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Il me semble

Que l'on doit commencer par consulter ensemble Les choses qu'on peut faire en cet événement.

ORGON.

Cette cassette-là me trouble entièrement.
Plus que le reste encore elle me désespère.
CLÉANTE.

Cette cassette est donc un important mystère?

ORGON.

C'est un dépôt qu'Argas, cet ami que je plains,
Lui-même en grand secret m'a mis entre les mains.
Pour cela dans sa fuite il me voulut élire; \
Et ce sont des papiers, à ce qu'il m'a pu dire,
Où sa vie et ses biens se trouvent attachés.

CLÉANTE.

Pourquoi donc les avoir en d'autres mains lâchés?

ORGON.

Ce fut par un motif de cas de conscience.
J'allai droit à mon traître en faire confidence;
Et son raisonnement me vint persuader
De lui donner plutôt la cassette à garder,
Afin

que pour nier, en cas de quelque enquête,
J'eusse d'un faux-fuyant la faveur tonte prête,
Par où ma conscience eût pleine sûreté
A faire des sermens contre la vérité.

CLEANTE.

Vous voilà mal, au moins si j'en crois l'apparence;
Et la donation, et cette confidence,

Sont, à vous en parler selon mon sentiment,
Des démarches par vous faites légèrement.
On peut vous mener loin avec de pareils gages:
Et cet homme sur vous ayant ces avantages,
Le pousser est encor grande imprudence à vous;
Et vous deviez chercher quelque biais plus doux.

ORGON.

Quoi! sur un beau semblant de ferveur si touchante
Cacher un cœur si double, une âme si méchante !
Et moi, qui l'ai reçu guensant et n'ayant rien...
C'en est fait, je renonce à tous les gens de bien;
J'en aurai désormais une horreur effroyable,
Et m'en vais devenir pour eux pire qu'un diable.
CLÉANTE.

Hé bien! ne voilà pas de vos emportemens!

Vous ne gardez en rien les doux tempéramens.
Dans la droite raison jamais n'entre la vôtre;
Et toujours d'un excès vous vous jetez dans l'autre.
Vous voyez votre erreur, et vous avez connu
Que par un zèle feint vous étiez prévenu;
Mais pour vous corriger quelle raison demande
Que vous alliez passer dans une erreur plus grande,
Et qu'avecque le cœur d'un perfide vaurien
Vous confondiez les cœurs de tous les gens de bien?
Quoi! parce qu'un frippon vous dupe avec audace
Sous le pompeux éclat d'une austère grimace,
Vous voulez que partout on soit fait comme lui,
Et qu'aucun vrai dévot ne se trouve aujourd'hui ?
Laissez aux libertins ces sottes conséquences;
Démêlez la vertu d'avec ses apparences,
Ne hasardez jamais votre estime trop tôt,
Et soyez pour cela dans le milieu qu'il faut.
Gardez-vous, s'il se peut, d'honorer l'imposture:
Mais au vrai zèle aussi n'allez pas faire injure;
Et s'il vous faut tomber dans une extrémité,
Péchez plutôt encor de cet autre côté.

SCÈNE II.

ORGON, CLÉANTE, DAMIS.

DAMIS.

Quoi! mon père, est-il vrai qu'un coquin vous

menace;

Qu'il n'est point de bienfait qu'en son âmé il

n'efface;

Et que son lâche orgueil, trop digne de courroux, Se fait de vos bontés des armes contre vous?

ORGON.

Oui, mon fils; et j'en sens des douleurs nompareilles.

DAMIS.

Laissez-moi, je lui veux couper les deux oreilles." Contre son insolence on ne doit point gauchir: C'est à moi tout d'un coup de vous en affranchir; Et pour sortir d'affaire il faut que je l'assomme. CLÉANTE.

Voilà tout justement parler en vrai jeune homme. Modérez, s'il vous plaît, ces transports éclatans. Nous vivons sous un règne et sommes dans un temps Où par la violence on fait mal ses affaires.

SCÈNE III.

MADAME PERNELLE, ORGON, ELMIRE, CLEANTE, MARIANE, DAMIS, DORINE.

MADAME PERNELLE.

Qu'est-ce ? J'apprends ici de terribles mystères!

ORGON.

Ce sont des nouveautés dont mes yeux sont témoins,
Et vous voyez le prix dont sont payés mes soins.
Je recueille avec zèle un homme en sa misère,
Je le loge, et le tiens comme mon propre frère;
De bienfaits chaque jour il est par moi chargé;

Je lui donne ma fille et tout le bien que j'ai :
Et, dans le même temps, le perfide, l'infame,
Tente le noir dessein de suborner ma femme;
Et, non content encor de ses lâches essais,
Il m'ose menacer de mes propres bienfaits,
Et veut, à ma ruine, user des avantages
Dont le viennent d'armer mes bontés trop pcu sages,
Me chasser de mes biens, où je l'ai transféré,
Et me réduire au point d'où je l'ai retiré !

Le pauvre homme!

DORINE.

MADAME PERNELLE.

Mon fils! je ne puis du tout croire

Qu'il ait voulu commettre une action si noire.

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Que voulez-vous donc dire avec votre discours,

Ma mère ?

MADAME PERNELLE.

Que chez vous on vit d'étrange sorte, Et qu'on ne sait que trop la haine qu'on lui porte.

ORGON.

Qu'a cette haine à faire avec ce qu'on vous dit?

MADAME PERNELLE.

Je vous l'ai dit cent fois quand vous étiez petit :

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