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imme de la plante merveilleuse qui naquit sur le tombeau e Tristan, et qui, grimpant le long des murs du monastère, edescendait en touffes odorantes sur la pierre sépulcrale de reine Iseult sa bien-aimée. Trois fois le roi Marc, qu'aaient offensé leurs amours, en fit arracher les racines, mais ujours la plante obstinée reparaissait avec l'aurore et omrageait les deux tombeaux de sa verdure et de ses fleurs.

CHAPITRE X.

TROISIÈME CYCLE ÉPIQUE.

SUJETS ANTIQUES. ULYSSE DANS LA TRADITION POPULAIRE.CAUSE DE LA VOGUE DES SUJETS CLASSIQUES.-TRAVESTISSEMENT CHEVALERESQUE. - LA GUERRE DE TROIE; MÉDÉE; ALEXANdre.

Sujets antiques.

Si c'est le propre de l'épopée de reproduire, comme un vaste miroir, la physionomie de l'époque qui l'a créée, les poëmes du moyen âge, considérés dans leur ensemble comme une grande œuvre collective, remplissent admirablement ce programme. Ces fictions, plus vraies que l'histoire, expriment ce que l'histoire néglige elles peignent l'esprit, les mœurs, l'aspect général du temps, tout ce qui s'efface et disparaît dans les froides chroniques. Nous avons déjà vu s'y dessiner tour à tour les traits caractéristiques de cette époque; dans les poëmes carlovingiens, la féodalité avec sa turbulente valeur, ses guerres privées, ses insurrections contre le pouvoir central, ses luttes contre les Sarrasins; dans le cycle d'Arthur, la chevalerie tour à tour galante et dévote, espèce de lutte d'influence entre le cloître et le château. Mais l'épopée du moyen âge ne se borne pas à reproduire les traits de la société française; elle en indique encore les origines, au moins par la nature des sujets qu'elle traite. Ainsi l'élément germanique est principalement représenté

par les sujets carlovingiens, l'élément celtique par les sujet bretons.

Il serait étonnant que l'antiquité gréco-latine, qui formai toujours le fond de la civilisation et de la langue du moyer âge, n'eût pas fourni à ses poëtes le sujet d'une partie de leurs chants. Elle a en effet payé un riche tribut à la verve épique de nos trouvères. Mais ici encore, comme dans cycle qui vient de nous occuper, la matière fournie par l'an cien monde a reçu, après sa nouvelle fusion, l'empreint commune du moyen âge. C'est sous ce rapport seulemen qu'elle doit nous occuper. Rien de plus curieux, en effe que de voir les riches débris de l'art antique perdre leu forme élégante et classique sous la main du gothique at chitecte. Rien n'exprime mieux la force vitale du génie ro mantique que de le voir s'emparer ainsi des sujets grecs latins sans se laisser dominer par leur admirable forme.

Ulysse dans la tradition populaire.

Le premier exemple d'une fiction inspirée par les souve nirs de l'antiquité est des plus curieux : c'est l'histoire d'U lysse déguisée sous des noms et des circonstances moder nes, et attribuée à un seigneur des environs de Toulouse nommé Raymond du Bousquet. Elle se trouve dans une lé gende languedocienne du XIe siècle, analysée par Fauriel' Minerve est remplacée par Sainte-Foi, qui, après une tem pête de trois jours, arrache le héros du naufrage et le ra mène dans sa patrie. Pénélope a perdu sa constance ave son nom; elle a prêté l'oreille à un prétendant, qui ne l'es déjà plus, quand Raimond revient inconnu dans son Ithaque Le comte se cache dans la demeure d'un paysan qui lui es resté aussi fidèle qu'Eumée au fils de Laërte. C'est là qu'il at tend l'heure où il pourra chasser l'intrus et reconquérir son domaine. Enfin, ce qui ne peut être une ressemblance for tuite, Raimond est reconnu, dans un bain, à la cicatrice d'une blessure, comme Ulysse par sa nourrice Euryclée. Ce der nier trait appartient aux mœurs grecques et ne saurait avoir

1. Romans provençaux (ixe leçon).

imaginé au xro siècle. Pour compléter l'analogie, le narteur ajoute, dans une espèce de post-scriptum, une partilarité qu'il a omise dans la suite du récit. Il raconte que pirates qui s'étaient rendus maîtres de Raimond, lui firent ire une potion tirée d'une plante magique, qui avait pour et de faire perdre, à ceux qui en goûtaient, le souvenir de ir patrie et de leur famille. On voit que la poétique fiction A lotos vivait encore dans la mémoire du peuple. Car ce est point par la transmission savante des écoles que l'hisre d'Ulysse a pu se perpétuer ainsi en s'altérant. Elle s'est opagée comme se conservent chez nous certaines avenres chevaleresques, par la tradition orale, par les contes nt les mères amusent la curiosité de l'enfance.

Cause de la vogue des sujets classiques.

