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souveraine et digne de lui: car, en leur donnant la puissance, il leur commande d'en user, comme il fait lui-même, pour le bien du monde; et il leur fait voir, en la retirant, que toute leur majesté est empruntée, et que, pour être assis sur le trône, ils n'en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême. C'est ainsi qu'il instruit les princes, non-seulement par des discours et par des paroles, mais encore par des effets et par des exemples: Et nunc, Reges, intelligite; erudimini, qui judicatis terram. Entendez, ó grands de la terre, instruisez-vous, arbitres du monde.

Chrétiens, que la mémoiree d'une grande reine, fille, femme, mère de rois si puissants, et souveraine de trois royaumes, appelle de tous côtés à cette triste cérémonie, ce discours vous fera paraître un de ces exemples redoutables qui étalent aux yeux du monde sa vanité tout entière. Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines : la félicité sans bornes aussi bien que les misères; une longue et paisible jouissance d'une des plus nobles couronnes de l'univers; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulées sur une tête qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune; la bonne cause d'abord suivie de bons succès, et puis des retours soudains, des changements inouïs: la rébellion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse; nul frein à la licence; les lois abolies; la majesté violée par des attentats jusqu'alors inconnus; l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté; une reine fugitive, qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes, et à qui sa propre patrie n'est plus qu'un triste lieu d'exil; neuf voyages sur mer, entrepris par une princesse, malgré les tempêtes; l'Océan étonné de se voir tra

versé tant de fois en des appareils si divers, et pour des causes si différentes; un trône indignement renversé et miraculeusement rétabli : voilà les enseignements que Dieu donne aux rois. Ainsi fait-il voir au monde le néant de ses pompes et de ses grandeurs.

Si les paroles nous manquent, si les expressions ne répondent pas à un sujet si vaste et si élevé, les choses parleront assez d'elles-mêmes. Le cœur d'une grande reine, autrefois élevée par une si longue suite de prospérités, et puis plongée tout à coup dans un abîme d'amertumes, parlera assez haut; et, s'il n'est pas permis aux particuliers de faire des leçons aux princes sur des événements si étranges, un roi me prête ses paroles pour leur dire: Entendez, ô grands de la terre; instruisez-vous, arbitrcs du monde !

PORTRAIT DE CROMWELL.

Celui qui dirigeait les entreprises contre le roi d'Angleterre, Charles Ier, le chef des ennemis de ce monarque se nommait Cromwell. Après l'assassinat de son roi, Cromwell gouverna l'Angleterre, non pas avec le titre de roi, mais sous le nom de Protecteur. Ce misérable ambitieux fut d'abord militaire, puis il entra dans le clergé anglican pour chercher à devenir évêque. Dans la guerre contre le roi Charles Ier, il reprit son premier métier de soldat; mais souvent, comme le dit Bossuet, il faisait encore le docteur, il se donnait pour un prophète et un envoyé de Dieu : en réalité il n'était pas plus protestant que Catholique, toute sa religion se bornait à croire à l'existence de Dieu. Il était sans cesse tourmenté par le remords de ses crimes et n'osait point se fier même à ses enfants. Quand le fils de Charles Ier fut remonté sur le trône, on déterra le corps de Cromwell qui avait été mis dans le tombeau des rois, et le cadavre de ce malheureux fut pendu et enterré au pied du gibet. Il est à remarquer que Bossuet ne prononce pas le nom de cet homme; c'était un nom trop souillé pour qu'on osât le prononcer dans une église, et il réveillait des souvenirs trop tristes pour les rois et les princes qui écoutaient Bossuet. Voici comment ce grand orateur trace le portrait de Cromwell,

Un homme s'est rencontré d'une profondeur d'esprit incroyable; hypocrite raffiné autant qu'habile politique; capable de tout entreprendre et de tout cacher; également actif et infatigable dans la paix et dans la guerre; qui ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance, mais au reste si vigilant et si prêt à tout, qu'il n'a jamais manqué les occasions qu'elle lui a présentées; enfin, un de ces esprits remuants et audacieux qui semblent être nés pour changer le monde.

Que le sort de tels esprits est hasardeux, et qu'il en paraît dans l'histoire à qui leur audace a été funeste! Mais aussi que ne sont-ils pas, quand il plaît à Dieu de s'en servir! Il fut donc donné à celui-ci de tromper les peuples et de prévaloir contre les rois. Car, comme il eut aperçu que, dans ce mélange infini de sectes qui n'avaient plus de règles certaines, le plaisir de dogmatiser, sans être repris ni contraint par aucune autorité ecclésiastique ni séculière, était le charme qui possédait les esprits, il sut si bien les concilier par là, qu'il fit un corps redoutable de cet assemblage monstrueux.

