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» Viens m'en redemander le détail dans vingt ans ;

» Et tu verras si j'ai bonne mémoire.

Je pourrois bien les soirs oublier quelquefois » Combien on a mené de mes moutons au bois ; » J'oublirai bien des secrets qu'on m'enseigne » Pour guérir un troupeau qui périt chaque jour : » Mais il ne faut pas que l'on craigne » De me voir oublier une histoire d'amour.

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LICIDA S.

Puisque ta mémoire est si bonne, Acquitte-toi, Berger, de ce que tu me dois.

ATIS.

» Tu ne perdras rien de tes droits;

» Vois si je sais payer les plaisirs qu'on me donne ».

TROIS

ROIS jours s'étoient passés, trois jours qu'avoient perdus
Et Delphire et Damon, qui ne s'étoient point vus;
Leurs troupeaux, jusqu'alors confondus dans la plaine,
Tristement séparés, ne paissoient qu'avec peine.
Tandis que le berger ne songeoit qu'à choisir
Les lieux, les sombres lieux où l'on rêve à loisir,
La Bergère affectoit de paroître suivie

Des plus jeunes bergers dont elle fût servie;
Mais elle étoit distraite, et des soupirs secrets
Alloient après Damon jusqu'au fond des forêts.
Vois de quelle rigueur étoit cette bergère.
Damon lui déroba quelque faveur légère,
Delphire le bannit dans un premier courroux ;
Peut-être un peu plus tard l'ordre eût été plus doux.
Un soir que les troupeaux, sortant du pâturage,
D'un pas tardif et lent marchoient vers le village
Et que tous les bergers chantoient à leur retour

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Les douceurs du repos qui suit la fin du jour,
Delphire qui, malgré l'ombre déjà naissante,

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Vit Damon d'aussi loin que peut voir une amante, S'arrêta sur sa route et prit soin d'y chercher L'endroit le plus obscur où l'on se pût cacher. Rêveur, plein d'une triste et sombre nonchalance, Tel qu'on peut souhaiter un amant dans l'absence, Il laissoit ses brebis errer en liberté,

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Et son hautbois oisif pendoit à son côté.
Delphire en fut touchée, et pour être apperçue,
Elle fit quelque bruit: il détourna la vue ;
Et quand vers la bergère il adressa ses pas,
Elle le reçut mal, mais elle ne fuit pas.
Que ne lui dit-il point? les nymphes du bocage
N'entendirent jamais de plus tendre langage;
L'écho, qui des bergers connoît tous les amours
Ne répéta jamais de plus tendres discours.
Tantôt il condamnoit lui-même son audace
D'un ton de suppliant il demandoit sa grace;
Et tantôt moins soumis, il trouvoit trop cruel
Qu'un léger attentat l'eût rendu criminel.
Par quels soins assidus, et par quelle constance
Avoit-il prévenu cette amoureuse offense?
Et combien voyoit-on d'amans moins empressés,
Moins ardens qu'il n'étoit, et mieux récompensés ?
A la fin cependant il revenoit à dire

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Qu'il étoit trop content, puisqu'il aimoit Delphire ;
Et que sans ses faveurs, sans cet heureux secours 2
Il conserveroit bien d'éternelles amours.

Plein de sa passion, alors Damon lui jure
Que la simple amitié ne seroit pas plus pure ;
Il semble que ses yeux le jurent à leur tour:
L'amour fait qu'il renonce à tous les biens d'amour;

Et dans le même instant qu'avec tant de tendresse
Il tâche à réparer son trop de hardiesse,

Au milieu des sermens de ne prétendre rien,
Poussé par un transport qu'il ne connoît pas bien,
Troublé par des regards dont la douceur l'attire,
Il s'approche, il avance, il embrasse Delphire.
On dit que le berger, lorsqu'on l'avoit banni,
Pour un moindre sujet avoit été puni;
Et, sans savoir pourquoi, Delphire moins sévère
Sur ce crime nouveau n'entre point en colère.

LICIDA S.

כס

JE

E te l'avoue, Atis, tu t'es bien acquitté.
» J'aime Delphire et sa fierté.

ATIS.

» Ton goût est assez raisonnable,
Berger; et je ne doute pas.

» Que l'on ne te prépare une fierté semblable
» Aux lieux où tu tourne tes pas.

» Mais je t'y laisse aller, il faut que je te quitte. » Adieu.

LICIDA S.

» Je vois d'ici ce que ton cœur médite ; » Ton voyage, berger, ressemble assez au mien.

ATIS.

» A dire vrai, cela se pourroit bien. » Va, puisses-tu jamais ne trouver de cruelles !

LICIDA S.

» Les cruelles ne me sont rien,

» Je ne crains que les infidelles ».

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QUITTONS,

A MAD.....

2

UITTONS, mes chers moutons le cours de la rivière,
L'herbe sera meilleure aux lieux que j'apperçois ;
Vous m'allez désormais occuper toute entière ;
Myrtille, qui m'aimoit, ne songe plus à moi,

Hélas! j'allois l'aimer, je n'en suis que trop sûre;
Déjà je prononçois son nom avec plaisir,
Déjà je pensois moins à vous qu'à ma parure,
Déjà pour vous garder je manquois de loisir.

Moi, qui fus toujours rigoureuse

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Je ne l'étais presque plus que par art,
Qu'afin de redoubler son ardeur amoureuse :
Puisqu'il m'a dû quitter, ciel ! que je suis heureuse
Qu'il ne m'ait pas quittée un peu plus tard!

Encore quelques soins, il n'étoit plus possible
Que mon cœur ne se rendît pas :
J'en eusse été touchée, et maintenant, hélas !
Ce cœur regretteroit d'avoir été sensible;
J'éprouverois mille chagrins jaloux :
Quel péril j'ai couru! cependant abusée

Par des commencemens trop doux,
Je ne soupçonnois pas que j'y fusse exposée.

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Je tremble encore en

ore en songeant aujourd'hui

Que j'ai pensé dire à Myrtille

La chanson que je fis pour lui,

Quoiqu'à faire des vers je ne sois

La crainte que j'avois qu'elle ne fût pas bien,

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Peut-être encore une autre honte,

Empêcha que ma langue alors ne fùt trop prompte Et par bonheur je ne dis rien.

J'en mourrois si je l'avois dite;

Quoi donc, il la sauroit! et pour mieux m'insulter, Celle pour qui l'ingrat me quitte,

Corinne oseroit la chanter ?

,

Jé connois maintenant ce que l'amour prépare
Aux foibles cœurs dont il s'empare ;

Je connois ce que c'est qu'un tendre engagement :
Mais lorsque mon printemps à peine encor commence
Faut-il avoir acquis, par mon premier amant
Une si triste expérience?

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Profitons-en pourtant, évitons les pasteurs,
Leurs danses, leurs chansons, leurs fêtes dangereuses,
Mais sur-tout leurs discours flatteurs;
Fuyons aussi les bergères heureuses :
Si d'un pareil bonheur je formois le souhait,
Mon cœur en deviendroit plus facile à surprendre.
Et ne dois-je pas bien comprendre

Que ce n'est pas pour moi qu'un sort si doux est fait ?·
Inutile et vaine jeunesse,

Toi qui devoit m'amener de beaux jours,
Qu'ai-je affaire de toi pour sentir la tristesse
De vivre loin des jeux, des plaisirs, des amours?
Hâte, précipite ton cours,

Tu ne saurois voler avec trop de vîtesse.

Venez remplir ces jours dont je crains le danger,
Soins de ma bergerie, amusemens utiles ;

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