Page images
PDF
EPUB

NOTICE SUR BOSSUET.

Nous voici arrivés au plus beau génie dont puisse se glorifier la France nous ne dirons que quelques mots sur la vie de cet homme incomparable.

Jacques-Bénigne BossUET naquit à Dijon, d'une famille de magistrats, noble et ancienne, dans la nuit du 27 au 28 septembre 1627, à quelques pas de ce village de Fontaine où était né saint Bernard, qui fut son secret et éternel modèle, et dont en effet il sembla renouveler la vie religieuse, politique et littéraire.

Ce grand homme (remarquez-le bien, jeunes lecteurs), ce grand homme dut sinon son génie, du moins son talent et son style, à la patience dans le collége des jésuites, qui ont la gloire d'avoir été ses maîtres, les compagnons d'étude de Bossuet, voyant son ardeur infatigable au travail, le surnommèrent, en faisant allusion à son nom, Bos suetus aratro, Bœuf accoutumé à traîner la charrue. Il laissa voir dès son enfance tout ce qui devait dans la suite lui attirer l'admiration publique. Après un sermon qu'il prononça un soir à l'âge de 16 ans, en présence de plusieurs personnes de la cour et de gens de lettres, un homme d'esprit dit: qu'il n'avail jamais entendu prêcher ni si tôt, ni si tard, faisant allusion, par ce jeu de mots, à la jeunesse de l'orateur et à l'heure à laquelle le sermon était prononcé. Mais Bossuet, loin de s'énorgueillir de ces éloges si flatteurs, n'en prit qu'un sujet d'encouragement et il se remit à l'étude pendant dix années. Dès l'âge de 8 ans ses parents lui avaient fait prendre la tonsure cléricale, et à l'âge de 13 ans il fut pourvu d'un canonicat de Metz: tout cela était conforme aux usages de ce temps-là. Après avoir étudié comme nous l'avons dit, et avoir reçu les saints ordres, Bossuet revint à Metz et s'appliqua à l'instruction des protestants: il en ramena

plusieurs à la religion catholique. Ses succès eurent de l'éclat. On l'appela à Paris. La reine-mère, Anne d'Autriche, son admiratrice, lui fit donner, en 1662, la charge de prononcer les sermons devant le roi et tous les grands de la cour, chaque dimanche de l'avent et du carême: Bossuet était alors âgé de 34 ans. Le roi fut si frappé de l'éloquence de ce jeune prédicateur, qu'il fit écrire en son nom au père de Bossuet pour le féliciter d'avoir un fils qui l'immortaliserait. Bossuet eut la gloire de servir d'instrument à Dieu pour ramener à la religion catholique plusieurs protestants illustres et entr'autres l'immortel maréchal de Turenne. Bossuet fut nommé évêque de Condom; puis chargé de l'éducation du fils du roi. Mais comme les soins de cette éducation l'empêchaient de s'occuper de son diocèse, Bossuet, qui était avant tout un pieux ministre de Dieu, se démit de son évêché. Ce fut vers ce temps qu'il prononça l'oraison funèbre de Madame Henriette d'Angleterre, morte subitement au milieu d'une cour dont elle était les délices. Après avoir terminé l'éducation du Dauphin, Bossuet fut nommé évêque de Meaux. Il eut, quelques années après, une grande et longue discussion avec le savant et vertueux archevêque de Cambrai, Fénelon la discussion roulait sur un sujet de piété, les maximes des saints sur la vie intérieure. On a reproché à Bossuet d'avoir mis beaucoup de vivacité et de chaleur dans cette discus sion, d'où il sortit vainqueur le livre de Fénelon fut condamné par le pape. Fénelon pourtant parut alors plus grand que Bossuet; héros de l'humilité chrétienne, Fénelon, dès que le Pape eut désapprouvé la doctrine qu'on croyait voir dans son livre, condamna lui-même solennellement son propre ouvrage.

::

Les mœurs de Bossuet étaient aussi sévères que sa morale. Tout son temps était absorbé par l'étude ou par les travaux de son ministère; toujours prêchant, catéchisant, confessant, il ne se permettait que des délassements fort courts. Il ne se promenait que rarement et avec des personnes de mérite, de sorte que la promenade se passait en entretiens savants. Son jardinier lui dit un jour: Si je plantais des saint Augustin et des saint Chrysostôme, vous les viendriez voir; mais pour vos arbres, vous ne vous en souciez guère.

