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J'ai des jambes, et vous des yeux :

Moi, je vais vous porter, vous, vous serez mon guide :
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés ;

Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide

Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,

Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.

Les hommes même les plus malheareux, adoucissent leurs maux, en se secourant les uns les autres.

FLORIAN.

FABLE XLI.

LE PERROQUET.

Un gros perroquet gris, échappé de sa cage,
Vint s'établir dans un bocage;

Et là, prenant le ton de nos faux connaisseurs,
Jugeant tout, blåmant tout d'un air de suffisance,
Au chant du rossignol il trouvait des longueurs.
Critiquait surtout sa cadence.

Le linot, selon lui, ne savait pas chanter,
La fauvette aurait fait quelque chose peut-être,
Si de bonne heure il eût été son maitre

Et qu'elle eût voulu profiter.

Enfin aucun oiseau n'avait l'art de lui plaire :
Et, dès qu'ils commençaient leurs joyeuses chansons,
Par des coups de sifflet répondant à leurs sons,
Le perroquet les faisait taire.

Lassés de tant d'affronts, tous les oiseaux du bois

Viennent lui dire un jour : Mais parlez donc, beau sire,
Vous qui sifflez toujours, faites qu'on vous admire;
Sans doute vous avez une brillante voix,

Daignez chanter pour nous instruire.
Le perroquet dans l'embarras,

Se gratte un peu la tête, et finit par leur dire :

- Messieurs, je siffle bien, mais je ne chante pas.

Les gens qui aiment à se moquer des autres, sont ordinairement Les ignorants et des sols.

FLORIAN.

FABLE XLII.

LE HÉRON.

Un jour sur ses longs pieds allait, je ne sais où,
Le héron au long bec emmanché d'un long cou;
Il côtoyait une rivière.

L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours;
Ma commère la carpe y faisait mille tours

Avec le brochet son compère.

Le héron en eût fait aisément son profit :

Tous approchaient du bord, l'oiseau n'avait qu'à prendre.
Mais il crut mieux faire d'attendre

Qu'il eût un peu plus d'appétit :

Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments, l'appétit vint: l'oiseau,
S'approchant du bord, vit sur l'eau

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Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas; il s'attendait à mieux,
Et montrant un goût dédaigneux

Comme le rat du bon Horace : 3

Moi, des tanches! dit-il : moi, héron; que je fasse
Une si pauvre chère ! Et pour qui me prend-on ?
La tanche rebutée, il trouva du goujon.

Du goujon? c'est bien là le diner d'un héron!
J'ouvrirais pour si peu le bec! aux dieux ne plaise!
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.

La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.

(1) Sorte d'oiseau qui a de longues pattes et un grand bec. (2) Sorte de poisson d'eau douce. (3) Horace est un poète latin. Dans une fable, ce podte raconte qu'un jour un rat, qui habitait dans les champs, invita un autre rat, qui vivait dans une ville voisine, à venir dîner chez lui. Le rat des champs n'avait que de vieux morceaux de lard et quelques grains; le rat de la ville, qui était habitué à ronger les restes des bons ragoûts qu'on servait à la table d'un riche bourgeois, fit la grimace quand il vit le pauvre diner que lui présentait le rat des champs; il ne toucha à ces tristes mets que du bout des dents, et d'un air dédaigneux. (4) Pour des petits poissons.

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Les plus accommodants, ce sont les plus habiles :
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.

Gardez vous de rien dédaigner,

Surtout quand vous avez à peu près votre compte.

LA FONTAINE.

FABLE XLIII.

LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT.

Esope conte qu'un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant

A l'entour de son héritage,

Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile, rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.
Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure ;
Et, sans considérer quel sera le loyer1
D'une action de ce mérite,
Il l'étend le long du foyer,

Le réchauffe, le ressuscite.
L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'âme lui revient avecque la colère.
Il relève la tête, et puis siffle aussitôt,
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père.

Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire !
Tu mourras! - A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête,
Il fait trois serpents de deux coups,
Un tronçon, la queue et la tête.
L'insecte, sautillant, cherche à se réunir,
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable :
Mais envers qui? c'est là le point.

(1) Le paiement.

VRAIS ORN

Quant aux ingrats, il n'en est point

Qui ne meure enfin misérable.

Il faut être charitable envers tout le monde, mais avec prudence

Les ingrats sont toujours punis

LA FONTAINE.

FABLE XLIV.

convaart

LE RENARD ET LA CIGOGNE.

Compère le renard se mit un jour en frais, fx/

Et retinta diner commère la cigogne.

Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts

Le galant, pour toute besogne,

Avait un brouet clair; il vivait chichement.*
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout, en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,
XA quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il courut au logis

De la cigogne son hôtesse;
Loua très fort sa politesse ;

Trouva le diner cuit à point :

Bon appétit surtout, renards n'en manquent point
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

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Cafacting

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

(1) Bouillie très-claire. (2) De peu. (3) Laper, boire comme les chiens

Roudure

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

Quand on trompe les autres, on mérite d'être trompé à son tour.

LA FONTAINE.

FABLE XLV.

LE CHIEN

COUPABLE.

Mon frère, sais-tu la nouvelle ?
Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflar vient, dit-on, de manger

Le petit agneau noir, puis la prebis sa mère
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.

Serait-il vrai ?

Très-vrai, mon frère.

qui donc se fier grands dieux!

C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine
Et la nouvelle était certaine.

Mouflar, sur le fait même pris,
N'attendait plus que le supplice;

Et le fermier voulait qu'une prompte justice
Effrayat les chiens du pays.

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La procédure en un jour est finie.}
Mille témoins pour un déposent l'attentat e
Récolés, confrontés, aucun d'eux ne varie,
Mouflar est convaincu du triple assassinat :
Mouflar recevra donc deux balles dans la tête
Sur le lieu même du délit.

A son supplice qui s'apprête

Toute la ferme se rendit.

compoldi

Les agneaux, de Mouflar demandèrent la grâce:
Elle fut refusée. On leur fit prendre place:
Les chiens se rangèrent près d'eux,
Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse,
Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux
'Tout le monde attendait dans un profond silence.
Mouflar parait bientôt, conduit par deux pasteurs ;
Il arrive; et, levant au ciel ses yeux en pleurs,
Il harangue ainsi l'assistance :

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