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O mère! ô femme! ô reine admirable et digne d'une meilleure fortune, si les fortunes de la terre étaient quelque chose; enfin il faut céder à votre sort: Vous avez assez soutenu l'état, qui est attaqué par une force invincible et divine; il ne reste plus désormais, sinon que vous teniez ferme parmi les ruines.

Comme une colonne, dont la masse solide paraît le plus ferme appui d'un temple ruineux, lorsque ce grand édifice qu'elle soutenait fond sur elle sans l'abattre; ainsi la reine se montre le ferme soutien de l'état, lorsqu'après en avoir longtemps porté le faix, elle n'est pas même courbée sous sa chute.

Voici une autre comparaison également remarquable, c'est la paraphrase, l'explication de cette parole de l'Ecriture-Sainte: • Nous mourrons tous et nous allons sans cesse au tombeau, ainsi que des eaux qui se perdent sans retour. »

Les hommes vont tous ensemble se confondre dans un abîme où l'on ne reconnaît plus ni princes, ni rois, ni toutes ces autres qualités superbes qui distinguent les hommes; de même que ces fleuves tant vantés demeurent sans nom et sans gloire, mêlés dans l'Océan avec les rivières les plus inconnues.

SUR L'EXORDE EN GÉNÉRAL AVEC DES APPLICATIONS AUX MODÈLES.

Exorde vient du mot latin exordium qui veut dire commence ment. On appelle exorde la première partie, le commencement d'ur discours. L'exorde doit être propre à rendre ceux qui écoutent, bienveillants, attentifs et dociles.

10 Pour gagner la bienveillance des auditeurs, il faut se présenter à eux avec des sentiments, des qualités personnelles qui leur inspirent envers l'orateur de l'estime et s'il est possible de l'affec tion. C'est ce que Bossuet a fait ici : il parle devant la famille royale et la cour désolées par la mort de la princesse ; Bossuet se

montre lui-même tout pénétré de douleur, de regrets, de tristesse ; ce qui est propre à lui concilier la bienveillance de ses auditeurs ; car nous aimons toujours à entendre ceux qui savent prendre part à nos peines, à nos chagrins et pleurer avec nous.

20 L'exorde doit rendre les auditeurs attentifs. Ils le seront si on leur présente le sujet comme important et facile à suivre. C'est ce qu'a fait Bossuet: son sujet est important: il s'agit de montrer aux hommes ce qu'ils sont, ce qu'ils doivent faire; il montre que ce sujet est facile à suivre, parce que la vie et la mort de la princesse rendent la chose palpable, et qu'il suffit de se rappeler l'histoire de sa vie pour bien comprendre les vérités qu'il

annonce.

30 L'exorde enfin doit rendre les auditeurs dociles. Pour cela, il faut que l'orateur fasse sentir qu'il a assez de talent et de lumières pour éclairer, instruire et intéresser ceux qui l'écoutent. Comme Bossuet a rempli parfaitement ce dernier précepte! Comme on sent qu'il a la connaissance de son talent, qu'il est sûr de donner de grands enseignements quand on lui entend dire Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines. Le reste de l'exorde est sur le même ton, on voit que l'orateur est certain d'instruire et de toucher ses auditeurs. Il faut remarquer que ce langage si plein d'assurance, ces formes impérieuses, je veux, etc., ne conviennent qu'à un génie aussi puissant que celui de Bossuet. Les hommes d'un talent médiocre doivent au contraire s'attacher dans l'exorde à parler avec un ton très-modeste; mais cependant en faisant sentir qu'ils peuvent réellement instruire, intéresser ceux qui les écoutent.

RÈGLES DE L'ART D'ÉCRIRE.

Pour bien écrire et bien parler il ne faut que trois choses.

10 Savoir d'une manière bien nette, bien claire ce que l'on veut dire ou écrire ;

20 Disposer ses pensées avec ordre ;

30 Mettre du mouvement dans son style; c'est-à-dire dans l'expression des pensées.

Une comparaison va rendre sensible ce que nous avançons.

