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son esprit; mais son esprit ne parut point... Et durant tout lo temps qu'il demeura avec nous, il ne nous sembla être qu'une machine sans âme. On le jeta dans un carrosse où nous lui dimes adieu pour toujours.

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Une autre fois étant invité à dîner dans une de ces maisons où le maitre présente un homme d'esprit aux convives comme un des mets de sa table, il mangea beaucoup et ne dit mot. Comme il se retirait de fort bonne heure sous prétexte de se rendre à l'Academie, dont il était membre, on lui représenta qu'il avait très-peu de chemin à faire: Je prendrai le plus long, répondit La Fontaine ; et le voilà parti. C'est en badinant sur l'impression naturelle qui résultait de son extérieur et de ses mœurs, que Mme de La Sablière dit un jour après avoir congédié tous ses domestiques à la fois : Je n'ai gardé avec moi que mes trois animaux : mon chien, mon chat et mon La Fontaine.

Vers la fin de 1692, La Fontaine tomba dangereusement malade. Le P. Poujet de l'Oratoire alla lui rendre visite et lui parla des vérités de la Religion. La Fontaine avait vécu dans une grande indifférence sur cet article, comme sur tout le reste. Mais il n'était ni incrédule ni impie; et jamais il ne chercha dans des paradoxes philosophiques de faux principes pour justifier son irréligion. Aussi le P. Poujet n'eut-il pas de peine à le convaincre des preuves du christianisme; cependant il y eut deux points intéressants et essentiels sur lesquels il se rendit plus difficile. Le premier fut une satisfaction publique sur ses contes, que ce directeur exigea de lui; l'autre, la promesse de ne jamais donner aux comédiens une pièce de théâtre qu'il avait composée depuis peu, et dont il avait reçu les applaudissements des connaisseurs et des amis auxquels il l'avait lue. Mais la grâce de Dieu, jointe à l'éloquence persuasive du P. Poujet, triomphèrent de ses répugnances. La Fontaine convaincu se résigna, et consentit à tout ce que son directeur jugerait nécessaire et convenable. Nous ne devons pas oublier ici les réflexions de la garde de La Fontaine durant tous ces débats et ces exhortations elles font voir d'une manière aussi naturelle qu'originale les sentiments qu'il inspirait: Eh! ne le tourmentez pas tant, dit-elle un jour avec impatience au P. Poujet; il est plus bête que méchant. Une autre fois, avec un air de compassion: Dieu n'aura iamais, dit-elle, le courage de le damner.

Enfin, après plus de six semaines de conferences assidues, La Fontaine fit une confession générale, et reçut le Saint Viatique, le 12 février 1693, avec de grands sentiments de religion et de piété. C'est dans ce moment qu'avec une présence d'esprit admirable

il détesta ses contes devant MM. de l'Académie. Il les avait fait prier de se rendre chez lui par députés, pour être les témoins publics de son repentir, de ses dispositions et de la protestation authentique qu'il fit de n'employer ses talents, à l'avenir, s'il recouvrait la santé, qu'à des sujets de piété.

Il revint de cette maladie, et la première fois qu'il put assister à l'Académie, il y renouvela la protestation qu'il avait faite devant les députés, et fit lecture, dans l'assemblée, d'une paraphrase en vers français de la prose des morts, Dies ira. Il l'avait composée pour s'entretenir dans la pensée de la mort, et pour se pénétrer des vérités les plus terribles de la Religion. Il se mit aussi à traduire en vers les hymnes de l'Eglise; mais il n'avança pas beaucoup dans ce nouveau genre de travail. Peut-être son génie s'y refusait-il, et d'ailleurs il l'avait entrepris trop tard pour être secondé de ce feu poétique qui l'avait autrefois animé, et qui se trouvait alors éteint par l'âge, la maladie, le régime, et par les austérités qu'il pratiquait dans sa pénitence.

