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S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix, & fe mettent en quéte;
Trouvent l'Ours qui s'avance,& vient vers eux au trot.
Voila mes gens frappez comme d'un coup de foudre.
Le marché ne tint pas ; il falut le refoudre:

D'interéts contre l'Ours, on n'en dit pas un mot. L'un des deux Compagnons grimpe au faiste d'un arbre:

L'autre plus froid que n'est un marbre,

Se couche fur le nez, fait le mort, tient fon vent;
Ayant quelque part oüi dire,

Que l'Ours s'acharne peu fouvent

Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne refpire.
Seigneur Ours,comme un fot,donna dans ce panneau.
Il void ce corps gifant, le croit privé de vie,
Et de peur de fupercherie

Le tourne, le retourne, approche fon museau,
Flaire aux paffages de l'haleine.

C'eft, dit-il, un cadavre : Oftons-nous, car il fent.
A ces mots l'Ours s'en va dans la foreft prochaine.
L'un de nos deux Marchands de fon arbre defcend;
Court à fon compagnon; lui dit que c'est merveille,
Qu'il n'ait eu feulement que la peur pour tout mal.
Et bien, ajouta-t-il, la peau de l'animal?
Mais que t'a-t-il dit à l'oreille?

Car il s'approchoit de bien prés,
Te retournant avec fa ferre.

Il m'a dit qu'il ne faut jamais.

Vendre la peau de l'Ours qu'on ne l'ait mis par terre.

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L'Ane veftu de la peau du Lion.
Elapeau du Lion l'Anes'étant vétu
Etoit craint par tout à la ronde.

Er bien qu'animal fans vertu,

Il faifoit trembler tout le monde.
Un petit bout d'oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe & l'erreur.

Martin fit alors fon office.

Ceux qui ne favoient pas la rufe & la malice,

S'étonnoient de voir que Martin

Chaffaft les Lions au moulin.

For

Force gens font du bruit en France Par qui cét Apologue eft rendu familier Un équipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance.

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Le Lion & le Chaffeur.

Es Fables ne font pas ce qu'elles femblent être

Une Morale nue apporte de l'ennui:
Le conte fait paffer le precepte avec luy.
En ces fortes de feinte il faut inftruire & plaire;
Et conter pour conter me femble peu d'affaire.

C'est

C'est par cette raifon qu'égaiant leur efprit
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l'ornement & le trop d'étenduë.
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phédre étoit fi fuccint qu'aucuns l'en ont blâme.
Efope en moins de mots s'eft encore exprimé.
Mais fur tous certain * Grec rencherit & fe pique.
D'une élegance laconique.

Il renferme toûjours fon conte en quatre Vers;
Bien ou mal, je le laiffe à juger aux experts.
Voyons-le avec Efope en un fujet femblable.
L'un ameine un Chaffeur,l'autre un Paftre en fa Fable
J'ay fuivi leur projet quant à l'évenement,
Y coufant en chemin quelque trait feulement.
Voici comme à peu prés Efope le raconte.

UN

NPaftre à fes Brebis trouvant quelque méconte
Voulut à toute force attraper le Larron.

Il s'en va prés d'un autre, & tend à l'environ

De lags à prendre Loups, foupçonnant cette éngeance
Avant que partir de ces lieux.

Si tu fais, difoit-il, ô Monarque des Dieux,
Que le drôle à ces laqs fe prenne en ma prefence,
Et que je goûte ce plaifir.

Parmi vingt Veaux je veux choifir
Le plus gras, & t'en faire offrande.

A ces mots fort de l'antre un Lion grand & fort.
Le Pastre se tapit, & dit à demi mort,

Que l'homme ne fait guerre, helas! ce qu'il demande
Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau.
Et le voir en ces laqs pris avant que je parte,
O Monarque des Dieu, je t'ay promis un Veau;
Je te promets un Boeuf fi tu fais qu'il s'écarte.
C'eft ainfi que l'a dit le principal Auteur:
Paffons à fon imitateur.

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