Considérez un gros arbre, un chêne par exemple : il a un seul tronc; de ce tronc sortent de grosses branches; ces grosses bran-. ches en produisent de plus petites; et enfin sur ces petites branches

poussent des feuilles. Au lieu d'un grand arbre considérez-en un petit, un groseillier; vous trouverez la même chose : un seul tronc, quelques fortes branches, sur celles-ci de plus petites qui portent les feuilles. Il en est de même d'un discours, d'une amplification. d'une narration, d'un ouvrage d'esprit quelconque. L'important c'est de trouver la pensée fondamentale, une seule pensée, c'est le tronc; de cette pensée en l'examinant, en la méditant, on en voit sortir d'autres : ce sont les grosses branches; celles-ci par leur développement amènent d'autres pensées : ce sont les petites branches dont les mots et les expressions sont comme les feuilles. Ainsi quand un ouvrage est bien fait, on doit parvenir, en le décom posant, à découvrir l'idée primitive dont le développement a forme tout le discours; comme dès qu'on touche les feuilles d'un arbre, on peut descendre de branche en branche jusqu'au tronc. Car il faut que toutes les pensées s'appellent pour ainsi dire l'une l'autre; que la seconde soit en quelque sorte la réponse à la question qu'amène la première. C'est ce que nous allons voir en analysant l'exorde de l'oraison funèbre de Madame Henriette d'Angleterre.

APPLICATION DES RÈGLES DE L'ART D'ÉCRIRE.

Invention, disposition, division. D'abord le tronc, la pensée primitive. Cette princesse était jeune, douée de tous les dons de l'esprit et de tous les agréments extérieurs, elle avait toute la confiance de deux grands rois : elle se voyait également honorée par le peuple d'Angleterre qui la regrettait et par le peuple Français qui se réjouissait de la posséder; au moment où elle se trouvait au comble de la gloire, tout à coup, en une nuit, elle tombe malade, souffre et meurt; mais d'une mort si chrétienne qu'elle parait n'avoir été dépouillée de toutes les richesses et de toutes les grandeurs de la terre, que pour être comblée des délices et de la gloire des Saints. De tout cela Bossuet conclut que les grandeurs de la terre étant si fragiles, il n'y a rien de solide et de grand en l'homme, si ce n'est l'amour de Dieu. Voilà l'idée primitive, c'est le trone. Chercher ainsi la pensée qui fournit un sujet et ses développe ments, c'est ce qu'on nomme l'invention; disposer, mettre en ordre toutes les pensées secondaires, les grosses branches, c'est la dis position.

Ayant trouvé cette pensée primitive, Bossuet la partage ainsi : 10 Tout est vain en l'homme, si nous regardons le cours de sa vie mortelle; 20 tout est précieux, tout est important si nous conten

plons le terme où elle aboutit (l'éternité), et le compte qu'il en faut rendre à Dieu. Ces deux pensées forment ce qu'on appelle la division du discours, parce qu'elles annoncent en combien de par ties et comment il est divisé. Tout le reste du discours n'est que le développement de ces deux pensées.

Enchaînement de pensées et élocution. Voyons maintenant comment les pensées s'appellent l'une l'autre. Nous mettrons eu caractères italiques et entre guillemets tout ce qui est extrait de Bossuet, le reste est l'explication de la liaison des pensées.

La première pensée est appelée non pas, comme d'ordinaire, par le texte de l'Ecriture-Sainte, qui précède le discours, mais par une réflexion secrète que fait l'orateur; il a prononcé il y a dix mois, devant les mêmes personnes, l'oraison funèbre de la mère de Madame Henriette, et c'est encore lui qui vient prononcer l'oraison funèbre de la fille, de Madame Henriette elle-même. Bossuet indi que cette réflexion par le mot donc, il dit :