Ce fut vers la fin du XII et au XIe siècle que la poésie franise commença à redire les noms à jamais glorieux d'Ilion, 'Hector, d'Alexandre. Nul doute que les trouvères, qui alors iscréditaient partout les jongleurs, et prétendaient que

Ces trovéors bâtards font contes abaisser 1,

e cherchassent dans les souvenirs confus de l'antiquité le ouble avantage de faire briller leur supériorité classique et 'offrir un thème nouveau à la curiosité des auditeurs. Ils isaient avec une certaine satisfaction :

Cette ystoire n'est pas usée,

Ni en guère de lieux trouvée.
Já écrite ne fut encore2.

Ils s'écriaient aussi, en paraphrasant à leur manière l'odi urofanum d'Horace :

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Mais, outre les calculs personnels des poëtes, il faut

4. Alexandre et Lambert li cors. Poëme d'Alexandre le Grand. 2. Benoit de Sainte-More. Histoire de la guerre de Troie.

3. L'auteur anonyme du Roman de Thèbes.

voir dans le succès des sujets antiques un changement el un progrès chez leur public. De même qu'en quittan Charlemagne pour Arthur, l'épopée avait marqué, pour ainsi dire, par un changement de dynastie, l'avénemen d'une idée nouvelle, la chevalerie; ici, le choix des sujets gréco-romains annonce un pressentiment lointain et confus de la Renaissance, un avant-goût de Dante et de Pétrarque La tradition latine indique ainsi, ce que nous verrons mieu encore dans un des chapitres suivants, qu'elle n'est poin morte pour s'être effacée; qu'elle sommeille au fond des clo tres, toute prête à renaître quand les temps seront venus Elle fait ici un premier mouvement, une première tentativ bien faible encore pour rentrer dans la société laïque, pou amener peu à peu ce qui doit constituer un jour l'éternell beauté de la littérature française, je veux dire la fusion d goût antique et de l'inspiration moderne.

Telle est évidemment la pensée d'un de ces trouvères. m'étonne, dit-il, que personne n'ait encore écrit ces histoire en langue d'oil, car peu de gens entendent le latin; il y plus de laïques que de lettrés:

Moult me merveil de ces clercs sages
Qui entendent plusieurs langages,
Et n'ont pas traduit cette histoire
Que nul ne tient en sa mémoire :
Je ne dis pas qu'il n'ait bien dit

Celui qui en latin la mit :

Mais y a plus laiz (laïques) que lettrés.

Si le latin n'est translaté,

Guère ne seront entendant.

Pour ce je veux dire en roman1.

Les trouvères du cycle gréco-latin s'occupèrent d'abord d la guerre de Troie. C'était pour ainsi dire encore un sujet na tional. Presque toutes les nations de l'Europe voulaient des cendre des Troyens. On rattachait à cette guerre l'expédi tion des Argonautes, qui devait plaire singulièrement à une époque où les croisades entraînaient de nouveaux conqué

1. Hugues de Rotelande, trouvère qui vivait à Credenhill, en Cornouailles, dans la seconde moitié du xue siècle.

ants vers les contrées lointaines de l'Asie. On chantait aussi guerre de Thèbes, sujet populaire au moyen âge, depuis e Stace, l'auteur de la Thébaïde, passait pour s'être conErti au christianisme.

Ce n'était pas d'après Homère que les trouvères redisaient siége de Troie. L'Iliade n'était point connue, et son auur, dont on ne citait que le nom, était regardé comme un ossier imposteur. Les récits de la guerre de Troie, qu'on ceptait comme véridiques, et où nos poëtes puisaient à eines mains, étaient les ouvrages attribués à Darès le rygien et à Dictys de Crète. Le premier était un prêtre oyen, dont Homère fait mention: on prétendait qu'il avait digé l'histoire de la destruction de sa ville natale. Cette oyance remontait bien au delà du moyen âge: Élien nous firme que l'histoire de Darès le Phrygien existait de son nps. Un obscur écrivain, postérieur au siècle de Constan,profitant de cette tradition, rédigea un informe tissu de bles, qu'il donna pour une traduction de Darès par Cornés Népos. Ce qu'il y a de piquant dans ce travail, c'est la éface que le prétendu Népos adresse à son ami Salluste, où il affirme qu'il a découvert un manuscrit de la propre in de Darès.

L'ouvrage de Dictys de Crète formait la contre-partie et quelque sorte le correctif de celui de Darès c'était le ec parlant après le Troyen. Dictys était un soldat d'Idonée qui avait suivi son prince au siége de Troie. Sous le ne de Néron avait eu lieu en Crète un tremblement de re, et cette catastrophe, à la fois terrible et bienfaisante, ait renversé la ville de Gnosse et mis à découvert le coffre dormait, dans le tombeau de l'écrivain crétois, son préux manuscrit. Les trouvères du moyen âge, s'appuyant des autorités si compétentes, ne pouvaient manquer tre parfaitement renseignés.

Ces deux originaux jouissaient d'un avantage considérable ette époque ils avaient supprimé toute la partie mythoque de la fable d'Homère, et ils laissaient ainsi le champ re aux fictions de la chevalerie. Nos trouvères ne s'en ent pas faute, ils donnèrent impartialement la colée à tous

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