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échelle, une étude de psychologie sur le genre humain. Nous suivions avec une religieuse émotion la grande biographie de cet individu immortel qui, comme dit Pascal, vit toujours et apprend sans cesse. Chaque époque littéraire était un des moments de sa pensée; chaque œuvre, une des vues de son esprit ou un des battements de son cœur.

Nous l'avouons, nous nous sommes arrêté avec complaisance sur le moyen âge et même sur les temps de confusion qui l'ont préparé. Soit simple curiosité pour des âges peu connus, soit retour instinctif sur l'époque où nous vivons, nous aimions à voir comment les sociétés recommencent. Du sein de la plus épouvantable confusion, où se choquent pêle-mêle les débris d'une civilisation détruite, les mœurs sauvages des hordes germaniques, les enseignements d'une religion nouvelle, nous voyions sortir un ordre inattendu, une organisation puissante et. belle, la féodalité, couronnée de la chevalerie, son idéal. Nous avons étudié longuement nos vieilles Chansons de Geste, ces rudes épopées du XII et du XIIIe siècle, poétiques miroirs d'une époque glorieuse. Puis nous avons vu l'Église, avec ses austères travaux, sa scolastique, sa théologie, ses chroniques latines, grandir à côté du manoir, l'envelopper de sa puissante étreinte, et placer le Odroit en face de la force, l'intelligence au-dessus du glaive1.

Au XIV et au xv siècle, autre spectacle non moins frappant la science s'émancipe d'une tutelle longtemps bienfaisante; l'Église n'est plus le seul pouvoir moral, l'esprit humain commence à s'affranchir. Bientôt il se fortifie par l'héritage de l'antiquité : la tradition grecque et latine re

1. Comme nous cherchions dans la littérature quelque chose de plus sérieux que l'arrangement des paroles, nous n'avons pas dû exclure absolument de nos études tout ce qui fut écrit en France dans un autre idiome que la langue d'Oïl. On ne détruit pas les faits en les négligeant. Les chants des troubadours ne nous sont pas étrangers; l'immense mouvement intellectuel de la société cléricale est une des gloires de la France. Parler des lettres au moyen âge sans dire un mot de 1 Église et de ses travaux, c'est décrire l'aurore en faisant abstraction de la lumière.

paraît dans tout son éclat. Le xvr siècle est comme confluent où les deux courants de la civilisation, christianisme et l'antiquité, se rejoignent.

C'est sous Louis XIV qu'ils forment en France ce gra et majestueux fleuve où l'Europe tout entière a puisé. Après lui nouvelle ruine : toutes les bases de la socié s'ébranlent, toutes les autorités s'écroulent. Comme à chute de l'empire romain, il se fait une terrible invasion celle des idées : le xvIIIe siècle est une époque de rer versement.

Une grande mission semble réservée au nôtre, celle d reconstruire l'édifice sur des bases nouvelles. Il ne s'agi point de relever purement et simplement ce que le temp a détruit. La tentative gigantesque mais éphémère d Charlemagne est là pour nous apprendre que l'histoire n se répète pas. Ce que le génie d'un grand homme n'avai pu faire, la force vitale des nations, la séve naturelle de l'esprit humain l'a accompli : le moyen âge a trouvé de lui-même sa forme. Notre siècle sans doute trouvera auss la sienne. Déjà, sans renoncer à la liberté, conquête de la génération précédente, nous avons rejeté ses stériles négations. La religion, dont nos aïeux avaient trop fait une institution politique appuyée sur la loi du pays, a retrouvé sa vraie puissance depuis qu'elle ne veut plus d'autres armes que la libre adhésion des fidèles, d'autre privilége que celui de faire le bonheur des hommes. L'Etat, l'art, la science, la philosophie se rapprochent et se groupent auto..r du principe sauveur qui se dégage lentement du milieu de nos souffrances, de nos déchirements et de nos misères; ce principe c'est la foi à la vérité librement examinée et librement admise, l'obéissance à la raison impersonnelle, souveraine invisible et absolue du monde.

Telles sont les idées que nous nous sommes efforcé de développer dans ce livre, et que nous soumettons avec respect au jugement du public.

20 août 1851.

DE LA

LITTÉRATURE FRANÇAISE.

PREMIÈRE PÉRIODE.

LES ORIGINES.

CHAPITRE PREMIER.

LES CELTES ET LES IBÈRES.

PERSEVERANCE DU CARACTÈRE CELTIQUE.-INFLUENCE DES IDIOMES CEL-
TIQUES SUR LA LANGUE FRANÇAISE. - RESTES DE LA POÉSIE GAULOISE.
-LES IBÈRES. LEUR LANGUE ET LEUR POÉSIE.

Persévérance du caractère celtique.

