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PORTRAIT DE MADAME HENRIETTE.

Bossuet dans la suite de la confirmation de son discours a montré que la nature humaine si misérable quand on considère son état mortel, était grande et sublime considérée par rapport à l'éternité, et que la princesse ayant eu le bonheur de se trouver au moment de sa maladie, tout animée de l'amour de Dieu, il ne restait qu'à demander pour elle qu'elle fût affermie dans cet état; or la prolongation de sa vie l'aurait environnée de dangers pour son salut et entre autres des tentations de l'amour-propre. A ce mot Bossuet se récrie sur la vanité de la gloire humaine et trace le portrait de la princesse pour prouver combien il lui eût été difficile d'échapper à ces périls de la gloire. Il s'écrie :

La gloire qu'y a-t-il pour le chrétien de plus pernicieux et de plus mortel? quel appât plus dangereux? quelle fumée plus capable de faire tourner les meilleures têtes? Considérez la princesse; représentez-vous cet esprit qui, répandu par tout son extérieur, en rendait les grâces si vives: tout était douceur, tout était bonté.

Affable à tous avec dignité, elle savait estimer les uns sans fâcher les autres, et quoique le mérite fût distingué, la faiblesse ne se sentait pas dédaignée. Quand quelqu'un traitait avec elle, il semblait qu'elle eût oublié son rang pour ne se soutenir que de sa raison. On ne s'apercevait presque pas qu'on parlat à une personne si élevée; on sentait seulement au fond de son cœur, qu'on eût voulu lui rendre au centuple la grandeur dont elle se dépouillait si obligeanment. Fidèle en ses paroles, incapable de déguisement, sûre à ses amis; par la lumière et la droiture de son esprit elle les mettait à couvert des vains ombrages, et ne leur laissait à craindre que leurs propres fautes. Très-reconnaissante des services, elle aimait à prévenir les injures par sa bonté; vive à les sentir, facile à les pardonner.

Que dirai-je de sa libéralité? Elle donnait nonseulement avec joie, mais avec une hauteur d'âme qui marquait tout ensemble et le mépris du don, et l'estime de la personne. Tantôt par des paroles touchantes, tantôt même par son silence elle relevait ses présents; et cet art de donner agréablement, qu'elle avait si bien pratiqué durant sa vie, l'a suivie, je le sais, jusqu'entre les bras de la mort1. Avec

(1) Madame Henriette, duchesse d'Orléans, avait été assistée dans ses derniers moments par Bossuet. Pleine de reconnaissance pour les services que ce saint évêque lui avait rendus, la princesse ordonna, en sa présence, une heure avant sa mort, mais en anglais, afin qu'il ne l'entendit pas, qu'on lui offrit de sa part, après son décès, une bague précieuse. Dans la matinée qui suivit cette nuit désastreuse, Louis XIV se chargea de donner cette bague à Bossuet et voulut lui-même la lui mettre au doigt, en l'invitant à la porter toute sa vie. Il le chargea en même temps de prononcer l'oraison funèbre de la princesse. Quelques personnes dirent à Bossuet qu'il était fâcheux que les bienséances de la chaire ne lui permissent pas de rappeler dans l'oraison funèbre une preuve aussi touchante de la libéralité et de la délicatesse de la princesse - Eh, pourquoi pas? répondit Bossuet. On aurait pu lui répondre : parce qu'il est impossible de dire en chaire, dans une oraison funèbre : « la princesse m'a donné une bague en témoignage de sa reconnaissance et de sa bienveillance, » l'objet ne peut être ni nommé, ni indiqué dans un semblable discours, sans manquer aux bienséances oratoires. Mais rien n'était impossible à Bossuet: il le prouva en satisfaisant, vers la fin de son discours, la reconnaissance de son cœur, par cette phrase si simple:

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Que dirai-je de sa libéralité? Elle donnait, non-seulement avec joie, mais avec une hauteur d'âme qui marquait tout ensemble et le mépris du don et l'estime de la personne; tantôt par des paroles touchantes, tantôt même par son silence elle relevait ses présents, et cet art de donner agréablement, qu'elle a si bien pratiqué durant sa vie, l'a suivie, JE LE SAIS, jusqu'entre les bras de la mort.▾ Trois syllabes, dit le cardinal Maury, relevées par un cri déchirant, suffirent ainsi à Bossuet pour retracer avec autant de dignité que de mesure, l'histoire généralement divulguée de cette bague qu'on voyait à son doigt. C'est le triomphe des bienséances oratoires.

tant de grandes et tant d'aimables qualités, qui eût lui refuser son admiration? Mais avec son crédit, pu avec sa puissance, qui n'eût voulu s'attacher à elle? N'allait-elle pas gagner tous les cœurs, c'est-à-dire, la seule chose qu'ont à gagner ceux à qui la naissance et la fortune semblent tout donner. Et si cette haute élévation est un précipice affreux pour les Chrétiens, ne puis-je pas dire, Messieurs, pour me servir des paroles fortes du plus grave des historiens « Qu'elle allait être précipitée dans la gloire1? »

:

LA MORT DE MADAME ASSURE SON SALUT.

