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Que Neptune en couroux, s'élevant fur la mer,
D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air,
Délivre les vaiffeaux, des Syrtes les arrache;
C'est là ce qui furprend, frappe, faifit, attache:
Sans tous ces ornemens le vers tombe en langueur,
La Poëfie eft morte, ou rampe fans vigueur:
Le Poëte n'eft plus qu'un Orateur timide,
Qu'un froid Hiftorien d'une Fable infipide.

C'est donc bien vainement que nos Auteurs deceus
Banniffant de leurs vers ces ornemens receus,
Penfent faire agir Dieu, fes Saints, & fes Prophetes,
Commerces Dieux éclos du cerveau des Poëtes:
Mettent à chaque pas le Lecteur en Enfer;
N'offrent rien qu'Aftaroth, Belzebuth, Lucifer.
De la foi d'un Chreftien les myfteres terribles
D'ornemens égayés ne font point fufceptibles.
L'Evangile à l'efprit n'offre de tous coftés
Que penitence à faire, & tourmens meritez:
Et de vos fictions le mélange coupable,"
Mefme à fes veritez donne l'air de la Fable.

Et quel'objet enfin à prefenter aux yeux,
Que le Diable toûjours heurlant contre les Cieux,
Qui de vostre Heros veut rabaiffer la gloire,
Et fouvent avec Dieu balance la victoire?
Le Taffe, dirait-on, l'a fait avec fuccés.
Je ne veux point ici lui faire fon procés:
Mais quoy que noftre Siecle à fa gloire publie,
Il n'eut point de fon Livre illuftré l'Italie;
Si fon fage Heros toûjours en oraison,
N'euft fait que mettre enfin Sathan à la raison,
Et fi Renaud, Argant, Tancrede, & fa Maiftreffe
N'euffent de fon fujet égaye la trifteffe.

Ce n'eft pas que j'approuve, en un fujet Chrétien,
Un Auteur follement idolâtre & Payen.
Mais dans une profane & riante peinture,
De n'ofer de la Fable employer la figure,
De chaffer les Tritons de l'empire des eaux,
D'ofter à Pan fa flûte, aux Parques leurs cifeaux,

H. 6

C

D'em

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D'empefcher que Caron dans la fatale barque,
Ainsi que le Berger, ne paffe le Monarque;
C'eft d'un fcrupule vain s'alarmer fottement,
Et vouloir aux Lecteurs plaire fans agrément.
Bien-toft ils défendront de peindre la Prudence:
De donner à Themis ni bandeau, ni balance:
De figurer aux yeux la Guerre au front d'airain:
Ou le Temps qui s'enfuit une horloge à la main:
Et par tout des difcours, comme une idolatrie,
Dans leur faux zele, iront chaffer l'Allegorie.
Laiffons-les s'applaudir de leur pieufe erreur :
Mais pour nous, banniffons une vaine terreur
Et n'allons point parmi nos ridicules fonges,
Du Dieu de verité, faire un Dieu de menfonges.
La Fable offre à l'efprit mille agrémens divers..
Là tous les noms heureux femblent nés pour les vers,
Ulyffe, Agamemnon, Orefte, Idomenée,
Helene, Menelas, Paris, Hector, Enée,
Ole plaifant projet d'un Poëte ignorant,
Qui de tant de Heros va choifir Childebrand!
D'un feul nom quelquefois le fon dur, ou bizarre
Rend un Poëme entier, ou burlefque ou barbare.
Voulez-vous long-temps plaire, & jamais ne laffer A
Faites choix d'un Heros propre à m'intereffer,
En valeur éclatant, en vertus magnifique,

Qu'en lui, jufqu'aux defauts, tout fe montre heroïque ::
Que fes faits furprenans foient dignes d'eftre ouïs:
Qu'il foit tel que Cefar, Alexandre, ou Louïs,
Non, tel que Polynice, & fon perfide frere.
On s'ennuie aux exploits d'un Conquerant vulgaire.
N'offrez point un Sujet d'incidens trop chargé,
Le feul couroux d'Achille avec art ménagé
Remplit abondamment une Iliade entiere.
Souvent trop d'abondance appauvrit la matiere.
Soyez vif & preffé dans vos narrations.
Soyez riche & pompeux dans vos defcriptions..
C'est là qu'il faut des vers étaler l'élegance,
N'y prefentez jamais de baffe circonftance.

N'imitez pas ce Fou, qui décrivant les mers
Et peignant au milieu de leurs flots entr'ouverts
L'Hebreu fauvé du joug de fes injuftes Maiftres,
Met pour le voir paffer les poiffons aux feneftres.
Peint le petit Enfant qui va, faute, revient,
Et joyeux à fa mere offre un caillou qu'il tient.
Sur de trop vains objets c'eft arrefter la veuë.
Donnez à voftre ouvrage une jufte étenduë.

Que le debut foit fimple & n'ait rien d'affecté.
N'allez pas dés l'abord fur Pegaze monté,
Crier à vos Lecteurs, d'une voix de tonnerre,
Je chante le Vainqueur des Vainqueurs de la terre. +
Que produira l'Auteur, aprés tous ces grands cris ?
La montagne en travail enfante une fouris.

