Page images
PDF
EPUB

Argan. Faites-le venir, je m'en vais le prendre.

M. Purgon. Je vous aurois tiré d'affaire avant qu'il

rût peu.

Toinette. Il ne le mérite pas.

M. Purgon. J'allois nettoyer votre corps, et en évacuer entièrement les mauvaises humeurs.

Argan. Ah, mon frère !

M. Purgon. Et je ne voulois plus qu'une douzaine de médecines pour vider le fond du sac.

Toinette. Il est indigne de vos soins.

M. Purgon.

Mais puisque vous n'avez pas voulu

guérir par mes mains ;

Argan. Ce n'est pas ma faute.

M. Purgon. Puisque vous vous êtes soustrait de l'obéissance que l'on doit à son médecin ;

Toinette. Cela crie vengeance.

M. Purgon. Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je vous ordo nnois.....

Argan. Hé, point du tout.

M. Purgon. J'ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à la corruption de votre sang, à l'âcreté de votre bile, et à la féculence de vos humeurs. Toinette. C'est fort bien fait.

Argan. Mon Dieu !

M. Purgon. Et je veux qu'avant qu'il soit quatre jours, vous deveniez dans un état incurable.... Argan. Ah, miséricorde ?

M. Purgon. Que vous tombiez dans la bradipepsie ; Argan. Monsieur Purgon!

M. Purgon. De la bradipepsie dans la dispepsie ;

Argan. Monsieur Purgon!

M. Purgon. De la dispepsie dans l'apepsie ;

Argan. Monsieur Purgon!

M. Purgon. De l'apepsie dans la lienterie ;

Argan. Monsieur Purgon!

M. Purgon. De la lienterie dans la dyssenterie ;
Argan. Monsieur Purgon!

M. Purgon. De la dyssenterie dans l'hydropisie.
Argan. Monsieur Purgon!

M. Purgon. De l'hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura conduit votre folie.

(Exit, followed by Toinette.)

Argan. Ah, mon Dieu! je suis mort. Mon frère, vous m'avez perdu.

Beralde. Quoi ? qu'y a-t-il ?

Argan. Je n'en puis plus. Je sens déjà que la médecine se venge.

Beralde. Ma foi, mon frère, vous êtes fou ; et je ne voudrois pas, pour beaucoup de choses, qu'on vous vît faire ce que vous faites. Tâtez-vous un peu, je vous prie, revenez à vous-même, et ne donnez point tant à votre imagination.

Argan. Vous voyez, mon frère, les étranges maladies

dont il m'a menacé.

Beralde. Le simple homme que vous êtes ?

Argan. Il dit que je deviendrai incurable avant qu'il soit quatre jours.

Beralde. Et ce qu'il dit, que fait-il à la chose? Estce un oracle qui a parlé? Il semble, à vous entendre, que M. Purgon tienne dans ses mains le filet de vos jours, et que d'autorité suprême, il vous l'allonge et vous le raccourcisse comme il lui plait. Songez que les principes de votre vie sont en vous-même, et que le courroux de M. Purgon est aussi peu capable de vous faire mourir, que ses remèdes de vous faire vivre. Voici une aventure, si vous voulez, à vous défaire des médecins ; ou, si vous êtes né à ne pouvoir vous en passer, il est aisé d'en avoir un autre, avec lequel, mon frère, vous puissiez courir un peu moins de risque.

Argan. Ah, mon frère, il sait tout mon tempérament et la manière dont il faut me gouverner.

Beralde. Il faut vous avouer que vous êtes un homme d'une grande prévention, et que vous voyez les choses d'étranges yeux.

SCENE SECOND.

Exchange is no Robbery.

Toinette, à Argan. Monsieur, voilà an mèdecin qui demande à vous voir.

Argan. Et quel médecin ?

Toinette. Un médecin de la médecine.

Argan. Je te demande qui il est.