Bossuet termine la seconde partie de la confirmation de son discours en réfutant ainsi les objections qu'on pouvait tirer de la promptitude de la mort de la princesse. Il vient de montrer que la princesse allait arriver au comble de la gloire, et continue ainsi :

En cet état, Messieurs, la vie n'est-elle pas un péril? la mort n'est-elle pas une grâce? Que ne doiton pas craindre de ses vices, si les bonnes qualités sont si dangereuses? N'est-ce donc pas un bienfait de Dieu, d'avoir abrégé les tentations avec les jours de Madame, de l'avoir arrachée à sa propre gloire, avant que cette gloire, par son excès, eût mis en hasard sa modération? Qu'importe que sa vie ait été si courte? Jamais ce qui doit finir ne peut être long. Quand nous ne compterions point ses confessions plus exactes, ses entretiens de dévotion plus fréquents, son application plus forte à la piété dans les derniers temps de sa vie; ce peu d'heures saintement passées parmi les plus rudes épreuves, et dans les

(2) In ipsam gloriam præceps agebatur. Tacit. Vit. Agric. n. 41.

sentiments les plus purs du christianisme, tiennent lieu toutes seules d'un âge accompli. Le temps a été court, je l'avoue: mais l'opération de la grâce a été plus forte; mais la fidélité de l'âme a été parfaite. C'est l'effet d'un art consommé de réduire en petit tout un grand ouvrage; et la grâce, cette excellente ouvrière, se plaît quelquefois à renfermer en un jour la perfection d'une longue vie. Je sais que Dieu ne veut pas qu'on s'attende à de tels miracles: mais si la témérité insensée des hommes abuse de ses bontés, son bras pour cela n'est pas raccourci et sa main n'est pas affaiblie. Je me confie pour Madame en cette miséricorde, qu'elle a si sincèrement et si humblement réclamée. Il semble que Dieu ne lui ait conservé le jugement libre jusqu'au dernier soupir, qu'afin de faire durer les témoignages de sa foi. Elle a aimé en mourant le Sauveur Jésus les bras lui ont manqué plutôt que l'ardeur d'embrasser la croix. J'ai vu sa main défaillante chercher encore en tombant de nouvelles forces, pour appliquer sur ses lèvres ce bienheureux signé de notre rédemption. N'est-ce pas mourir entre les bras et dans le baiser du Seigneur? Ah! nous pouvons achever ce saint sacrifice pour le repos de Madame, avec une pieuse confiance. Ce Jésus en qui elle a espéré, dont elle a porté la croix en son corps par des douleurs si cruelles, lui donnera encore son sang dont elle est déjà toute teinte, toute pénétrée, par la participation à ses Sacrements, et par la communion avec ses souffrances.

CE QUE C'EST QUE LA RÉFUTATION DANS UN DISCOURS.

Bossuet avait dit, comme on l'a vu, que la mort de la princess avait eté un bien pour elle. On pouvait lui faire cette objection:

il est vrai que la mort a été un bien pour la princesse ; mais il eût été à désirer que cette mort fût moins prompte, afin que Madame put mieux se préparer à paraitre devant Dieu Bossuet, dans le morceau ci-dessus, prévient cette objection, en montrant que malgré sa promptitude, la mort de Madame a été assez sainte pour faire croire que son salut est assuré, et que les courts moments qui lui ont été accordés pour se repentir de ses fautes, ont suffi pour les effacer.

Répondre, comme Bossuet vient de le faire, aux objections qui peuvent s'élever contre la vérité qu'on doit prouver dans le discours, c'est ce qu'on appelle la Réfutation. Cette partie du discours n'a pas de place fixe: on peut la mettre après l'exorde, ou au milieu ou à la fin du discours, suivant qu'on le juge plus convenable pour persuader; souvent la réfutation est confondue, comme ici, avec la confirmation. Le style de la réfutation doit être vif et serré, c'est-à-dire renfermer beaucoup de preuves exprimées d'une manière frappante.

MORCEAUX DÉTACHÉS.

Voici encore quelques traits admirables qu'il n'est pas permis d'ignorer et que nous n'avons pu faire entrer dans nos citations des oraisons funèbres: Bossuet, après avoir fait en présence du cercueil de la reine d'Angleterre, l'éloge du roi Charles Ier, croit voir les restes inanimés de la reine se réveiller de joie et de bonheur, au nom de cet époux chéri, et il s'écrie :

Grande reine, je satisfais à vos plus tendres désirs, quand je célèbre ce monarque, et ce cœur, qui n'a jamais vécu que pour lui, se réveille tout poudre qu'il est, et devient sensible, même sous ce drap mortuaire, au nom d'un époux si cher, à qui ses ennemis même accorderont le titre de sage et celui de juste, et que la postérité mettra au rang des grands prinsi son histoire trouve des lecteurs dont le jugement ne se laisse pas maîtriser aux événements ni à la fortune.

ces,

En parlant de la même reine, Bossuet se sert d'une comparaison pleine d'une pompe vraiment poétique. Il s'écrie :

VRAIS ORN.

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