[ocr errors]

Bossuet fut enlevé à son diocèse, à la France et à l'Eglise à l'âge de 77 ans. Il a laissé cinquante-un ouvrages sur différentes matières.

ORAISONS FUNÈBRES DE BOSSUET.

Le mot Oratson, dans le langage de la littérature, signifie discours étendu et noble; le mot funèbre signifie qui a rapport aux funérailles, aux derniers devoirs rendus au corps d'un mort. Les oraisons funèbres sont donc des discours consacrés à faire l'éloge et à déplorer la mort de quelques grands personnages. Nous avons plusieurs oraisons funèbres de Bossuet; les plus remarquables sont celles du prince de Condé, de la reine d'Angleterre et de sa fille Madame Henriette, que Bossuet assista au moinens de la mort.

ORAISON FUNEBRE DU GRAND CONDÉ.

Louis DE BOURBON, surnommé LE GRAND, prince de CONDE, premier prince du sang royal et duc d'Enghien, naquit à Paris, en 1621. Condé naquit général; l'art de la guerre sembla en lui un instinct naturel. A l'âge de 22 ans. il gagna la bataille de Rocroi sur les Espagnols qui perdirent 10,000 hommes et leur général d'infanterie. Condé, à genoux sur ce glorieux champ de bataille, rendit humblement grâces au Dieu des armées de ce triomphe si glorieux. Laissons Bossuet raconter ou plutôt peindre ce mémorable combat de son héros.

BATAILLE DE ROCROI.

A la nuit qu'il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine, le duc d'Enghien reposa le dernier; mais jamais il ne reposa plus paisiblement. A la veille d'un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel; et l'on sait que le lende main, à l'heure marquée, il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre. Le voyez-vous comme il vole ou à la victoire ou à la mort? Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il était

animé, on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier les Français à demi vaincus, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups.

Restait cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattants, trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu'on voyait porté dans sa chaise, et, malgré ses infirmités, montrer qu'une âme guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime; mais enfin il faut céder. C'est en vain qu'à travers les bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Beck précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés; le prince l'a prévenu, les bataillons enfoncés demandent quartier, mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d'Enghien que le combat.

Pendant qu'avec un air assuré il s'avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque; leur effroyable décharge met les nôtres en furie. On ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat, jusqu'à ce que ce grand prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes, et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avait plus de salut pour eux que dans les bras du vainqueur! De

VRAIS ORN.

37

quels yeux regardèrent-ils le jeune prince, dont la victoire avait relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles grâces! Qu'il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines! Mais il se trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que ce prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régiments à la journée de Rocroi, en devait achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la première victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le prince fléchit le genou; et, dans le champ de bataille, il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyait. Là, on célébra Rocroi délivré, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à sa honte, la régence affermie, la France en repos, et un règne qui devait être si beau, commencé par un si heureux présage. L'armée commença l'action de grâces; toute la France suivit on y élevait jusqu'au ciel le coup d'essai du duc d'Enghien : c'en serait assez pour illustrer une autre vie que la sienne; mais pour lui, c'est le premier pas de sa course.

BOSSUET. Oraisons funèbres.

REMARQUES SUR LES QUALITÉS DE LA NARRATION.

Le morceau qu'on vient de lire est un modèle de narration: le mot narration vient du verbe latin narrare qui signifie raconter. La narration est le récit d'un fait, d'un événement. Elie doit être claire, rapide et intéressante. Claire, c'est-à-dire faire connaître le fait avec toutes ses circonstances, mais sans confusion. Rapide, c'est-à-dire ne renfermer que ce qui est utile pour exposer le fait. Intéressante, c'est-à-dire peindre si bien l'événement qu'on croie y être présent, le voir de ses yeux. Toutes ces qualités se trouvent au plus haut degré dans la narration de la bataille de Rocroi. Quand le sujet de la narration n'est point un événement véritable, mais une fiction, il faut alors que la narration soit vraisemblable,

« PreviousContinue »