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Pour vous doit être une leçon.

Nos penchants dans le premier âge,
Sont faciles à corriger;

Mais on ne peut plus les changer,

Quand ils sont affermis par le temps et l'usage.

Quand on est jeune, il est facile de se corriger. L'abbé REYRE.

FABLE XXXIII.

LE SINGE ET LE LÉOPARD.

Le singe avec le léopard

Gagnaient de l'argent à la foire.

Ils affichaient chacun à part:

L'un d'eux disait : — Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu : le roi m'a voulu voir;

Et si je meurs, il veut avoir

Un manchon de ma peau; tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée,

Et vergetée, et mouchetée.

La bigarrure plaît: partant chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait : bientôt chacun sortit.
Le singe de sa part disait : Venez, de grâce,
Venez, messieurs; je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin léopard l'a sur soi seulement;
Moi, je l'ai dans l'esprit. Votre serviteur Gille,

Cousin et gendre de Bertrand,
Singe du pape en son vivant,

Tout fraîchement en cette ville

Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler;
Car il parle, on l'entend; il sait danser, baller, ย

Faire des tours de toute sorte,

3

Passer en des cerceaux et le tout pour six blancs; "
Non, messieurs, pour un sou: si vous n'êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte.

1) Façon de parler pour dire à grands frais. (2) Sauter. (3) Le blanc est une ancienne pièce de monnaie; six blancs font deux petits sous et demi.

Le singe avait raison. Ce n'est pas sur l'habit
Que la diversité me plaît; c'est dans l'esprit :
L'une fournit toujours des choses agréables;
L'autre, en moins d'un moment, lasse les regardants.
Oh! que de grands seigneurs, au léopard semblables,
N'ont que l'habit pour tous talents!

Il ne faut point chercher à se faire remarquer par de beaux habits, mais par de bonnes qualités.

LA FONTAINE.

FABLE XXXIV.

LE GLAND ET LA CITROUILLE.

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve
En tout cet univers, et l'aller parcourant,

Dans les citrouilles je la treuve.1

Un villageois considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue,

A quoi songeait, dit-il, l'auteur de tout cela l

Il a bien mal placé cette citrouille-là !

Hé parbleu ! je l'aurais pendue

A l'un des chênes que voilà ;

C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré

Au conseil de celui que prêche ton curé;

Tout en eût été mieux : car pourquoi, par exemple,

Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit ?

Dieu s'est mépris. Plus il contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo

Que l'on a fait un quiproquo.*

Cette réflexion embarrassant notre homme :
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit.
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et portant la main sur son visage.

(1) Je la trouve.

(2) Une erreur.

Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage :

Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que serait-ce donc
S'il fut tombé de l'arbre une masse plus lourde,

Et que ce gland eût été gourde?1

Dieu ne l'a pas voulu sans doute il eut raison;
J'en vois bien à présent la cause.

En louant Dieu de toute chose

Garo retourne à la maison.

Toul ce que Dieu a fait est bien: c'est être fou que de vouloir

v chercher quelque chose à critiquer.

LA FONTAINE,

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Sur la corde tendue, un jeune voltigeur

Apprenait à danser; et déjà son adresse,
Ses tours de force, de souplesse,

Faisaient venir maint spectateur

Sur son étroit chemin on le voit qui s'avance,
Le balancier en main, l'air libre, le corps droit,
Hardi, léger autant qu'adroit,

Il s'élève, descend, va, vient, plus haut s'élance,
Retombe, remonte en cadence ;

Et, semblable à certains oiseaux

Qui rasent en volant la surface des eaux,
Son pied touche, sans qu'on le voie
A la corde qui plie et dans l'air le renvoie.
Notre jeune danseur, tout fier de son talent,
Dit un jour: A quoi bon ce balancier pesant
Qui me fatigue et m'embarrasse?

Si je dansais sans lui, j'aurais bien plus de grâce,
De force et de légèreté.

Aussitôt fait que dit. Le balancier jeté,

Notre étourdi chancelle, étend les bras et tombe.
Il se cassa le nez, et tout le monde en rit.

Jeunes gens, jeunes gens, ne vous a-t-on pas dit

(1) Calebasse moins grosse qu'une citrouille.

VRAIS ORN.

Que sans règle et sans frein tôt ou tard on succombe ?
La vertu, la raison, les lois, l'autorité,

Dans vos désirs fougueux vous causent quelque peine;
C'est le balancier qui vous gêne,

Mais qui fait votre sûreté.

FLORIAN.

FABLE XXXVI.

LA VIGNE ET LE VIGNERON.

La Vigne se plaignait un jour au Vigneron
De ce qu'il lui coupait maint et maint rejeton,
Dont le feuillage épais et le bois inutile,
Loin de la rendre plus fertile,
Epuisaient en vain sa vigueur;

- Eh! pourquoi donc, lui disait-elle,
Me traitez-vous avec tant de rigueur?
Pour mon bien vous montrez du zèle,
Je suis l'objet de vos sueurs ;

Vous m'aimez; cependant vous m'arrachez des pleurs ;
L'amour est-il donc si sévère ?

Que vous pénétrez peu dans mon intention,

Lui répondit le prudent vigneron.

Vous croyez que ces coups partent de ma colère;
Ah! connaissez mieux mon dessein;

Dans le mal que j'ai pu vous faire,

Votre intérêt a seul conduit ma main;

Si je ne coupais pas tout ce bois inutile,

Vous finiriez par devenir stérile;

Au lieu qu'en vous faisant répandre quelques pleurs,
Je vous rends beaucoup plus fertile,

Et de Bacchus1 sur vous j'attire les faveurs.

C'est à vous, jeunes gens, que ma fable s'adresse :
Connaissez à ces traits l'amour et la sagesse

De ceux qui veillent sur vos mœurs.

S'ils vous font quelquefois éprouver leurs rigueurs,

(1) Dieu du vin, selon les pafens.

Ce n'est pas que pour vous ils manquent de tendresse :
Ils cherchent seulement à vous rendre meilleurs.

La sévérité d'un maître est presque toujours un témoignage de

lendresse et d'intérêt.

FABLE XXXVII.

LE PERROQUET CONFIANT.

Cela ne sera rien, disent certaines gens,
Lorsque la tempête est prochaine;

Pourquoi nous affliger avant que le mal vienne?
Pourquoi ? Pour l'éviter, s'il en est encor temps.
Un capitaine de navire,

Fort brave homme, mais peu prudent,

Se mit en mer, malgré le vent.

Le pilote avait beau lui dire

Qu'il risquait sa vie et son bien,

Notre homme ne faisait qu'en rire,
Et répétait toujours : cela ne sera rien.
Un perroquet de l'équipage,

A force d'entendre ces mots,

Les retint, et les dit pendant tout le voyage.
Le navire égaré voguait au gré des flots,
Quand un calme plat vous l'arrête.
Les vivres tiraient à leur fin.

Point de terre voisine, et bientôt plus de pain.
Chacun des passagers s'attriste et s'inquiète;
Notre capitaine se tait.

Cela ne sera rien, criait le perroquet.
Le calme continue, on vit vaille que vaille ;
Il ne reste plus de volaille.

On mange les oiseaux, triste et dernier moyen !
Perruches, cardinaux, catakois, tout y passe.
Le perroquet, la tête basse,

Disait plus doucement: cela ne sera rien.
Il pouvait encor fuir, sa cage était trouée;
Il attendit, il fut étranglé bel et bien,

Et mourant, il criait d'une voix enrouée :
Cela... cela ne sera rien.

Il faut prévoir le mal afin de l'éviter.

REYRE.

FLORIAN.

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