Page images
PDF
EPUB

EPISTRE VI.

A M. DE LAMOIGNON,

A VOCAT

GÉNÉRAL.

OUI, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville,

Et contre eux la Campagne est mon unique azile.
Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau ?
C'est un petit Village, ou plûtoft un Hameau :

REMARQUES.

VERS 1. Oui, Lamoignon, &c.] Chreftien - François de Lamoignon Avocat Général) depuis Préfident à Mortier, Fils de Guillaume de Lamoignon, Premier Préfident du Parlement de Paris. DESP.

Il êtoit né le 26. de Juin 1644. & mourut le 6. d'Août

1709.

VERS 4. C'est un petit Villa ge, &c. Hautile, petite Sei

gneurie près de la Roche-Guyon, appartenant à mon Neveu l'il luftre M. Dongois, Greffier en chef du Parlement. DE SP.

Dans toutes les Editions il y avoit à la marge: Hantile, proche la Roche-Guyon. Je fis remarquer à l'Auteur cette confonance vicieufe, proche la Roche, & il la corrigea dans fa dernière Edition de 1701. Hautile eft du côté de Mantes à treize lieu

5 Bafti fur le penchant d'un long rang de collines,
D'où l'œil s'égare au loin dans les plaines voisines.
La Seine au pied des monts que fon flot vient laver
Voit du sein de ses eaux vingt Isles s'élever,
Qui partageant fon cours en diverses manieres,
forment vingt rivieres.

10 D'une riviere feule , y
Tous les bords font couverts de faules non plantés,
Et de noyers fouvent du Paffant infultés.

Le Village au deffus forme un amphitheatre.
L'Habitant ne connoist ni la chaux ni le plastre,
15 Et dans le roc qui cede & se coupe aisément,
Chacun fçait de fa main creuzer fon logement.
La maison du Seigneur feule un peu plus ornée,
Se prefente au dehors de murs environnée.
Le Soleil en naiffant la regarde d'abord :
20 Et le mont la deffend des outrages du Nord.

C'est là, cher Lamoignon, que mon efprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallon bornant tous mes defirs,
J'achete à peu de frais de folides plaifirs.

25 Tantoft, un livre en main, errant dans les préries, J'occupe ma raifon d'utiles rêveries.

[blocks in formation]

Tantoft cherchant la fin d'un vers que je conftruy,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avoit fuy.
Quelquefois aux appas d'un hameçon perfide,

30 J'amorce, en badinant, le poisson trop

avide;

Ou d'un plomb qui fuit l'œil, & part avec l'éclair,
Je vais faire la guerre aux habitans de l'air.

Une table au retour propre & non magnifique
Nous préfente un repas agreabie & ruftique.
35 Là fans s'affujetir aux dogmes du Broussain,
Tout ce qu'on boit eft bon, tout ce qu'on mange eft fain,

REMARQUES.

des rêveries d'homme, qui n'a goufié des fciences que la croufle première. Liv. I. Ch. XXV.

VERS 29. Quelquefois aux appas d'un hameçon, &c. ] On croit que l'Auteur auroit du mettre à Pappåt. Ce mot ne s'emploie au pluriel, que dans le fens figuré; Les appas d'une Belle.

M. Broffette a raifon. Aux appas d'un Hameçon, eft une vraie faute de Langue. L'ufage veut que l'on dife, l'appát d'un hamefon. C'est ce que confirme la phrase proverbiale, mordre à l'appat, qui fe dit auffi bien, que

mordre à l'hameçon. Mais on ne dit point mordre aux appas. On s'appuie ici d'une phrafe proverbiale, parce que ces fortes de phrafes font autorité dans la Langue. Au refte, appât au fingulier s'emploie fort bien dans le fens figuré. Nos Prédicateurs difent tous les jours: l'appât trompeur des vanités humaines; l'appåt des richesses.

IMIT. Ibid. Quelquefois aux appas, &c.] M. Broffette veut que ce Vers & le fuivant foient imités de celui-ci de Martial, Liv. I. Epigr. LVI.

Et pifcem tremulâ falientem ducere Setd.

VERS 31. Ou d'un plomb qui fuit l'ail, & part avec l'éclair. ] Le choix des mots, leur fon, & la légèreté du Vers entier, peignent très bien l'éclat & le prompt effet d'un coup de fufil. Au relte il faut lire: fuit l'œil, & non pas fuit, comme quelques

uns l'ont cru.

VERS 35. aux dogmes du Brouain. RENE' BRULART Comte du Brouain, Fils de Louis Brulart, Seigneur du ProuȚain & du Rancher; & de Madelaine Colbert. Voïés Satire III. Note préliminaire, & Vers 74. 88. 107.

La maison le fournit, la Fermiere l'ordonne, Et mieux que Bergerat l'appetit l'affaisonne. O fortuné féjour ! ô champs aimés des Cieux! 40 Que pour jamais foulant vos prés delicieux, Ne puis-je ici fixer ma courfe vagabonde,

Et connu de vous feuls, oublier tout le monde.

