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L'argent en honnefte homme érige un fcelerat.
L'argent feul au Palais peut faire un Magistrat.

Qu'importe qu'en tous lieux on me traite d'infâme,
9° Dit ce Fourbe fans foi, fans honneur, & fans âme,
Dans mon coffre tout plein de rares qualités,
J'ai cent mille vertus en louis bien comptés.
Est-il quelque talent que l'argent ne me donne ?
C'eft ainfi qu'en fon cœur ce Financier raisonne.
95 Mais pour moi, que l'éclat ne fçauroit decevoir,
Qui mets au rang des biens, l'efprit & le fçavoir,
J'eftime autant Patru, mefme dans l'indigence,
Qu'un Commis engraiffé des malheurs de la France,

Non que je fois du gouft de ce Sage insensé,
100 Qui d'un argent commode esclave embarrassé,
Jetta tout dans la Mer, pour crier, Je suis libre,
De la droite raifon je fens mieux l'equilibre :
Mais je tiens qu'ici-bas, fans faire tant d'apprests,
La vertu fe contente, & vit à peu de frais.

REMARQUES.

CHANG. Vers 97. J'eflime autant Patru, &c.] Au lieu des

deux Vers qui font ici, il y avoit
dans les premières Editions:

Je fai que dans un ame où manque la Sageffe,
Le bonheur n'eft jamais un fruit de la Richeffe.

Mais après la mort de M. Patru,
qui arriva au mois de Janvier
1681. l'Auteur fupprima ces der-
niers Vers, & mit les deux au
tres à la place.

Ibid. J'eftime autant Patru, &c.]
Fameux Avocat, & le meilleur
Grammairien de noftre fiecle.
DESP. Edit, de 1701. & un des
bons Grammairiens de noftre

fiecle. DESP. Edit. pofth. 1713, Voïés Satire I. Vers 123.

VERS 99. -de ce Sage infenfé. ] ADISTIPPE fit cette ace tion ; & Diogene confeilla à Cra tés, Philofophe Cynique, de faire la même chofe. DES P.

IMIT. Ibid. de ce Sage in
fenfe, &c.] Horace dit, Satire
III. Liv. II. Vers 100,
Græcus Arifiippus, qui fervos projicere aurum
In medid juffit Libid: quia tardiùs irent
Propter onus fegnes,

105 Pourquoi donc s'égarer en des projets si vagues?
fi
Ce que j'avancé, ici, croi-moi, cher Guilleragues,
Ton Ami dés l'enfance ainfi l'a pratiqué.

Mon Pere foixante ans au travail appliqué,

En mourant me laissa pour rouler & pour vivre, 110 Un revenu leger, & fon exemple à suivre.

Mais bien-toft amoureux d'un plus noble métier,
Fils, frere, oncle, coufin, beau-frere de Greffier,
Pouvant charger mon bras d'une utile liasse,
J'allay loin du Palais errer fur le Parnasse.
115 La Famille en pâlit, & vit en frémissant,
Dans la Poudre du Greffe un Poëte naiffant.
On vit avec horreur une Mufe effrenée
Dormir chez un Greffier la grasse matinée.

REMARQUES.

VERS 108. Mon Pere. ] GILLES BOILEAU, Greffier du Confeil de la Grand'Chambre également recommandable par fa probité, & par fon expérience dans les affaires. Il mourut en 1657. âgé de 73. ans.

VERS 109. En mourant me laiffa, &c.] Environ douze mille écus de Patrimoine, dont nôtre Auteur mit environ le tiers à fonds perdu fur l'Hôtel de Ville de Lyon, qui lui fit une rente de quinze cens livres pendant fa vie. Mais fon bien s'augmenta confidérablement dans la fuite, par des fucceffions, & par des penfions que le Roi lui donna.

VERS 112. — frere, oncle,

coufin, beau-frere de Greffier.] FRE RE de Jerôme Boileau fon aîné, qui a poffedé la Charge du Père. Il mourut au mois de Juillet 1679. OŃCLE de M. Dongois, Greffier de l'Audience à la Grand'Chambre ; Fils d'une Soeur de l'Auteur. CoUSIN du même M. Dongois, qui avoit époufé une coufine germaine de nôtre Poëte. BEAUFRERE de M. Sirmond, qui a eu la même Charge de Greffier du Confeil de la Grand'Chambre.

IMIT, Ibid. Fils, frere, oncle, coufin, beau-frere de Greffier, ] Ce Vers eft imité de ce qu' Agrippine dit dans la feconde Scène du fecond A&te du Britannicus de M. RACINE.

Moi, fille, femme, fœur, & mere de vos Maîtres.

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la graffe matinée. ] Il êtoit grand dormeur,

Deflors à la richeffe il fallut renoncer.

120 Ne pouvant l'acquerir, j'appris à m'en passer,
Et fur tout redoutant la basse servitude,
La libre verité fut toute mon étude.

Dans ce métier funeste à qui veut s'enrichir,

Qui l'euft creu, que pour moy le Sort dust se fléchir ? 125 Mais du plus grand des Rois la bonté fans limite, Toujours prefte à courir au devant du merite, Creut voir dans ma franchise un merite inconnu, Et d'abord de ses dons enfla mon revenu.

La brigue, ni l'envie à mon bonheur contraires, 130 Ni les cris douloureux de mes vains Adversaires, Ne pûrent dans leur course arrefter fes bien-faits. C'en eft trop : mon bonheur a paffé mes fouhaits. Qu'à fon gré deformais la Fortune me jouë, On me verra dormir au branle de fa rouë. 135 Si quelque foin encore agite mon repos, C'eft l'ardeur de louer un fi fameux Heros, Ce foin ambitieux me tirant par l'oreille, La nuit, lorfque je dors, en furfaut me reveille; Me dit que ces bienfaits, dont j'ofe me vanter, 140 Par des Vers immortels ont dû se meriter.

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C'est là le feul chagrin qui trouble encor mon ame.
Mais fi dans le beau feu du zele qui m'enflame,
Par un ouvrage enfin des Critiques vainqueur,
Je puis, fur ce fujet, fatisfaire mon cœur ;
145 Guilleragues, plain-toi de mon humeur legere,
Si jamais entraîné d'une ardeur étrangere,
Ou d'un vil intereft reconnoiffant la loi,
Je cherche mon bonheur autre-part que chez moi.

REMARQUES.

On me verra dormir au branle de
fa roue. Ces deux Vers paroif-
fent être une Imitation de ces

deux Vers de Corneille dans la
Scene V. du II. Acte de l'Illufion
Comique.

Ainfi de notre espoir la Fortune se joue:
Tout s'éleve ou s'abaiffe au branle de fa rovë.

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A fixiéme Epître fut composée après la feptiê LA

y rea

me, en l'année 1677. M. Defpréaux étoit allé passer une partie de l'Eté à la Campagne. Il çut une Lettre de M. l'Avocat Général de Lamoignon, qui lui reprochoit fa trop longue abfence de Paris, & l'exhortoit d'y revenir promptement. M. Defpréaux lui répondit par cette Epître, dans laquelle il décrit les douceurs, dont il joüit à la Campagne, & les chagrins qui l'attendent à la Ville. Horace a traité le même fujet dans une partie de la fixiéme Satire du fecond Livre.

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