Page images
PDF
EPUB

DE

LITTÉRATURE

A L'USAGE DES DIVERS EXAMENS

PAR

FÉLIX HÉMON

PROFESSEUR DE RHETORIQUE AU LYCÉE LOUIS-LE-GRAND
LAUREAT DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

XIV

FÉNELON

UNIVERSITY
LELAND STANFORD, JUNEA
LIBRART

[graphic][merged small]

LIBRAIRIE CH. DELAGRAVE
15, RUE SOUFFLOT, 15

1895
C

[blocks in formation]

15297

FÉNELON

(1651-1715.)

I

La jeunesse de Fénelon (1651-1678).

Bossuet était d'une famille bourgeoise et de robe; François de Salignac de la Mothe-Fénelon appartenait à une famille aristocratique où l'on portait l'épée. A le lire, à le suivre dans sa vie et dans son œuvre, on le devinerait, si l'on n'en était instruit. Il naquit, le 6 août 1651, au château de Fénelon, dans le Périgord, de Pons de Salignac, comte de la Mothe-Fénelon, et de Louise de la Cropte de Saint-Abre, épousée par Pons de Salignac en secondes noces. Assez faible de santé dans son enfance, il séjourna jusqu'à l'âge de douze ans au château paternel. Commencées à l'Université de Cahors, ses études se poursuivirent à Paris, au collège du Plessis, et s'achevèrent au séminaire de Saint-Sulpice.

D'assez bonne heure il avait perdu son père; mais son oncle, le marquis de Fénelon, dont le fils avait trouvé la mort sous les murs de Candie, le considérait comme son fils adoptif. Une légende veut qu'il ait prêché, comme Bossuet, dès l'âge de quinze ans, devant un auditoire mondain, et que son oncle l'ait fait entrer à Saint-Sulpice pour le soustraire aux périls de ces succès prématurés. L'histoire, celle du moins qu'écrit Saint-Simon, ne mérite guère plus de crédit que la légende: elle prête à Fénelon de profonds calculs pour expliquer ses relations avec Saint-Sulpice, dont l'influence encore récente commençait à se fortifier. Mais on sait que le marquis de Fénelon était lié avec le fondateur de Saint-Sulpice, M. Olier, qui venait de mourir; cette liaison put suffire pour déterminer le choix de la maison, dirigée alors par M. Tronson, où Fénelon se prépara à la prêtrise; car, s'il ne la reçut qu'à vingt-quatre ans, sa vocaC. de Litt. FÉNELON.

9 11 51

1

tion ne paraît pas avoir été jamais douteuse. Son frère aîné, sulpicien comme lui, missionnaire au Canada, devait y mourir en 1679. La foi du jeune abbé semble avoir été enthousiaste, si l'on en juge par le ton de la lettre, écrite à un correspondant incertain, où il annonce son projet de se consacrer aux missions du Levant.

Sarlat, 9 octobre (1675?).

Divers petits accidents ont toujours retardé jusqu'ici mon retour à Paris : mais enfin, Monseigneur, je pars, et peu s'en faut que je ne vole. A la vue de ce voyage, j'en médite un plus grand. La Grèce entière s'ouvre à moi; le sultan effrayé recule; déjà le Péloponèse respire en liberté, l'Église de Corinthe va refleurir la voix de l'Apôtre s'y fera encore entendre. Je me sens transporté dans ces beaux lieux et parmi ces ruines précieuses, pour y recueillir, avec les plus curieux monuments, l'esprit même de l'antiquité. Je cherche cet aréopage où saint Paul annonça aux sages du monde le Dieu inconnu. Mais le profane vient après le sacré, et je ne dédaigne pas de descendre au Pirée, où Socrate fait le plan de sa République. Je monte au double sommet du Parnasse; je cueille les lauriers de Delphes, et je goùte les délices de Tempé. Quand est-ce que le sang des Turcs se mêlera avec celui des Perses sur les plaines de Marathon, pour laisser la Grèce entière à la religion, à la philosophie et aux beaux-arts, qui la regardent comme leur patrie?

Arva, beata

Petamus arva, divites et insulas 1.

