Page images
PDF
EPUB

Répondit le glouton. Quel sort délicieux!
Quel bienfait signalé de la faveur des dieux,
Que d'apaiser sa faim dans un gras pâturage
Tout parsemé de fleurs, abondant en herbage,
Et d'étancher sa soif au bord d'un clair ruisseau,
A l'abri des chasseurs et du mortel réseau ?
Le mouton répartit, (se taire était plus sage),
Vous ne mangez jamais la chair des animaux ;
Et vous vous nourrissez de simples végétaux ?
S'il est ainsi, vivons en harmonie,

Et parcourons ces lieux de compagnie

L'imprudent animal sort du parc dans le champ
Où le loup, sans pitié, le dévore à l'instant.
Défiez-vous de l'homme au double et faux visage,
Qui fait de ses vertus un pompeux étalage.

Le discours, trop souvent, n'est qu'un masque trompeur,
C'est par les actions qu'il faut juger du cœur.

58.

The Unfortunate cease to be Enemies.

Pourquoi donc aujourd'hui sortons-nous si matin,
Disait une génisse en courant vers sa mère ?
Et même, contre l'ordinaire,

Vous marchez un assez bon train.
-Ma fille, je vais voir la chèvre, ma voisine;
Un loup, qui vient ici rôder à la sourdine,
Lui prit hier ses deux enfants;
Voulant les arracher à la bête cruelle,
On dit qu'elle en reçut une atteinte mortelle ;
Et je cours lui porter de simples restaurants.
-Quoi! la chèvre du voisinage

Exciterait votre pitié ?

Déjà vous auriez oublié

Que tous les jours dans notre pâturage
Elle vient nous braver, nous causer du dommage
Pillant, volant, broutant notre pacage!

Le canton retentit toujours de vos débats.
Aller la visiter, et même dès l'aurore!

Si j'osais, je dirais que vous dormez encore.

Chez elle, croyez-moi, ne portez point vos pas;

Elle se vante enfin d'être votre ennemie.

-Il est vrai : mais, ma chère, elle perds ses petits,
J'oublìrai tous ses torts, en écoutant ses cris ;
Car déjà je suis attendrie

Sur son danger, sur sa douleur ;

La laisser sans secours, cela m'est impossible :
Mon enfant, c'est l'effet que produit le malheur;
Il éloigne de nous le méchant, l'insensible,
Il en rapproche le bon cœur.

59. Forbearance outlives Offence.

Pourquoi, charmante sensitive,
Disait à cette fleur un chardon son voisin,
Furtivement éclos dans le même jardin,
Vous voit-on, pudique et craintive,

Au moindre attouchement resserrer votre sein?
Je suis un peu moins débonnaire ;
L'indiscret qui m'approche éprouve mon courroux.
Repoussez, croyez-moi, le premier téméraire
Qui portera les doigts sur vous.
Ce n'est pas là mon caractère,
Lui répondit notre modeste fleur.
Qui, moi, montrer de la colère !
Ce serait renoncer à la paix qui m'est chère,
Et compromettre mon bonheur.
Tenez, voisin, je suis sincère;
Votre penchant à vous venger
Pourra vous devenir funeste;

Car les méchants on les déteste :

Et quelquefois....la fleur n'acheva pas le reste.
Le jardinier s'approche, un serpe à la main ;
Il donne tous ses soins à l'aimable fleurette,
Mais il voit le chardon, et mon homme soudain,
En coupe la tige et la jette

Hors de l'enceinte du jardin.

60. The Leopard does not change his Spots. Parmi de certains coqs incivils, peu galants, Toujours en noise et turbulents, Une perdrix était nourrie.

Son sexe et l'hospitalité,

De la part de ces coqs, peuple à l'amour porté,
Lui faisait espérer beaucoup d'honnêteté :
Ils feraient les honneurs de la ménagerie.
Ce peuple cependant fort souvent en furie,
Pour la dame étrangère ayant peu de respect,
Lui donnait fort souvent d'horribles coups de bec.
D'abord elle en fut affligée;

Mais sitôt qu'elle eut vu cette troupe enragée
S'entrebattre elle-même et se percer les flancs,
Elle se consola. Ce sont leurs mœurs, dit-elle :
Ne les accusons point, plaignons plutôt ces gens.
Jupiter sur un seul modèle,

N'a pas formé tous les esprits.

Il est des naturels de coqs et de perdrix.

61.

Interest makes the Bat a Bird or Beast.