Quand une fois on a trouvé le moyen de prendre la multitude par l'appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu'elle en entende seulement le nom. Ceux-ci, occupés du premier objet qui les avait transportés, allaient toujours, sans regarder qu'ils allaient à la servitude; et leur subtil conducteur, qui, en combattant, en dogmatisant, en mêlant mille personnages divers, en faisant le docteur et le prophète, aussi bien que le soldat et le capitaine, vit qu'il avait tellement enchanté le monde, qu'il était regardé de toute l'armée comme un chef envoyé de Dieu pour la protection de l'indépendance, commença à s'apercevoir qu'il pouvait encore les pousser plus loin. Je

vous raconterai pas la suite trop fortunée de ses entreprises, ni ses fameuses victoires dont la vertu était indignée, ni cette longue tranquillité qui a étonné l'univers. C'était le conseil de Dieu d'instruire les rois. Il voulait découvrir, par un grand exemple, tout ce que peut l'hérésie, combien elle est naturellement indocile et indépendante, combien fatale à la royauté et à toute autorité légitime. Au reste, quand ce grand Dieu a choisi quelqu'un pour être l'instrument de ses desseins, rien n'en arrête le cours ou il enchaîne, ou il aveugle, ou il dompte tout ce qui est capable de résistance.

ORAISON FUNEBRE DE HENRIETTE D'ANGLETERRE.

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Notice historique. Cette princesse était la dernière des enfants de l'infortuné roi d'Angleterre Charles Ier, condamné par ses sujets à avoir la tête tranchée, le 30 janvier 1649. La princesse Henriette épousa le duc d'Orléans, frère unique de Louis XIV. Elle parut alors avec le plus grand éclat à la cour: elle avait non-seulement beaucoup d'agréments dans l'esprit, et dans toutes ses manières, mais encore un jugement et un génie capables des plus grandes choses; tellement que Louis XIV chargea cette princesse d'aller traiter avec le roi d'Angleterre, son frère, une affaire très-délicate et de la plus haute importance, pour toute l'Europe. Madame Henriette y réussit; mais à peine de retour en France, lorsqu'elle paraissait n'avoir plus à jouir que de sa gloire, après neuf heures de souffrances cruelles, la mort l'enleva tout à coup. Le roi, la reine et plusieurs dames de la cour accoururent au premier bruit de son agonie. Cette illustre princesse conserva jusqu'au dernier moment toute sa présence d'esprit, reçut tous les sacrements avec de grands sentiments de piété et de dévotion; et quand tout le monde autour d'elle pleurait et se troublait d'une mort. si prompte, si inattendue, elle seule, calme et résignée, songeait à tout, répondait à tout et se préparait à entrer dans l'éternité avec autant d'assurance que s'il se fut agi d'un voyage ordinaire, tant était grande sa confiance dans la miséricorde de Dieu. Bossuet qui connaissait tout le mérite de cette princesse dont il avait la confiance, vint aussi à son lit de mort; ce fut lui qui récita les prières des

agonisants. Bossuet l'année précédente avait prononcé devant ma dame Henriette l'oraison funèbre de sa mère, et la jeune princesse avait paru fort touchée des grandes vérités si éloquemment développées dans ce discours; c'est à cette circonstance que Bossuet fait allusion en commençant l'oraison funèbre de Madame Henriette. Le roi Louis XIV fit faire des funérailles magnifiques à cette princesse, sa belle-sœur et la propre sœur du roi d'Angleterre. C'est devant le grand roi et toute sa cour, au milieu de l'église décorée avec toute la magnificence qu'on peut déployer dans une pompe funèbre, que Bossuet, l'âme toute pénétrée de douleur, de regrets et d'admiration pour les décrets de Dieu, prononce son admirable discours d'autant plus propre à servir de modèle qu'il est composé avec moins d'art que les autres; c'est seulement le cœur qui parle.

EXORDE.

Vanitas vanitatum, dixit Ecclesiastes: Vanitas vanitatum, et omnia vanitas. Eccl. 1, 2. Vanité des vanités, a dit l'Ecclésiaste; Vanité des vanités, et tout est vanité.

MONSEIGNEUR,1

J'étais donc encore destiné à rendre ce devoir funèbre à Très-haute et Très-Puissante Princesse HENRIETTE-ANNE d'Angleterre, DUCHESSE D'ORLÉANS. Elle que j'avais vue si attentive pendant que je rendais le même devoir à la reine sa mère, devait être sitôt après le sujet d'un discours semblable; et ma triste voix était réservée à ce déplorable ministère. O vanité! ô néant! ô mortels ignorants de leurs destinées! L'eût-elle cru, il y a dix mois? Et vous, Messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versait tant de larmes en ce lieu, qu'elle dût sitôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même? Princesse, le digne objet de l'admiration de deux grands royaumes,

(1) Monsieur le Prince.

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