Je ne t'oublierai pas, ô île consacrée par les célestes visions du disciple bien-aimé ! O heureuse Pathmos, j'irai baiser sur ta terre les pas de l'Apôtre, et je croirai voir les cieux ouverts! Là, je me sentirai saisi d'indignation contre le faux prophète qui a voulu développer les oracles du véritable; et je bénirai le Tout-Puissant, qui, bien loin de précipiter l'Eglise comme Babylone, enchaîne le dragon, et la rend victorieuse. Je vois déjà le schisme qui tombe, l'Orient et l'Occident qui se réunissent, l'Asie qui soupire jusqu'aux bords de l'Euphrate, et qui voit renaitre le jour après une si longue nuit; la terre, sanctifiée par les pas du Sauveur et arrosée de son sang, délivrée de ses profanateurs et revêtue d'une nouvelle gloire; enfin les enfants d'Abraham, épars sur la surface de toute la terre, et plus nombreux que les étoiles du firmament, qui, rassemblés des quatre vents, viendront en foule reconnaître le Christ qu'ils ont percé, et montrer à la fin des temps une résurrection. En voilà assez, Monseigneur; vous serez bien aise d'apprendre que c'est ici ma dernière lettre, et la fin de mes enthousiasmes, qui vous importunent peutêtre.

Heureusement pour les lettres, cette ardeur juvénile, qui restera l'un des traits caractéristiques de Fénelon, se tournera vers d'autres objets. Il a eu le temps de voir déjà le monde, et une occasion va lui être offerte d'étudier de plus près les âmes.

1. « Gagnons les campagnes, les riches campagnes des iles Fortunées. » Epodes, 16.)

(HORACE,

2. L'ile de Pathmos, où saint Jean eut la vision qui fait le sujet de l'Apocalypse.

II

Fénelon supérieur des Nouvelles Catholiques (1678-1689). Ses premiers ouvrages.

Les espérances qu'il avait fait naître s'étaient tellement affermies déjà, qu'il se vit confier, à vingt-sept ans, le poste délicat de supérieur des Nouvelles Catholiques. Il avait affaire à des femmes nouvellement converties du protestantisme au catholicisme. Là il dépense sans compter toutes les ressources d'un esprit simple et d'un cœur chaud. Non seulement il réussit pleinement dans sa tâche, mais il nous a laissé un livre admirable qui nous instruit des moyens par lesquels il y a réussi : c'est le traité de l'Éducation des filles (1687), publié à la fin de cette période décennale si bien remplie, comme pour en résumer l'expérience. Au reste, il a ses heures de loisir et comme de vacances, où son intelligence se détend et s'égaye. En 1681, il vint prendre possession de son prieuré de Carenac, que lui avait cédé l'évêque de Sarlat, son oncle, et il fait de cette entrée solennelle une bien plaisante relation à sa cousine, la marquise de Laval.

Oui, Madame, n'en doutez pas, je suis un homme destiné à des entrées magnifiques. Vous savez celle qu'on m'a faite à Bellac, dans votre gouvernement; je vais vous raconter celle dont on m'a honoré en ce lieu. M. de Rouffillac, pour la noblesse; M. Rose, curé, pour le clergé; M. Rigaudie, prieur des moines, pour le corps monastique, et les fermiers de céans pour le tiers état, viennent jusqu'à Sarlat me rendre leurs hommages. Je marche accompagné majestueusement de tous ces députés ; j'arrive au port de Carenac, et j'aperçois le quai bordé de tout le peuple en foule. Deux bateaux, pleins de l'élite des bourgeois, s'avancent, et en même temps je découvre que, par un stratagème galant, les troupes de ce lieu les plus aguerries, s'étaient cachées dans ce coin de la belle île que vous connaissez de là, elles vinrent en bon ordre de bataille me saluer, avec beaucoup de mousquetades. L'air est déjà tout obscurci par la fumée de tant de coups, et l'on n'entend plus que le bruit affreux du salpêtre. Le fougueux coursier que je monte, animé d'une noble ardeur, veut se jeter dans l'eau ; mais moi, plus modéré, je mets pied à terre. Au bruit de la mousqueterie est ajouté celui des tambours. Je passe la belle rivière de Dordogne, presque toute couverte de bateaux qui accompagnent le mien. Au bord, m'attendent gravement tous les vénérables moines en corps; leur harangue est pleine d'éloges sublimes; ma réponse a quelque chose de grand et de doux. Cette foule immense se fond pour m'ouvrir un chemin; chacun a les yeux attentifs, pour lire dans les miens quelle sera sa destinée. Je monte ainsi jusqu'au château, d'une marche lente et mesurée, afin de me prêter pour un peu plus de temps à la

« PreviousContinue »