O! que j'aime bien mieux cet Auteur plein d'adresse,
Qui fans faire d'abord de fi haute promeffe,
Me dit d'un ton aifé, doux, fimple, harmonieux,,
Je chante les combats, &cet Homme pieux
Qui des bords Phrygiens conduit dans l'Aufonie,
Le premier aborda les champs de Lavinie.
Sa Mufe en arrivant ne met pas tout en feu:
Et pour donner beaucoup, ne nous promet que peu..
Bien-toft vous la verrez, prodiguant les miracles,
Du deftin des Latins prononcer les oracles,
De Styx & d'Acheron peindre les noirs torrens,
Et déja les Cefars dans l'Elyfée errans.

De Figures fans nombre égayez votre ouvrage.
Que tout y faffe aux yeux une riante image.
On peut eftre à la fois & pompeux & plaisant,
Et je hais un Sublime ennuyeux & pefant.
J'aime mieux Ariofte, & fes fables comiques,
Que ces Auteurs toûjours froids & melancoliques,.
Qui dans leur fombre humeur fe croiroient faire affront;
Si les Graces jamais leur déridoient le front.

On diroit que pour plaire, inftruit par la Nature Homere ait à Venus dérobé fa ceinture.

H 7

Les poiffens ébahislesregardent paffer. Moyfe Sauvé.
Alaric. 1. Ie

Son

Son livre eft d'agrémens un fertile trefor.
Tout ce qu'il a touché fe convertit en or.
Tout reçoit dans fes mains une nouvelle grace.
Par tout il divertit, & jamais il ne laffe.
Une heureuse chaleur anime fes discours.
Il ne s'égare point en de trop longs détours.
Sans garder dans fes vers un ordre methodique,
Son fujet de foy-mefme & s'arrange & s'explique.
Tout, fans faire d'apprefts, s'y prépare aifément.
Chaque vers, chaque mot court à l'évenement.
Aimez donc fes écrits, mais d'une amour fincere.
C'eft avoir profité que de fçavoir s'y plaire.

Un Poëme excellent, où tout marche, & fe fuit,
N'eft pas de ces travaux qu'un caprice produit.
Il veut du temps, des foins, & ce penible ouvrage
Jamais d'un Ecolier ne fut l'apprentiffage..
Mais fouvent parmi nous un Poëte fans art,
Qu'un beau feu quelquefois échauffa par hazard,
Enflant d'un vain orgueil fon efprit chimerique,
Fierement prend en main la trompette heroïque.
Sa Mufe déreglée, en fes vers vagabonds,
Ne s'éleve jamais que par fauts & par bonds,
Et fon feu dépourveu de fens & de lecture,
S'éteint à chaque pas, faute de nourriture.
Mais en vain le Public promt à le méprifer,
De fon merite faux le veut defabufer:

Lui-mefme applaudiffant à fon maigre genie,
Se donne par fes mains l'encens qu'on lui dénie.
Virgile, au prix de lui, n'a point d'invention.
Homere n'entend point la noble fiction,
Si contre cet arreft le fiecle se rebelle,
A la pofterité d'abord il en appelle.
Mais attendant qu'ici le bon fens de retour
Ramene triomphans fes ouvrages au jour,
Leurs tas au maga fin cachez à la lumiere,
Combattent triftement les vers & la pouffiere.
Laiffons-les donc entr'eux s'efcrimer en repos,
Et fans nous égarer fuiyons noftre propos.

A Des

Des fuccés fortunez du spectacle tragique,
Dans Athenes nâquit la Comedie antique.
Là, le Grec né mocqueur, par mille jeux plaifans
Diftila le venin de fes traits médifans.

Aux accés infolens d'une boufonne joye,
La fageffe, l'efprit, l'honneur furent en proye,
On vid, par le Public un Poëte avoué
S'enrichir aux dépens du merite joüé,
Et Socrate par lui dans un chœur de Nuées,
D'un vil amas de peuple attirer les huées.
Enfin de la licence on arrefta le cours.
Le Magiftrat, des loix emprunta le fecours,
Et rendant par édit les Poëtes plus fages,
Défendit de marquer les noms ni les visages.
Le Theatre perdit fon antique fureur.
La Comedie apprit à rire fans aigreur,
Sans fiel & fans venin fceut inftruire & reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.
Chacun peint avec art dans ce nouveau miroir,
S'y vid avec plaifir, ou crût ne s'y point voir.
L'avare des premiers rît du tableau fidele
D'un Avare fouvent tracé fur fon modele;
Et mille fois un Fat finement exprimé,
Méconnut le portrait fur lui-mefme formé.

Que la Nature donc foit voftre étudé uniqué,
Auteurs, qui pretendez aux honneurs du Comique.
Quiconque void bien l'Homme, & d'un efprit profond,
De tant de cœurs cachez a penetré le fond:

Qui fçait bien ce que c'eft qu'un Prodigue, un Avare,
Un honnefte homme, un Fat, un Jaloux, un Bizarre,
Sur une scene heureufe il peut les étaler,

Et les faire à nos yeux vivre, agir, & parler.
Prefentez-en par tout les images naïves:

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Que chacun y foit peint des couleurs les plus vives.
La Nature feconde en bizarres portraits,
Dans chaque ame eft marquée à de differens traits.

* Les Nuées, Comedie d'Ariftophane.

Un

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