FABLE XXXVIII. LE POT DE TERRE ET LE POT DE FER. Le pot de fer proposa Au pot de terre un voyage. Disant qu'il ferait que sage' Se met droit à ses côtés. Mes gens s'en vont à trois piés Clopin clopant comme ils peuvent, L'un contre l'autre jetés Au moindre boquet qu'ils treuvent." Le pot de terre en souffré : il n'eut pas fait cent pas, Sans qu'il eût lieu de se plaindre. Ne nous associons qu'avec nos égaux; Le destin d'un de ces pots. LA FONTAINE (1) Pour sagement. (2) Ruine, destruction. (3) Par hasard. (4) Pour pierre, caillou, etc. (5) Qu'ils trouvent. FABLE XXXIX. LE PETIT POISSON ET LE PÊCHEUR. Petit poisson deviendra grand, Je tiens pour moi que c'est folie : Car de le rattraper il n'est pas trop certain. Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière. Mettons-le en notre gibecière. Le pauvre carpillon lui dit en sa manière : Je serai par vous repêchée; Peut-être encor cent de ma taille Pour faire un plat : quel plat! croyez-moi, rien qui vaille. Rien qui vaille! eh bien! soit, repartit le pêcheur; Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur, Vous irez dans la poêle; et vous avez beau dire, Dès ce soir on vous fera frire. Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras. Quand on tient, quand on possède quelque chose, c'est une folie de le lâcher, de l'abandonner, dans l'espérance d'avoir davantage. LA FONTAINE. (1) Le plus petit poisson, rebut. (2) Le petit poisson. FABLE XL. L'AVEUGLE ET LE PARALYTIQUE. Aidons-nous mutuellement, La charge des malheurs en sera plus légère; Pour le mal que l'on souffre est un soulagement. Dans une ville de l'Asie Il existait deux malheureux, L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux. Mais leurs cris étaient superflus, Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique, Etait sans guide, sans soutien, Que l'aveugle à tâtons, au détour d'une rue, Il entendit ses cris, son âme en fut émue : Pour se plaindre les uns des autres. - J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres : A quoi nous servirait d'unir notre misère? A quoi? répond l'aveugle, écoutez à nous deux (1) L'homme le plus sage qui ait paru chez les Chinois, peuple de l'Asie. J'ai des jambes, et vous des yeux : Moi, je vais vous porter, vous, vous serez mon guide : ; Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez. Qui de nous deux remplit le plus utile emploi, Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. Les hommes même les plus malheareux, adoucissent leurs maux, en se secourant les uns les autres. FLORIAN. FABLE XLI. LE PERROQUET. Un gros perroquet gris, échappé de sa cage, Et là, prenant le ton de nos faux connaisseurs, Le linot, selon lui, ne savait pas chanter, Et qu'elle eût voulu profiter. Enfin aucun oiseau n'avait l'art de lui plaire : Le perroquet les faisait taire. Lassés de tant d'affronts, tous les oiseaux du bois Viennent lui dire un jour : Mais parlez donc, beau sire, Daignez chanter pour nous instruire. Se gratte un peu la tête, et finit par leur dire : - Messieurs, je siffle bien, mais je ne chante pas. Les gens qui aiment à se moquer des autres, sont ordinairement les ignorants et des sols. FLORIAN. FABLE XLII. LE HÉRON. Un jour sur ses longs pieds allait, je ne sais où, L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours; Avec le brochet son compère. Le héron en eût fait aisément son profit: Tous approchaient du bord, l'oiseau n'avait qu'à prendre. Qu'il eût un peu plus d'appétit : Il vivait de régime, et mangeait à ses heures. 2 Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures. Et montrant un goût dédaigneux Comme le rat du bon Horace : 3 Moi, des tanches! dit-il : moi, héron; que je fasse - Du goujon? c'est bien là le diner d'un héron! Qu'il ne vit plus aucun poisson. La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise (1) Sorte d'oiseau qui a de longues pattes et un grand bec. (2) Sorte de poisson d'eau douce. (3) Horace est un poète latin. Dans une fable, ce podte raconte qu'un jour un rat, qui habitait dans les champs, invita un autre rat, qui vivait dans une ville voisine, à venir dîner chez lui. Le rat des champs n'avait que de vieux morceaux de lard et quelques grains; le rat de la ville, qui était habitué à ronger les restes des bons ragoûts qu'on servait à la table d'un riche bourgeois, fit la grimace quand il vit le pauvre diner que lui présentait le rat des champs; il ne toucha à ces tristes mets que du bout des dents, et d'un air dédaigneux. (4) Pour des petits poissons. |