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V.

Ne va difant: Ma main a fait cet œuvre,
Ou ma vertu ce bel œuvre a parfait.
Mais dis ainfi Dieu par moi l'oeuvre a fait
Dieu eft l'auteur du peu de bien que j'oeuvre.

Dieu par moi l'œuvre a fait. Oui, l'œuvre fpirituel & méritoire pour le falut: car c'est une pieuse illufion de croire que fans le fecours de la grace, nous ne puiffions faire aucun bien moral & de l'ordre naturel. Nous fommes raifonnables, & par les feules lu-. miéres de la raison, nous pouvons devenir de grands hommes. Les Payens, avoient-ils la grace? Cependant ne nous ont-ils pas laiffé de grands principes & de beaux modéles? Des Auteurs chrétiens ont prefque canonifé le fage Socrate: cependant Socrate le plus fage de tous les Grecs, n'étoit qu'un idolâtre.

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V I.

Tout l'Univers n'eft qu'une Cité ronde,
Chacun a droit de s'en dire Bourgeois,
Le Scythe & Maur, ainfi que le Gregeois
Le plus petit que le plus grand du monde.

Chacun a droit de s'en dire bourgeois. Ainfi penfoit un certain Dervis dont il eft parlé dans Chardin. Il ne regardoit pas feulement le monde comme une ville, mais toutes les maisons des villes comme autant d'auberges. Car ayant abordé dans une Ifle, après un voyage de long cours, il alla s'établir dans le Palais même du Prince duPays. Ce qui ayant été trouvé indécent, on voulut l'en faire fortir. Le Roy même lui ayant demandé s'il prenoit fa maifon pour une auberge : oferai-je, grand Prince, lui repartit le Dervis, vous demander à mon tour qui habitoit ce Palais avant vous ? Mon Pere, répondit le Roy. Et avant votre Pere? Mon ayeul; & avant votre ayeul? Mon bifayeul; & avant votre bifayeul? Mon trifayeul qui l'a fait bâtir. O! repartit le nouvel hôte, puifque tant de gens

ont logé ici, on peut bien regarder çe lieu comme une auberge.

VII.

Dans le pourpris de cette Cité belle
Dieu a logé l'Homme comme en lieu faint,
Comme en un temple,où lui-même s'eft peint
En mille endroits de couleurs immortelles.

Comme en un temple où lui-même s'eft peint. Ne fçavez-vous pas, dit l'Apotre, que vous êtes le temple de Dieu. (1. Cor. 3. 16.) Tout l'Univers annonce bien fa gloire & fa puiffance, mais ce monde n'eft pas fait à l'image de Dieu. L'homme feul porte ce caractére. Dieu créant l'homme à fa reffemblance, s'eft formé un temple où il s'eft peint lui-même,

VIII.

Il n'y a coin fi petit dans ce temple
Où la grandeur n'apparoiffe de Dieu;
L'homme eft planté justement au milieu,
Afin que mieux par tout on le contemple.

Il n'y a coin fi petit dans ce temple où la grandeur n'apparoiffe de Dieu. Le

temple de Dieu dans l'homme eft tout enfemble fpirituel & materiel. Il est fpirituel du côté de l'efprit, felon lequel l'homme a été formé à l'image de Dieu. Il eft materiel, parce que nos membres, dit l'Apôtre, font les temples du Saint Efprit. (1. Cor. 6. 19.) Or dans quelque point de vûe que nous l'envifagions, il n'y a coin fi petit où la grandeur de Dieu ne fe montre fi nous confidérons l'homme comme le temple fpirituel, les opérations de notre efprit les plus fimples comme les plus fublimes enfeignent la Divinité. Si nous l'examinons dans fa compofition materielle & groffiere, eftil un des fes fibres qui n'annonce pour auteur un Etre Tout-puiffant? Dans les ouvrages des hommes, plus la mécanique eft fimple, plus elle eft parfaite dans les ouvrages de Dieu la fimplicité & la perfection font égales, & contribuent également à leur perfection.

:

IX.

Qui a de foi parfaite connoiffance
N'ignore rien de ce qu'il faut fçavoir
Mais le moyen affuré de l'avoir
Eft fe mirer dedans fa fapience.

Qui a de foi parfaite connoissance. C'étoit la maxime des anciens Sages renfermée dans ce précepte qu'ils répétoient fi fouvent : Connois-toi toimême, nofce te- ipfum. Cependant on peut dire qu'il y a peu de fcience plus ignorée & plus parfaitement négligée que celle-là. C'est ce qui porte une de nos Mufes à s'écrier:

De ce fublime efprit dont ton orgueil fe pique

Homme, quel ufage fais-tu ?

Des plantes, des métaux tu connois la vertu,
Des différens pays les moeurs, la politique;
La caufe des frimats, de la foudre, du vent,
Des Aftres le pouvoir suprême;
Et fur tant de chofes fçavant,

Tu ne te connois pas

toi-même,

(Me Des Houlieres.)

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