Page images
PDF
EPUB

MARIANE.

Vos tendresses pour lui ne me font point de peine;
Faites-les éclater, donnez-lui votre bien,
Et, si ce n'est assez, joignez-y tout le mien;
J'y consens de bon cœur, et je vous l'abandonne :
Mais, au moins, n'allez pas jusques à ma personne;
Et souffrez qu'un couvent dans les austérités
Use les tristes jours que le Ciel m'a comptés.

ORGON.

Ah! voilà justement de mes religieuses, Lorsqu'un père combat leurs flammes amoureuses! Debout. Plus votre cœur répugne à l'accepter, Plus ce sera pour vous matière à mériter. Mortifiez vos sens avec ce mariage,

Et ne me rompez pas la tête davantage.

Mais quoi!...

DORINE.

ORGON.

Taisez-vous, vous. Parlez à votre écot.

Je vous défends, tout net, d'oser dire un seul mot.

CLEANTE.

Si par quelque conseil vous souffrez qu'on réponde...

ORGON.

Mon frère, vos conseils sont les meilleurs du monde; Ils sont bien raisonnés, et j'en fais un grand cas: Mais vous trouverez bon que je n'en use pas.

ELMIRE, à Orgon.

A voir ce que je vois, je ne sais plus que dire;
Et votre aveuglement fait que je vous admire.

C'est être bien coiffé, bien prévenu de lui,

Que de nous démentir sur le fait d'aujourd'hui !

ORGON.

Je suis votre valet, et crois les apparences.
Pour mon fripon de fils je sais vos complaisances;
Et vous avez eu peur de le désavouer

Du trait qu'à ce pauvre homme il a voulu jouer.
Vous étiez trop tranquille, enfin, pour être crue;
Et vous auriez paru d'autre manière émue.

[ocr errors][merged small]

Est-ce qu'au simple aveu d'un amoureux transport
Il faut que notre honneur se gendarme si fort?
Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche,
Que le feu dans les yeux, et l'injure à la bouche
Pour moi, de tel propos je me ris simplement;
Et l'éclat, là-dessus, ne me plaît nullement.
J'aime qu'avec douceur nous nous montrions sages,
Et ne suis point du tout pour ces prudes sauvages
Dont l'honneur est armé de griffes et de dents,
Et veut, au moindre mot, dévisager les gens.
Me préserve le Ciel d'une telle sagesse!
Je veux une vertu qui ne soit point diablesse,
Et crois que d'un refus la discrète froideur
N'en est pas moins puissante à rebuter un cœur.

ORGON.

Enfin, je sais l'affaire, et ne prends point le change.

ELMIRE.

J'admire, encore un coup, cette faiblesse étrange: Mais que me répondrait votre incrédulité

Si je vous faisais voir qu'on vous dit vérité?

[blocks in formation]

Mais quoi! si je trouvais manière

De vous le faire voir avec pleine lumière...?

Contes en l'air.

ORGON.

ELMIRE.

Quel homme! Au moins, répondez-moi.

Je ne vous parle pas de nous ajouter foi;

Mais supposons ici que,d'un lieu qu'on peut prendre, On vous fit clairement tout voir et tout entendre, Que diriez-vous alors de votre homme de bien?

ORGON.

En ce cas, je dirais que... Je ne dirais rien,
Car cela ne se peut.

ELMIRE.

L'erreur trop long-temps dure, Et c'est trop condamner ma bouche d'imposture. Il faut que, par plaisir, et sans aller plus loin, De tout ce qu'on vous dit je vous fasse témoin.

ORGON.

Soit. Je vous prends au mot. Nous verrons votre

adresse.

Et comment vous pourrez remplir cette promesse.

ELMIRE, à Dorine.

Faites-le-moi venir.

DORINE, à Elmire."

Son esprit est rusé,

Et peut-être à surprendre il sera malaisé.
ELMIRE, à Dorine.

Non: on est aisément dupé par ce qu'on aime,
Et l'amour-propre engage à se tromper soi-même.
(à Cléante et à Mariane.)
Faites-le moi descendre. Et vous, retirez-vous.

[blocks in formation]

Ah! mon Dieu !laissez faire; J'ai mon dessein en tête, et vous en jugerez. Mettez-vous là, vous dis-je ; et quand vous y serez, Gardez qu'on ne vous voie et qu'on ne vous entende.

ORGON.

Je confesse qu'ici ma complaisance est grande;

Mais de votre entreprise il vous faut voir sortir.

ELMIRE.

Vous n'aurez, que je crois, rien à me repartir. (à Orgon, qui est sous la table.)

Au moins, je vais toucher une étrange matière,
Ne vous scandalisez en aucune manière.
Quoi que je puisse dire, il doit m'être permis;
Et c'est pour vous convaincre, ainsi que j'ai promis.
Je vais, par des douceurs, puisque j'y suis réduite,
Faire poser le masque à cette âme hypocrite,
Flatter de son amour les désirs effrontés,
Et donner un champ libre à ses témérités.
Comme c'est pous vous seul, et pour mieux le con-
fondre,

Que mon âme à ses vœux va feindre de répondre,
J'aurai lieu de cesser dès que vous vous rendrez,
Et les choses n'iront que jusqu'où vous voudrez.
C'est à vous d'arrêter son ardeur insensée,
Quand vous croirez l'affaire assez avant poussée,
D'épargner votre femme, et de ne m'exposer
Qu'à ce qu'il vous faudra pour vous désabuser.
Ce sont vos intérêts, vous en serez le maître,
Et... L'on vient, Tenez-vous, et gardez de paraître.
SCÈNE V.

TARTUFFE, ELMIRE, ORGON, sous la table.

TARTUFFE.

On m'a dit qu'en ce lieu vous me vouliez parler.

1. Molière.

6

« PreviousContinue »