Mais à peine du sein de vos vallons cheris,
Arraché malgré moi, je rentre dans Paris,
45 Qu'en tous lieux les Chagrins m'attendent au passage.
Un Coufin abufant d'un fâcheux parentage,
Veut qu'encor tout poudreux, & fans me débotter,
Chez vingt Juges pour lui j'aille folliciter.

Il faut voir de ce pas les plus confiderables.
so L'un demeure au Marais, & l'autre aux Incurables.

REMARQUES.

IMIT. Vers 37. La maison le MARTIAL Livre I. Epigr fournit, la Fermiere l'ordonne.] LVI.

[ocr errors]

Pinguis inæquales onerat cui Villica menfas
Et fua non emptus præparat ova cinis.
Bons enfans.

VERS 38. Et mieux que Berge-
rat.] Fameux Traiteur. DESP.
Il demeuroit dans la rue des
Bons enfans, à l'enfeigne des

VERS 39. O fortuné léjour ! & champs, &c.] Horace, Livre II. Satire VI.

O rus, quando ego te afpiciam? quandoque licebit Nunc Veterum libris, nunc fomno & inertibus horis Ducere follicita jucunda oblivia vita. VERS 46. Un Coufin abufant,&c.] Baltazar Boileau. Il avoit eu des biens confidérables entre autres trois Charges de Païeur des Rentes, qui furent fupprimées. Pour en obtenir le rem

[ocr errors]

boursement il avoit engagé
nôtre Auteur dans fes follicita-
tions, fur-tout auprès de M.
Colbert.

VERS 50. L'un demeure au Ma-
rais,&c.] Horace, Ep.II.L.II.v.68.
Cubat hic in colle Quirini,
Hic extremo in Aventino: visendus uterque
Intervalla vides bumanè commoda.

Je

Je reçois vingt avis qui me glacent d'effroy.
Hier, dit-on, de vous on parla chez le Roy
Et d'attentat horrible on traita la Satire.

[ocr errors]

Et le Roy, que dit-il? Le Roy fe prit à rire. 35 Contre vos derniers vers on eft fort en courroux Pradon a mis au jour un Livre contre vous,

REMARQUES.

VERS (4. Le Roy fe prit & rire.] Le Duc de Montauxier ne fe lafloit point de blâmer les Sa tires de nôtre Poëte. Un jour le Roi peu touché des cenfures, que ce Seigneur en faifoit, fe prit à rire & lui tourna le dos. Nôtre Auteur n'avoit garde de manquer à faire ufage d'un fait, qui lui faifoit honneur. Quand il récita cette Epitre au Roi, Sa

Majefté remarqua principalement cet endroit, & fe mit encore à rire.

IMIT. Ibid. Et le Roy, que ditil? Le Roy fe prit à rire. ] HORACE en pareil cas, comptoit beaucoup fur le fuffrage d'Augufle; & ce qu'il en dit a fervi de modèle à nôtre Auteur. C'est dans la Satire I. du Livre II. Vers 82.

Si mala condiderit in quem quis carmina jus eft
Judiciumque. Eflo, fi quis mala: fed bona fi quis
Judice condiderit laudatur Cafare. Si quis
Opprobriis dignum laceraverit, integer ipfe,
Solventur rifu tabula, tu miffus abibis.
VERS . Contre vos derniers
vers, &c.] C'eft l'Epitre VII. à
M. Racine, compofée quelque
tems avant celle-ci. Comme elle
contient plufieurs traits fatiri-
ques, elle avoit excité de nou-
velles rumeurs fur le Parnaffe.

[ocr errors][ocr errors]

VERS 56. Pradon a mis au jour
un Livre contre vous. ] Ce Poëte,
traité felon fes mérites dans l'E-
pitre VII. publia, dit M.
Broffette une Critique des Poë-
,, fies de M. Defpréaux, intitu-
lée
Le Triomphe de Pradon,
C'eft à quoi ce Vers fait allu-
fion,,. M. Du Monteil relève
avec raifon M. Broffette, qui fe
trompe dans cet endroit, & qui
fe contredit dans fa Remarque
fur le Vers 48. dans laquelle il
Tome I.

[ocr errors]
[ocr errors]

fait mention de la Préface que Pradon mit à la tête de fa Phédre. C'est à cette Préface que M. Defpréaux fait allufion ici. Se pouvoit-il que dans une Epitre compofée en 1677. & publiée en 1683. il eut en vue Le Triomphe de Pradon fur les Satires du Sieur D***? Cet Ouvrage ne parut qu'en 1686. & d'ailleurs il n'eft pas une Critique des Poeftes de M. Despréaux, comme dit M. broffette. Il ne contient que l'Examen du Difcours au Roi, & des trois premières Satires. L'année précédente, Pradon avoit publié les Nouvelles Remarques fur tous les Ouvrages du Sieur D ***.

Dans l'Edition de Paris 1740. on a laiffe fubfifter la faute de

Y

« PreviousContinue »