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quand nous disons quelque chose, le parterre ose nous contredire. Pour moi, j'y suis fort exact; et quand j'ai promis à quelque poète, je crie toujours, voilà qui est beau, devant que les chandelles soient allumées.

Madelon. Ne m'en parlez point, c'est un admirable lieu que Paris ; il s'y passe cent choses tous les jours qu'on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu'on puisse être.

Cathos. C'est assez, puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur tout ce qu'on dira.

Mascarille. Mesdames, que dites-vous de mon habit ? Madelon. Il faut avouer que je n'ai jamais vu porter si haut l'élégance de l'ajustement.

Mascarille. Attachez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat.

Madelon. Ils sentent terriblement bon.

Cathos. Je n'ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée.

Mascarille. Et celle-là? (Il donne à sentir les cheveux poudrés de sa perruque.)

Madelon. Elle est tout-à-fait de qualité ; le sublime en est touché délicieusement.

Mascarille.

Vous ne dites rien de mes plumes, com

ment les trouvez-vous ?

Cathos. Effroyablement belles.

Mascarille. Savez-vous que le brin me coûte un louis d'or? Pour moi, j'ai cette manie de vouloir donner généralement sur tout ce qu'il y a de plus beau.

Madelon. Je vous assure que nous sympathisons vous et moi. J'ai une delicatesse furieuse pour tout ce que je porte; et, jusqu'à mes chaussettes, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne faiseuse.

Marotte.

Enter Marotte.

Madame, on demande à vous voir.

Madelon. Qui ?

Marotte. Le vicomte de Jodelet.

Mascarille. Le vicomte de Jodelet?

Marotte. Oui, monsieur.

Cathos. Le connoissez-vous ?

Mascarille. C'est mon meilleur ami.

Madelon. Faites entrer vîtement.

Mascarille Il y a quelque temps que nous ne nous sommes vus, et je suis ravi de cette aventure.

Cathos. Le voici.

Enter Jodelet.

Mascarille. Ah, vicomte !

Jodelet, s'embrassant l'un l'autre. Ah, marquis!
Mascarille. Que je suis aise de te rencontrer !
Jodelet. Que j'ai de joie de te voir ici!

Mascarille. Embrasse-moi donc encore un peu, je te

prie.

Madelon, à Cathos. Ma toute bonne, nous commençons d'être connues, voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir.

Mascarille. Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhomme-ci; sur ma parole, il est digne d'être connu de vous

Jodelet. Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit, et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes.

Madelon. C'est pousser vos civilités jusqu'aux derniers confins de la flatterie.

Cathos. Cette journée doit être marquée dans notre almanach comme une journée bienheureuse.

Madelon, à Almanzor. Allons, petit garçon, il faut toujours vous répéter les choses. Ne voyez-vous pas qu'il faut le surcroît d'un fauteuil ?

Mascarille. Ne vous étonnez pas de voir le vicomte de la sorte, il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle, comme vous le voyez.

Jodelet. Ce sont fruits des veilles de la cour et des fatigues de la guerre.

Mascarille. Savez-vous, mesdames, que vous voyez dans le vicomte un des vaillans hommes du siècle ? C'est un brave à trois poils.

Jodelet. Vous ne m'en devez rien, marquis, et nous savons ce que vous savez faire aussi

Mascarille. Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion.

Jodelet. Et dans des lieux où il faisoit fort chaud. Notre connoissance s'est faite à l'armée; et la première fois que nous nous vîmes, il commandoit un régiment de cavalerie sur les galères de Malte.

Mascarille. Il est vrai, mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse; et je me souviens que je n'étois que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux.

Jodelet. La guerre est une belle chose; mais, ma fòi, la cour récompense bien mal aujourd'hui les gens de service comme nous.

Mascarille. C'est ce qui fait que je veux pendre l'épée

au croc.

Cathos. Pour moi, j'ai un furieux tendre pour les hommes d'épée.

Madelon. Je les aime aussi; mais je veux que l'esprit assaisonne la bravoure.

Mascarille. Te souvient-il, vicomte, de cette demilune que nous emportâmes sur les ennemis au siége d'Arras?

Jodelet. Que veux-tu dire avec ta demi-lune ? C'étoit bien une lune toute entière.

