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De cette vérité deux fables feront foi ;

Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un lion,

Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru

Qu'un lion d'un rat eût affaire ?
Cependant il advint' qu'au sortir des forêt
Ce lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne purent le défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents,
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage.

LA FONTAINE.

FABLE XIV.

LA COLOMBE ET LA FOURMI.

L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits.
Le long d'un clair ruisseau buvait une colombe,
Quand sur l'eau se penchant une fourmis y tombe;
Et dans cet océan l'on eût vu la fourmis

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive
La colombe aussitôt usa de charité :

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive;

Elle se sauve. Et là-dessus

Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus.
Ce croquant, par hasard, avait une arbalète.

Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus,3

Il le croit dans son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La fourmi le pique au talon

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(1) Il arriva. (2) Un paysan. (3) La colombe: Vénus est le nom d'une déesse des païens. (4) Ancien mot pour désigner les paysan..

La colombe l'entend, part, et tire de long
Le souper du croquant avec elle s'envole :
Point de pigeon pour une obole.

LA FONTAINE.

FABLE XV.

LA DOULEUR ET L'ENNUI.

Mourant de faim, un pauvre se plaignait;
Rassasié de tout, un riche s'ennuyait :
Qui des deux souffrait davantage ?
Ecoutez sur ce point la maxime du sage :
De la Douleur et de l'Ennui

Connaissez bien la différence :

L'Ennui ne laisse plus de désirs après lui;

Mais la Douleur près d'elle a toujours l'espérance.

L'ennui est bien plus pénible que la douleur.

HOFFMAN.

FABLE XVI.

LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS, EN SOCIÉTÉ

AVEC LE LION.

La génisse, la chèvre, et leur sœur la brebis,
Avec un fier lion, seigneur du voisinage,

Firent société, dit-on, au temps jadis,'

Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.

Eux venus, le lion par ses ongles compta,

Et dit: Nous sommes quatre à partager la proie,
Puis en autant de parts le cerf il dépeça ;

Prit pour lui la première en qualité de sire.
Elle doit être à moi, dit-il, et la raison,

C'est que je m'appelle lion.

A cela l'on a rien à dire.

(1) C'est-à-dire autrefois, du temps passé. (2) Filets, piéger.

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La seconde, par droit, me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,

Je l'étranglerai tout d'abord.

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Si l'étude est amère, les fruits en sont doux.

BLONDEAU DE COMMERCY.

FABLE XVIII.

LA MORT.

La Mort, reine du monde, assembla, certain jour,

Dans les enfers toute sa cour.

Elle voulait choisir un bon premier ministre
Qui rendit ses états encore plus florissants.
Pour remplir cet emploi sinistre,

Du fond du noir Tartare avancent à pas lents
La Fièvre, la Goutte et la Guerre
C'étaient trois sujets excellents;
Tout l'enfer et toute la terre

Rendaient justice à leurs talents.

La Mort leur fit accueil. La Peste vint ensuite.
On ne pouvait nier qu'elle n'eût du mérite,
Nul n'osait lui rien disputer;
Lorsque d'un médecin arriva la visite,
Et l'on ne sut alors qui devait l'emporter.
La Mort même était en balance.
Mais les Vices étant venus,

Dès ce moment la Mort n'hésita plus;

Elle choisit l'Intempérance.

L'intempérance, l'ivrognerie et les autres vices font mourir plus d'hommes que la guerre et la peste.

FLORIAN.

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Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,

Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux.
Pour réussir dans cette affaire,

Il se servit du ministère

De l'âne, à la voix de Stentor.3
L'âne à messer lion fit office de cor.

Le lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son
Les moins intimidés fuiraient de leur maison.
Leur troupe n'était pas encore accoutumée

(1) Nom de l'enfer chez les palens. (2) Aller à la chasse du gibier. (3) Grec qui avait une voix épouvantable. (4) Pour messire, titre d'honneur.

A la tempête de sa voix ;

L'air en retentissait d'un bruit épouvantable :
La frayeur saisissait les hôtes de ces bois;
Tous fuyaient, tous tombaient au piége inévitable
Où les attendait le lion.

N'ai-je pas bien servi dans cette occasion ?
Dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse.
Oui, reprit le lion, c'est bravement crié :

Si je ne connaissais ta personne et ta race,
J'en serais moi-même effrayé.

L'âne, s'il eût osé, se fût mis en colère,
Encor qu'on le raillât avec juste raison.
Car qui pourrait souffrir un àne fanfaron?
Ce n'est pas là leur caractère.

Rien de plus ridicule qu'un sot qui se vanie.

LA FONTAINE.

FABLE XX.

LE GEAI PARÉ DES PLUMES DU PAON.

Un paon muait : un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda,

Puis parmi d'autres paons tout fier se pavana,'
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,

Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte :
Même vers ses pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui
Ce ne sont pas là mes affaires.

Il ne faut jamais se parer des vertus ou des talents qu'on n'a pas

(1) Marcha fièrement comme un paon.

LA FONTAINE.

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