Un chat, le plus gourmand qui fut,

N'ayant d'autre ami que son ventre,

Fondit sur un serin, et sans respect du chantre
L'étrangla net, et s'en reput.

Le serin et le chat vivaient sous même maître.
A peine aperçoit-on le meurtre de l'oiseau,
Que l'on jure la mort du traître,
Chacun veut être son bourreau ;
L'assassin l'entendit, et trembla pour sa peau.
Les vœux sont enfants de la crainte ;
Il en fit un. Si'il sort de ce danger,

De la faim la plus rude éprouvât-il l'atteinte,
Il renonce aux oiseaux, n'en veut jamais manger :
En atteste les dieux en leur demandant grâce ;
Et comme si c'était l'effet de son serment,

Le maître oublia sa menace,

Et se calma dans le moment.

Le Rominagrobis, échappé de l'orage,
Trouva deux jours après une chauve-souris.
Qu'en fera-t-il? Son vœu l'avertit d'être sage;
Son appétit glouton n'est pas du même avis.
Grand combat, embarras étrange.

Le chat décide enfin. Tu passeras ma foi,
Dit-il; en tant qu'oiseau je ne veux rien de toi,
Mais comme souris je te mange.

Le ciel peut-il s'en fächer? Non,
Se répondait le bon apôtre.

Son casuiste c'est le nôtre;
L'intérêt qui d'un mot se fait une raison.
Ce qu'on se défend sous un nom
On se le permet sous un autre.

62. Interest a liberal Expounder of Laws.

Mahomet dit dans l'Alcoran :

"Crains de manger du porc, fidèle musulman!
"Cet animal renferme une partie impure;
"Et sous les peines de l'enfer,

"Tu dois t'abstenir de sa chair."
Ce précepte, jadis, causa plus d'un murmure
Parmi quelques Imans, réunis en secret
Pour manger un cochon de lait.

Encore, dit l'un des bons apòtres,

Si, donnant au précepte un sens moins étendu,
Le prophète eût nommé le morceau défendu,
On aurait pu manger les autres ;

Mais, â cause d'un seul, les interdire tous,

C'est nous traiter en sots: amis, qu'en pensez-vous ? -Docteur, répond l'un d'eux, voici ce que je pense : L'article est délicat : voulons-nous assurer

La paix de notre conscience,

Il convient d'en délibérer ;

Or, sans me mettre ici l'esprit à la torture,
Je vais m'expliquer en deux mots :

Le morceau défendu, certes! n'est point la hure,
Mais je soutiens que c'est le dos.

-Moi, le ventre, s'écrie un des auteurs suppôts.
-Ce sont les pieds, dit un troisième.
Pour l'oreille et la queue, on opina de même.
Après avoir bien pesé tout,

Nos dévots musulmans au cochon firent fête.
Chacun en prit selon son goût.

L'animal fut mangé des pieds jusqu'à la tête.

Ce monde est une table, ou mille conviés,

Sévères pour autrui, pour eux pleins d'indulgence,
Composent de la sorte avec leur conscience,
Et tous les plats sont nettoyés.

63. Acquaintances are not Friends.

Socrate un jour faisant bâtir,

Chacun censuroit son ouvrage :

L'un trouvoit les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage;

L'autre blâmoit la face; et tous étoient d'avis
Que les appartements en étoient trop petits.
Quelle maison pour lui! l'on y tournoit à peine.
Plût au ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine !
Le bon Socrate avait raison

De trouver pour ceux-là trop grande la maison.
Chacun se dit ami: mais fou qui s'y repose :
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.

64. An Ass without Ears is not a Horse. Un âne, je ne sais comment,

S'était fait volontairement

Couper ses deux longues oreilles.

Depuis ce moment-là, c'est un être nouveau;
Il s'aime, il se pavane et se trouve si beau,
Qu'il se mire dans chaque ruisseau;

Bref, notre âne se croit une des sept merveilles.
Eh bien ! dit-il un jour à son ami Médor,

J'ai quitté ma sotte coîffure ;

Me voilà comme toi, peut-on me dire encor

Qu'une difformité dépare ma figure ?

Toi-même, là, sois franc; ne suis-je donc pas bien?

Ami, lui répondit le chien,

Tu n'as plus qu'un défaut,—et lequel ?-c'est de braire. Des grâces de ton corps ton chant détruit l'effet:

Si tu peux, mon ami, te résoudre à te taire,

Tu seras un âne parfait.

« PreviousContinue »