Mascarille. Je pense que tu as raison. Mais dis-moi, vicomte, as-tu là ton carrosse ?

Jodelet. Pourquoi ?

Mascarille. Nous mènerions promener ces dames hors des portes, et leur donnerions un cadeau.

Madelon. Nous ne saurions sortir aujourd'hui.
Mascarille. Ayons donc les violons pour danser.
Jodelet. Ma foi, c'est bien avisé.

Madelon. Pour cela nous y consentons; mais il faut donc des violons.

Mascarille. Holà, Champagne, Picard, Bourguignon, Casquaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provençal, la Violette. Au diable soient tous les laquais. Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que inoi. Ces canailles me laissent toujours seul.

Madelon. Almanzor, dites aux gens de M. le marquis qu'ils aillent querir des violons. (Exit Almanzor.) Mascarille. Vicomte, que dis-tu de ces dames?

Jodelet. Mais toi-même, marquis, que t'en semble ? Mascarille. Moi, je dis que j'en suis enchanté, que je veux faire là-dessus un impromptu de ma façon. (Il médite.)

Cathos. Hé, je vous en conjure de toute la dévotion de mon cœur, que nous oyions quelque chose qu'on ait fait pour nous.

Jodelet. J'aurois envie d'en faire autant; mais je me trouve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité des saignées que j'y ai faites ces jours passés.

Mascarille. Que diable est cela? Je fais toujours bien le premier vers; mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop pressé, je vous ferai un impromptu à loisir que vous trouverez le plus beau du monde.

Jodelet. Il a de l'esprit comme un démon.

Madelon. Et du galant, et du bien tourné.

Mascarille. Vicomte, dis-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu n'as pas vu la comtesse ?

Jodelet. Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite.

Mascarille. Sais-tu bien que le duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener à la campagne courir un cerf avec lui ?

Madelon. Voici nos les violons qui viennent.

Enter Violons.

Mascarille. Ce n'est ici qu'un bal à la hâte ; mais l'un de ces jours nous vous en donnerons un dans les formes. Les violons sont-ils venus?

Almanzor. Oui, monsieur, ils sont ici.

Cathos. Allons donc, mes chères, prenez place. Mascarille, (dansant lui seul comme par prélude.) La, la,

la, la, la, la, la, la.

Madelon. Il a la taille tout-à-fait élégante.

Cathos. Et la mine de danser proprement.

Ma

Mascarille, (ayant pris Madelon pour danser.) franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds.

En cadence, violons, en cadence. Oh, quels ignorans ! Il n'y a pas moyen de danser avec eux. Le diable vous emporte, ne sauriez-vous jouer en mesure! La, la, la, la, la, la, la, la. Ferme. O violons de village!

(Jodelet, dansant ensuite avec Cathos.) Hola, ne pressez pas si fort la cadence, je ne fais que sortir de maladie.

Enter Du Croisy, La Grange.

La Grange, un bâton à la main. Ah, ah, coquins, que faites-vous ici? Il y a trois heures que nous vous cherchons.

Mascarille se sentant battre. Ahi, ahi, ahi, vous ne m'aviez pas dit que les coups en seroient aussi.

Jodelet. Ahi, ahi, ahi.

La Grange. C'est bien à vous, infâme que vous êtes, à vouloir faire l'homme d'importance.

Du Croisy. Voilà qui vous apprendra à vous connoître. Madelon. Que veut donc dire ceci ?

Jodelet.

Cathos.

C'est une gageure.

Quoi, vous laisser battre de la sorte ? Mascarille. Mon Dieu, je n'ai pas voulu faire semblant de rien; car je suis violent, et je me serois emporté. Endurer un affront comme celui-là en notre

Madelon.

présence.

Mascarille. Ce n'est rien, ne laissons pas d'achever. Nous nous connoissons il y a long-temps, et entre amis on ne va pas se piquer pour si peu de chose.

La Grange. Ma foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous autres.

(Trois ou quatre Spadassins entrent.)

Madelon. Quelle est donc cette audace de venir nous troubler de la sorte dans notre maison?

Du Croisy, Comment, mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux reçus que nous, qu'ils viennent vous faire l'amour à nos dépens, et vous donner le bal?

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