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Il vécut encore deux ans dans cet état de langueur, et plus il sentait ses forces diminuer, plus il redoublait de ferveur. Voilà deux mois que je ne sors point, écrivait-il à un de ses amis, si ce n'est pour aller un peu à l'Académie, afin que cela m'amuse. Hier, comme j'en revenais, il me prit au milieu de la rue une si grande faiblesse que je crus véritablement mourir. O mon cher ! mourir n'est rien, mais songes-tu que je vais comparaltre devant Dieu ? Tu sais comme j'ai vécu... Avant que tu reçoives ce billet, les portes de l'éternité seront peut être ouverte pour moi. Il mourut le 13 mars 1695, âgé de 73 ans, huit mois, cinq jours. Lorsqu'on le déshabilla pour le mettre au tombeau, on le trouva couvert d'un cilice ce que Racine, le fils, n'a point laissé échapper, lorsqu'il le dépeint ainsi :

Vrai dans tous ses écrits, vrai dans tous ses discours,

Vrai dans sa pénitence à la fin de ses jours:

Du Maitre qu'il approche il prévient la justice,
Et l'auteur de Joconde est armé d'un cilice.

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Les Fables de La Fontaine, (car nous ne parlons point ici de ses autres ouvrages qu'il a lui-même condamnés parce qu'ils sont dangereux pour les mœurs), les Fables de La Fontaine font sa véritable gloire une molle négligence y décèle le grand maître et l'écrivain original. Ses expressions délicates, enjouées et naives, sont des copies fidèles de la belle nature, dont le goût et l'esprit lui faisaient

VRAIS ORN

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saisir partout les nuances et les traits. C'est ainsi qu'en remaniant les ouvrages anciens, il se les est rendus propres, et leur a prété, dans ses Fables, une tournure et des grâces qu'ils n'avaient point. On dirait, selon l'expression d'un critique judicieux, qu'elles sont tombées de sa plume. Il a surpassé Esope, l'ingénieux inventeur de l'apologue, et Phèdre, son admirable copiste. Aussi élégant, aussi naturel, moins pur, à la vérité, mais aussi moins froid que Phedre, il a atteint le point de perfection en ce genre de poésies.

NOTICE SUR FLORIAN.

JEAN-PIERRE CLARIS DE FLORIAN, naquit au château de Florian, dans les Basses Cévennes, le 6 mars 1755. En 1768, il entra chez le duc de Penthièvre, en qualité de page. Sa passion pour les lettres lui fit négliger le service, quoiqu'il eût obtenu une compagnie dans le régiment de son protecteur. Il devint, dans la suite, gentilhomme ordinaire du duc de Penthièvre, qui le chargea souvent de distribuer ses bienfaits. Banni de Paris, en 1793, comme noble, il se retira à Sceaux, d'où il fut bientôt arraché, pour être traîné dans les prisons de la Bourbe, dite alors Port-Libre. Ayant recouvré sa liberté après le 9 thermidor, (27 juillet 1794), il se retira encore à Sceaux. Mais il avait contracté dans sa prison un sentiment profond de tristesse et de frayeur, qui abrégea le cours de sa vie. Il mourut le 13 septembre 1794.

Si La Fontaine est le premier de nos fabulistes, Florian en est sans contredit le second. Dans certaines Fables même, telles que le Laboureur de Castille et le Lapin et la Sarcelle, il peut soutenir la comparaison avec les chefs-d'œuvre de son maître. C'est pour faire sentir le mérite de ces deux Fables de Florian, que nous les avons rapprochées de deux fables analogues, composées par La Fontaine le Paysan du Danube et les Deux Pigeons.

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Pour Florian comme pour La Fontaine, ses Fables font sa véritable gloire; car ses autres ouvrages sont peu connus et peu estimés.

NOTICE SUR LES FABLES DE FÉNELON.

FENELON, Archevêque de Cambrai, fut chargé de l'éducation du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV. Ce fut pour ce jeune prince qu'il fit les Fables et les Contes que nous avons mis dans ce Recueil. Il les composait sur-le-champ, selon les divers besoins de son élève tantôt pour corriger un défaut; tantôt pour confirmer en lui ce qu'il y avait de bon et de grand; tantôt pour lui insinuer, par des instructions familières, à la portée de son âge, les plus sublimes maximes de la morale.

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