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75 Il me femble, GRAND ROY, dans mes nouveaux écrits,
Que mon encens payé n'est plus du mesme prix.
J'ai peur que l'Univers, qui fçait ma récompense,
N'impute mes transports à ma reconnoiffance;

Et

que par Tes préfens mon vers decredité 80 N'ayt moins de poids pour Toi dans la Pofterité.

Toutefois je fçai vaincre un remords qui Te blesse.
Si tout ce qui reçoit des fruits de Ta largesse,
A peindre Tes exploits ne doit point s'engager,
Qui d'un fi jufte foin fe pourra donc charger ?
85 Ah! plûtoft de nos fons redoublons l'harmonic.
Le zele à mon Efprit tiendra lieu de genie.
Horace tant de fois dans mes Vers imité,

De vapeurs en fon temps, comme moy, tourmenté,
Pour amortir le feu de fa ratte indocile,

90 Dans l'encre quelquefois fçeut égayer sa bile.
Mais de la mesine main qui peignit Tullius,
Qui d'affronts immortels couvrit Tigellius,
Il fceut fléchir Glycere, il fceut vanter Auguste,
Et marquer fur la lyre une cadence jufte.
95 Suivons les pas fameux d'un fi noble Ecrivain.

A ces mots quelquefois prenant la lyre en main,
Au recit que pour Toy je fuis preft d'entreprendre,
Je croi voir les Rochers accourir pour
m'entendre,

REMARQUES.

VERS 91.
Tullius. ] Sena
teur Romain. Céfar l'exclut du
Senat; mais il y rentra après fa
mort. DE SP.

Voies Horace Liv. I. Sat. VI.
-Tigellius. ] Fa-

VERS 92.
meux Muficien, le plus eftimé

de fon temps,& fort chéri &Am gufte, DESP. Ed. 1701.

Voies Horace, Liv. I. Sat. VI. & X.

VERS 93.IL/ceut fléchir Glycere, &c.] Sa Maîtreffe. Ode XIX. Liv. I

Et déja mon vers coule à flots précipitez ;
100 Quand j'entens le Lecteur qui me crie, Arrestez:
Horace eut cent talens: mais la Nature avare

Ne vous a rien donné qu'un peu d'humeur bizarre.
Vous paffez en audace & Perfe & Juvenal :

Mais sur le ton flatteur Pinchesne est vostre égal.
105 A ce discours, GRAND ROY, que pourrois-je répondre ?
Je me fens fur ce point trop facile à confondre,
Et fans trop relever des reproches fi vrais,
Je m'arrefte à l'inftant, j'admire, & je me tais.

REMARQUES.

VERS 99. Et déja mon vers coule à flots précipitez. ] On ne devine pas pourquoi l'Editeur de 1740. a mis: à pas précipitex, au lieu d'à flots précipitez, qui fe lit dans toutes les Editions.

VERS 104. Mais fur le ton flatteur Pinchefne eft voftre égal.] ETIENNE Martin, Sieur de Pin

contenant

chefne, Neveu de Voiture. Il avoit
fait imprimer un gros Recueil de
mauvaises Poëlies
les Floges du Roi, des Princes &
Princeffes de fon Sang, & de toute
fa Cour. C'eft à quoi l'Auteur fait
allufion dans cet endroit. Voiés
Epitre X. Vers 36. Lutrin, Chant
V. Vers 163.

M.PE

Despre’aux, après avoir attaqué fortement ‚ l'Erreur & le Mensonge dans beaucoup de fes Ouvrages, ne devoit pas manquer d'en faire un pour infpirer l'amour de la Vérité. C'est dans cette vuë qu'il a compofé l'Epitre IX.

Rien n'est beau que le Vrai. Le Vrai seul est aimable.

Ce Vers explique tout le fujet de cette Pièce, dans la quelle l'Auteur a fait briller tout fon Génie, en traitant une matière fi conforme à fes fentimens. C'est ici qu'il a fu de la manière la plus agréable unir tout le fublime de la Morale à toutes les douceurs de la Poëfie. L'Epître IX. fut composée au commencement de 1675. avant l'Epître VIII.

EPISTRE IX. ́

A MONSIEUR

LE MARQUIS DE SEIGNELAY,

SECRETAIRE D'ETAT.

DANGEREUX Ennemi de tout mauvais Flatteur,
Seignelay, c'est envain qu'un ridicule Auteur,
Preft à porter ton nom de l'Ebre jusqu'au Gange,
Croit te prendre aux filets d'une fotte loüange.

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5 Auffi-toft ton Efprit, prompt à fe revolter,
S'échappe, & rompt le piege où l'on veut l'arrefter.
Il n'en eft pas ainfi de ces Efprits frivoles,
Que tout Flatteur endort au fon de fes paroles;
Qui dans un vain Sonnet placez au rang des Dieux,
10 Se plaisent à fouler l'Olympe radieux ;

Et fiers du haut eftage où La Serre les loge,
Avalent fans dégouft le plus groffier éloge.
Tu ne te repais point d'encens à fi bas prix.
Non que tu fois pourtant de ces rudes Efprits
15 Qui regimbent toûjours, quelque main qui les flate.
Tu fouffres la loüange adroite & délicate,
Dont la trop forte odeur n'ébranle point les fens.
Mais un Auteur novice à répandre l'encens,
Souvent à fon Heros, dans un bizarre Ouvrage,
✩ Donne de l'Encenfoir au travers du visage :

REMARQUES.

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,, sère dans les Epîtres dédicatoires de quelques Livres. Il ,, en faut retrancher les penfees ,, trop hardies ou trop irréguliè,, res, & les paroles peu conve

"

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VERS 11. Et fiers du haut eflage,, me d'Eloges, ou qu'il les inoù La Serre les loge. ] LA Serre, fade Panégyrifte, qui fe flattoit d'être fort/capable de composer des Eloges, fuivant l'ufage où l'on êtoit en ce tems-là de faire des Portraits en vers ou en profe. Il faut accorder, dit Sorel dans fa Bibliothèque Françoife, ,, pag. 157. que M. de La Serre s'eft trouvé très - propre à ces fortes d'Ouvrages, & qu'il a un Génie particulier pour ce,, la, foit qu'il leur laifle la for

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nables C'eft à-dire, que La Serre eut êté bon Ecrivain, s'il eut fu penfer & s'exprimer. Voies Sat. III. Vers 176. Sat. IX. Vets 72.

IMIT. Vers 15. Qui regimbent toujours, quelque main qui les flate.] HORACE, L. II. Sat. I. Vers 20.

Cui male fi palpêre, recalcitrat undique tutus. VERS 20. Donne de l'Encenfoir au travers du vilage. ] Ce Vers eft devenu Proverbe. BROSs.

Je ne fais fi je me trompe, mais il ne femble que le Pro

verbe, donner de l'encenfoir par Le nés, eft plus ancien que M. Defpréaux. Cela fuppofé, for Vers n'en feroit que la traduc tion.

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