Entre la société antique qui meurt avec l'empire romain
et le monde moderne qui se constitue au moyen âge, il y a
six siècles de laborieuse préparation, pendant lesquels
toutes les forces vivantes qui doivent produire une civilisa-
tion nouvelle s'agitent en désordre et comme dans un vaste
chaos. Cette époque, stérile en apparence, n'en renferme
pas moins les germes féconds de l'avenir. Nous devons donc
reconnaître et saisir dans leur manifestation littéraire ces
influences diverses dont la combinaison nous a faits ce que
nous sommes. Les principales sont les traditions de la Grèce
et de Rome, les enseignements du christianisme et les mœurs
apportées par l'invasion germanique. Mais sous ces courants
étrangers, qui s'uniront bientôt en un grand fleuve, est le
sol même qui se creuse pour les contenir, je veux dire la
race primitive, antérieure à la double conquête romaine et

germanique, à la double civilisation hellénique et chréti et dont le caractère persévérera sous tant de modifica diverses. C'est d'elle que nous allons d'abord parler.

« Pour bien comprendre l'histoire de la nation franç dit avec raison Heeren, il est essentiel de la considérer co issue de la race celtique. C'est ainsi seulement qu'on s'expliquer son caractère si différent de celui des Allema caractère qui, malgré les, divers mélanges qu'eut à sub population celtique, est demeuré tel encore chez les F çais, que nous le trouvons dessiné dans César. »

Les Celtes apparaissent dans l'histoire comme un pe hardi, entreprenant, dont le génie n'est que mouvemen conquête. On les retrouve partout dans le monde, à Ro à Delphes, en Egypte, en Asie, toujours courant, toujo pillant, toujours vides de butin et de danger. Ce sont grands corps blancs et blonds, qui se parent volontiers grosses chaînes d'or, de tissus rayés et brillants, comme tartan des cossais, leurs descendants. Ils aiment en tout clat et la bravade; ils lancent leurs traits contre le ciel qua il tonne, marchent l'épée à la main contre l'océan débor vendent leur vie pour un peu de vin, qu'ils distribuent leurs amis, et tendent la gorge à l'acheteur, pourvu qu' cercle nombreux les regarde mourir. Race sympathique sociable, ils s'unissent en grandes hordes et campent da de vastes plaines. Il est une chose qu'ils aiment presque a tant que bien combattre, c'est finement parler. Ils ont u langage rapide, concis dans ses formes, prolixe dans so abondance, plein d'hyperboles et de témérités1. Du rest ils savent écouter dans l'occasion: avides de contes et d récits, quand ils ne peuvent aller les chercher eux-même par le monde, ils arrêtent les voyageurs au passage, et le forcent à leur raconter des nouvelles. Courage, sympathie jactance, esprit, curiosité, tels sont les traits principaux sou lesquels les auteurs anciens nous peignent les (Gaulois no

aïeux.

S'il s'agissait ici d'une étude d'ethnographie ou de lin4. Diodore de Sicile, I. IV.

guistique, il faudrait, pour être exact, subdiviser, avec M. Am. Thierry, la race gauloise en deux familles, parlant deux idiomes analogues, mais distincts, l'une celle des Gaëls, fixée plus anciennement sur le sol de la Gaule, prédominante dans les provinces de l'est et du centre, et envahissant de là l'Irlande et la haute Écosse; l'autre, celle des Kymris, faisant partie d'une migration plus récente, et répandue surtout à l'ouest de la Gaule, ainsi qu'au sud de l'île de Bretagne. Nous devons négliger ici cette subdivision qui n'est point radicale. Les deux populations et les deux langues appartenaient à la même souche, à la souche celtique; et le peu de mots que nous en pouvons dire se rapportent indistinctement aux deux rameaux.

Influence des idiomes celtiques sur laflangue française. Les idiomes celtiques se rattachent, par leur origine, à la grande famille indo-européenne, qui comprend le sanscrit, le zend, le grec, le latin, les idiomes germaniques et les idiomes slaves. Ils s'y rapportent par leurs conditions essentielles, ils en sont parents à un degré éloigné, mais ils en sont encore parents1.

On croit généralement que l'invasion romaine transforma complétement la Gaule: il est sûr que les classes supérieures de la population adoptèrent avec empressement les mœurs et le langage des vainqueurs. Là, plus encore qu'en Bretagne, les lettres furent un instrument de conquête; toutefois, sous cette surface uniforme et brillante dormait l'antique génie de la Gaule. Le vieille langue des aïeux, presque exilée des grandes villes, se conservait vivante et révérée dans les hameaux', dans les campagnes, au bord des forêts druidiques. L'érudition en a suivi pieusement les traces d'âge en âge à travers le texte des écrivains latins 2. Au VIe siècle le poëte Fortunat rend encore témoignage de son existence et de ses inspirations lyriques. A cette époque le

-

Les

4. J. J. Ampère, Histoire de la littérature française, t. I. 33. p. savantes Recherches sur les langues celtiques, de M. F. Edwards, ont mis cette parenté dans tout son jour.

2. Larue, Essai historique sur les bardes, discours préliminaire. 3. Venantius Fortunatus, I. VII, p. 270.

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