Toinette. Je ne le connois pas ; mais il me ressemble

comme deux gouttes d'eau.

Argan. Faites-le venir.

Beralde. Vous êtes servi à souhait.

quitte, un autre se présente.

(Exit Toinette.)

Un médecin vous

Argan. J'ai bien peur que vous ne soyez cause de quelque malheur.

Beralde. Encore ? Vous en revenez toujours là. Argan. Voyez-vous, j'ai sur le cœur toutes ces maladies-là que je ne connois point, ces....

Enter Toinette in a Physician's Dress.

Toinette. Monsieur, agréez que je vienne vous rendre visite, et vous offrir mes petits services pour toutes les saignées et les purgations dont vous aurez besoin.

Argan. Monsieur, je vous suis fort obligé. (A Beralde.) Par ma foi, voilà Toinette elle-même

Toinette. Monsieur, je vous prie de m'excuser, j'ai oublié de donner une commission à mon valet; je reviens tout-à-l'heure. (Exit.) Argan. Hé! ne diriez-vous pas que c'est effectivement Toinette?

Beralde. Il est vrai que la ressemblance est tout-àfait grande; mais ce n'est pas la première fois qu'on a vu de ces sortes de choses, et les histoires ne sont pleines que de ces jeux de la nature.

Argan. Pour moi, j'en suis surpris; et....

Enter Toinette.

Toinette. Que voulez-vous, monsieur ?

Argan. Comment ?

Toinette. Ne m'avez-vous pas appelée ?

Argan. Moi? non.

Toinette. Il faut donc que les oreilles m'aient corné. Argan. Demeure un peu ici pour voir comme ce médecin te ressemble.

Toinette.

l'ai assez vu.

Oui, vraiment ! J'ai affaire là-bas, et je

(Exit.) Argan. Si je ne les voyois tous deux, je croirois que ce n'est qu'un.

Beralde. J'ai lu des choses surprenantes de ces sortes de ressemblances ; et nous en avons vu de notre temps où tout le monde s'est trompé.

Argan. Pour moi, j'aurois été trompé à celle-là, et j'aurois juré que c'est la même personne.

Enter Toinette dressed as a Physician.

Toinette. Monsieur, je vous demande pardon de tout

mon cœur.

Argan, bas à Beralde.

Cela est admirable.

Toinette. Vous ne trouverez pas mauvais, s'il vous plaît, la curiosité que j'ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes; et votre réputation, qui s'étend partout, peut excuser la liberté que j'ai prise.

Argan. Monsieur, je suis votre serviteur.

Toinette. Je vois, monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j'aie ?

Argan. Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt- sept ans.

Toinette. Ah, ah, ah, ah ! J'en ai quatre-vingt-dix.
Argan. Quatre-vingt-dix !

Toinette. Oui. Vous voyez un effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.

Argan. Par ma foi, voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans !

Toinette Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables d'exercer les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine.

Je dédaigne de m'amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrotes, à ces vapeurs et à ces migraines. Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes petses, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine : c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe; et je voudrois, monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes, et l'envie que j'aurois de vous rendre service.

Argan. Je vous suis obligé, monsieur, des bontés que vous avez pour moi.

Toinette. Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l'on batte comme il faut. Ah! je vous ferai bien aller comme vous devez. Ouais ! Ce pouls-là fait l'impertinent je vois bien que vous ne me connoissez pas encore. Quel est votre médecin ?

Argan. Monsieur Purgon.

Toinette. Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?

Argan. Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.

Toinette. Ce sont tous des ignorans ; c'est du poumon que vous êtes malade.

Argan. Du poumon?

Toinette. Oui. Que sentez-vous ?

Argan. Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

Toinette. Justement! Le poumon.

Argan. Il me semble parfois que j'ai un voile devant

[blocks in formation]

Argan. J'ai quelquefois des maux de cœur

Toinette. Le poumon.

[ocr errors]
« PreviousContinue »