J'étais donc encore destiné à rendre ce devoir funèbre à Trèshaute et Très-puissante Princesse Henrielle-Anne d'Angleterre, duchesse d'Orléans. Elle que j'avais vue si attentive pendant que je rendais le même devoir à la Reine sa mère, devait être siiôt après le sujet d'un discours semblable; et ma triste voix était réservée à ce déplorable ministère. » Quel enseignement tirez-vous de là? se demandent les auditeurs, en quoi cela peut-il nous intéresser? Bossuet répond apprenez de là à connaître la vanité des grandeurs humaines, et que la surprise, l'étonnement causé par la mort de cette princesse, vous fasse voir combien nous sommes ignorants de notre destinée, de notre avenir. O vanité! ó néant! Pourquoi dites-vous que

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En voici la preuve : cette

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l'eûl-elle

o mortels ignorants de leurs destinées. l'homme est ignorant de sa destinée? princesse dont vous voyez là le cercueil, qui est morte, cru il y a dix mois? Et vous, Messieurs, eussiez-vous pensé pendant qu'elle versait tant de larmes en ce lieu, qu'elle dût sitôt vous

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y rassembler pour la pleurer elle-même? » Je viens de dire que vous qui m'écoutez vous pleuriez cette princesse ; je n'ai pas dit assez : ce n'est pas vous seulement qui la pleurez; mais des peuples entiers. Princesse, le digne objet de l'admiration de deux grands royaumes, n'était-ce pas assez que l'Angleterre pleural votre ab. sence, sans être encore réduite à pleurer votre mort? Et la France qui vous revit avec tant de joie environnée d'un nouvel éclat, : n'avait-elle plus d'autres pompes et d'autres triomphes pour vous, au retour de ce voyage fameux d'où vous aviez remporté tant de gloire et de si belles espérances? » Ainsi l'amour de deux peuples 89*

VRAIS ORN.

n'a pu retarder d'un seul instant la mort de cette princesse, toute cette gloire n'empêche pas qu'elle soit maintenant au cercueil. Il est donc vrai de dire: Vanilé des vanités et tout est vanilė. Pourquoi, se demande-t-on, Bossuet répète-t-il encore une fois cette pensée? Il répond: C'est la seule parole qui me reste, etc.

Voilà comment toutes les pensées dépendent l'une de l'autre et sont appelées l'une par l'autre. Dans tout ce qu'on écrit il faut avoir soin d'observer cet ordre et cette liaison des pensées, après avoir premièrement inventé, c'est-à-dire trouvé les pensées et les avoir divisées et disposées, mises en ordre, comme nous l'avons indiqué plus haut. Sans doute il ne suffit pas de suivre ces règles pour écrire aussi bien que Bossuet; mais du moins en les suivant on composera des ouvrages qui, pour l'ordre de la composition, ressembleront aux siens, quoiqu'infiniment plus faibles; comme un groseillier, malgré sa petitesse, ressemble au chêne, par la disposition de ses branches et de son tronc.

Mouvement du style. La troisième règle qu'il faut observer pour bien écrire, c'est de mettre du mouvement dans le style. Le mouvement dépend de deux choses. 10 Il faut sous entendre, c'està-dire ne point exprimer toutes les pensées intermédiaires que l'auteur ou le lecteur devinera facilement. Ainsi dans l'exorde de Bossuet analysé ci-dessus, toutes les réflexions que nous avons ajoutées pour montrer la liaison des pensées, sont des idées intermédiaires. Si Bossuet les eût exprimées, il n'y aurait pas de mou. vement dans son style.

20 Il faut faire usage d'une certaine disposition de mots et de pensées que l'on nomme figures.

Différence entre les Figures de mots et les Figures de pensées. On appelle figures de mots celles qui consistent dans l'emploi d'un mot. Ainsi dans ces vers :

Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vo,

Ce qu'on appelle vu.

Ces mots : vu et de mes propres yeux vu, qui expriment positivement la même chose, forment la figure qu'on appelle pléonasme. Si on change ces mots et que l'on dise par exemple : Je vous assure de la manière la plus positive que je l'ai fort bien vu, c'est la même pensée; mais il n'y a plus de pléonasme. Lorsque pour faire disparaitre la figure il suffit ainsi de changer les mots, on appelle la figure, figure de mots.

On appelle figures de pensées celles qui subsistent encore lors. qu'on a changé les mots. Ainsi quand Bossuet a dit dans l'exorde

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