouvaient rien;
Ils ne peuvent rien davantage.

84. Sound Fruit will not restore the Rotten.

Un riche Portugais avait un jeune enfant,
Unique appui de sa vieillesse.

Ce père avait pour lui la plus vive tendresse;
Mais son amour sage et prudent

N'avait rien de cette faiblesse

Qui rend plus d'un mentor souvent trop indulgent.
Sur les mœurs de son fils comme il veillait sans cesse,
Il s'aperçut qu'il hantait des amis

Dont les discours et la licence
Pouvaient nuire à son innocence.

Il lui parle, et d'abord, par de sages avis,
Il lui peint le péril de cette connaissance;
Mais, comme l'écolier, rempli de confiance,
Continuait toujours à braver le danger,
Le père, pour le corriger,
Mit en œuvre cet artifice.
Un jour que son jeune novice
S'était éloigné du logis,

Il remplit un panier d'oranges bien choisies,
En mêle tout au plus deux ou trois de pourries,
Et fait à son retour ce présent à son fils.
L'enfant tressaille d'allégresse;

Mais, en voyant les fruits pourris,
Y pensez-vous, papa, dit-il avec tristesse,
Bientôt ces fruits gâtés gâteront tous les bons?
Point du tout, répondit le père :

Je me flatte de voir arriver le contraire.

Pour nous en convaincre, attendons,

Et tenons quelques jours ce panier dans l'armoire;
Après cela nous jugerons

Qui de nous deux il fallait croire.

Le fils consent à tout, on ferme le panier :

Cinq ou six jours après on en fait l'ouverture;

Mais ce n'était, hélas ! qu'un tas de pourriture.
Je l'avais bien prévu, dit alors l'écolier,
Papa, pourquoi ne pas vous rendre
A l'avis que je proposais?

Et vous, mon fils, reprit le père tendre,
Pourquoi si long-temps vous défendre
Des conseils que je vous donnais,
Lorsque je m'attachais à vous faire comprendre
Que si vous fréquentiez des amis vicieux,
Vous le seriez bientôt comme eux ?
De quelques fruits gâtés vous déplorez la perte;
On peut facilement réparer ce malheur.
Mais, mon fils, si votre pudeur,
De la tache du vice était jamais couverte,
Combien, hélas! de justes pleurs
Ne verserait pas votre père,

Et comment réparer la perte de vos mœurs.
Le fils, de la leçon, comprit tout le mystère;
Et le souvenir salutaire

De cet accident instructif
Lui servit de préservatif

Contre l'exemple impur d'une folle jeunesse.

C'est pour vous, imprudents, que j'ai fait ce récit.
Que ce conseil plein de sagesse,

Toujours gravé dans votre esprit,

Sur le choix des amis en tout temps vous dirige:
"Le commerce des bons rarement nous corrige,
"Mais celui des méchants toujours nous pervertit.

85. The Example of a Parent more powerful than the Precepts of a Teacher.

Monsieur, je vous confie un enfant précieux,
Disait au gouverneur un père de famille;
Rendez ce cher enfant, seul objet de mes vœux,
Aussi modeste qu'une fille

(Le père était un orgueilleux);

Qu'il aime la vertu (le père aimait le vice);

Puisse-t-il par vos soins détester l'injustice

(Le père était injuste). Austère vérité !
Que jamais de vos lois mon cher fils ne s'écarte,
(Le père était menteur); que jamais une carte
Ne paraisse en un lieu par mon fils habitè,
(Le père, par le jeu, se trouvait endetté).
Comment se conduisit l'élève? A l'ordinaire :
Il se moqua du maître; il imita son père.

86. Vanity the Wife of Folly.

Dans les temps reculés de la Mythologie,
Au beau milieu de la céleste cour,
On vit naître le même jour
L'Amour-propre et la Modestie.

Ce couple, dit Jupin, nous vient fort à propos.
La Modestie, avec les sots,

Ira toujours de compagnie;
L'Amour-propre, au contraire, ira chez le Génie,
Et le consolera de ses nombreux travaux.
Mais le Destin à barbe grise,

En décida bien autrement.

Ah, vous le devinez sans que je vous le dise;
La Modestie épousa le Talent,

Et l'Amour-propre épousa la Sottise.

87.

Fools rush in where Wise Men dare not tread. Quatre animaux divers et d'instinct et de nom, Dom coursier à l'humeur altière,

Robin mouton, le débonnaire,

Tête froide le bœuf et maître Aliboron,
Mourant de faim parmi les joncs du marécage,
Convoitaient un gras pâturage

Qu'en vain ils cotoyaient de près,

Et dont Martin bâton leur défendait l'accès.
Tous quatre dévoraient des yeux l'herbe fleurie ;
Mais Martin d'en goûter faisait passer l'envie.
Robin, tremblant comme un mouton,

En songeant au danger, oubliait la disette;
Dom coursier, pour ses faits prôné dans la gazette,
Perdait tout son courage à l'aspect du bâton.

Le bœuf après mûre réflexion

Abandonnait ses projets de conquête.
Tandis qu'ils ruminaient, l'intrépide grison,
Sans tant travailler de la tête,

Du gardien redoutable affronta le courroux.
On a beau le frapper, on ne peut s'en défaire :
Le ladre sans pudeur avance sous les coups;
D'un saut victorieux il franchit la barrière;
Et le voilà dans l'herbe enfin jusqu'aux genoux,
Se vautrant, gambadant et broutant sans rancune.
Ses discrets compagnons le poursuivaient en vain
De leurs regards jaloux amis, dit le roussin,
Voilà comme l'on fait fortune.

88. The Artificial Flower lacks Perfume. Sur les humides bords d'un vase rempli d'eau, Une rose jolie,

Et fraîchement cueillie,

Etalait son carmin et son parfum nouveau.
Avec art travaillée,

Des plus vives couleurs richement émaillée,
A ses côtés une autre paraissait;
Comme elle, au gré du vent, elle se balançait;
Mais l'art a vait formé sa parure nouvelle,
En imitant si bien sa forme et sa fraîcheur,
Qu'on l'aurait prise pour sa sœur,
Tant elle semblait belle.

Séduit par les mêmes couleurs,

Le papillon léger, dans sa course rapide,
Voltigeait auprès des deux fleurs.
L'inconstance est, dit-on, son guide,

Il aime à partager ses jeux et ses penchants;
Pourtant il se fixa sur la rose des champs.
Bourdonnant son salut, l'abeille industrieuse,
Sur la rose de soie enfonce l'aiguillon;
Mais du faux vermillon

A peine elle a senti l'odeur fastidieuse,
Qu'exprimant sa surprise et sa mauvaise humeur,
Elle part, et soudain vole vers l'autre fleur.

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