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Jérusalem pleura de se voir profanée.

Des enfants de Lévi la troupe consternée

En poussa vers le ciel des hurlements affreux.
Moi seul, donnant l'exemple aux timides Hébreux,
Déserteur de leur loi, j'approuvai l'entreprise,
Et par là de Baal méritai la prêtrise.
Par là je me rendis terrible à mon rival,
Je ceignis la tiare et marchai son égal.
Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire,
Du Dieu que j'ai quitté l'importune mémoire
Jette encore en mon âme un reste de terreur,
Et c'est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
Heureux si, sur son temple achevant ma vengeance,
Je puis convaincre enfin sa haine d'impuissance,
Et parmi les débris, le ravage et les morts,

A force d'attentats perdre tous mes remords!

ATHALIE ATTAQUE LE TEMPLE. (QUATRIÈME CHŒUR.)

La reine Athalie se prépare à détruire le temple : la vie du jeune roi Joas est menacée. Déjà l'armée d'Athalie ferme toutes les issues; on entend les cris des soldats, le bruit des trompettes. Le grand-prêtre Joad donne des armes aux lévites et se prépare à défendre le temple et le jeune roi Joas. Le chœur chante, pour encourager les lévites à combattre les ennemis de Dieu.

SCÈNE VI.

SALOMITH, LE CHŒUR.

LE CHEUR CHANTE.

Partez, enfants d'Aaron, partez.
Jamais plus illustre querelle

De vos aleux n'arma le zèle.
Partez, enfants d'Aaron, partez.

C'est votre roi, c'est Dieu pour qui vous combattez.

UNE SEULE VOIX.

Où sont les traits que tu lances,
Grand Dieu! dans ton juste courroux 1

N'es-tu plus le Dieu jaloux ?
N'es-tu plus le Dieu des vengeances ?

UNE AUTRE.

Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés?
Dans l'horreur qui nous environne,

N'entends-tu que la voix de nos iniquités ?
N'es-tu plus le Dieu qui pardonne ?

TOUT LE CHŒUR.

Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés 1

UNE VOIX SEULE.

C'est à toi que, dans cette guerre,

Les flèches des méchants prétendent s'adresser.
Faisons, disent-ils, cesser

Les fêtes de Dieu sur la terre.

De son joug importun délivrons les mortels. Massacrons tous ses Saints, renversons ses autels. Que de son nom, que de sa gloire

Il ne reste plus de mémoire.

Que ni lui ni son Christ ne règnent plus sur nous

TOUT LE CHEUR.

Où sont les traits que tu lances,
Grand Dieu! dans ton juste courroux ?
N'es-tu plus le Dieu jaloux?
N'es tu plus le Dieu des vengeances

UNE VOIX SEULE.

Triste reste de nos rois,

Chère et dernière fleur d'une tige si belle,
Hélas! sous le couteau d'une mère cruelle

Te verrons-nous tomber une seconde fois?

Prince aimable, dis-nous si quelque ange au berceau Contre tes assassins prit soin de te défendre;

Ou si dans la nuit du tombeau

La voix du Dieu vivant a ranimé ta cendre?

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UNE AUTRE.

D'un père et d'un afeul contre toi révoltés,
Grand Dieu! les attentats lui sont-ils imputės?
Est-ce que sans retour ta pitié l'abandonne ?

LE CHEUR.

Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ?
N'es-tu plus le Dieu qui pardonne ?

UNE DES FILLES DU CHEUR SANS CHANTER.

Chères sœurs, n'entendez-vous pas
Des cruels Tyriens la trompette qui sonne?

SALOMITH.

J'entends même les cris des barbares soldats,
Et d'horreur j'en frissonne.

Courons, fuyons, retirons-nous

A l'ombre salutaire

Du redoutable sanctuaire.

Le grand-prêtre Joad, sous prétexte de montrer à Athalie le trésor caché dans le temple, y attire cette princesse qui reçoit enfin la juste punition de tous ses crimes; les lévites lui arrachent la vie. L'armée d'Athalie s'est dispersée, frappée d'une terreur soudaine; tout le peuple reconnaît avec enthousiasme son jeune roi, Joas descendant de David. En apprenant qu'Athalie a été mise à mort suivant ses ordres, le grand-prêtre dit à Joas:

Par cette fin terrible et due à ses forfaits,
Apprenez, roi des Juifs, et n'oubliez jamais,
Que les rois dans le ciel ont un juge sévère,
L'innocence un vengeur, et l'orphelin un père.

PARTICULARITÉS HISTORIQUES SUR LA TRAGÉDIE
D'ATHALIE.

La tragédie d'Athalie fut pour Racine la source d'autant de cha grins qu'Esther lui avait donné de joie et de gloire. Cette pidos avait été aussi composée pour la maison de Saint-Cyr; mais on avait l'expérience des représentations d'Esther: la dissipation,

le luxe inséparable de ces pompes théâtrales préparées pour la cour, tout cela fut regardé par des gens sages et pieux comme peu convenable à une maison d'éducation chrétienne. Le roi, le plus puissant de l'Europe, sacrifia son plaisir et sa fantaisie à la crainte de scandaliser les hommes honnêtes et religieux; il demanda seulement que les pensionnaires de Saint-Cyr, avec leur costume ordinaire, récitassent Athalie devant lui, dans sa chambre, sans apprêts.

Racine fit imprimer la tragédie d'Athalie; mais pour le repos de sa conscience, comme il condamnait alors absolument les spectacles, il fit insérer, dans le privilége donné par le roi, une défense expresse aux comédiens de la jouer, précaution qu'il avait prise également pour Esther.

Racine vit cet ouvrage méprisé par tous les hommes de son temps, et laissé sur les rayons de son libraire, tellement qu'il mourut persuadé qu'il s'était trompé sur le mérite de sa dernière tragédie.

La postérité a rendu une tardive justice à la plus belle composition de Racine; voici le jugement qu'en porte un de nos meilleurs critiques modernes :

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Athalie est la meilleure poétique, et l'on n'a plus besoin de celle d'Aristote. Si les règles de l'art dramatique pouvaient se perdre, on les retrouverait dans cette tragédie. De l'aveu de tout ce qu'il y a de bons esprits et de gens de goût en Europe, c'est le seul ouvrage où les unités, la raison, la vraisemblance, le mécanisme de l'action soient exactement et strictement observés. Jamais la poésie et l'éloquence n'ont été portés à un tel degré. Mais encore une fois, Racine n'avait point composé cet ouvrage pour des comédiens et pour une scène profane: il avait voulu laisser un monument de sa piété et de la hauteur divine à laquelle pouvait atteindre le génie guidé et inspiré par la religion. »

On a imprimé ensemble les deux tragédies d'Esther et d'Athalie avec le poème de la Religion; l'ouvrage forme un petit vol. in-18, il est intitulé: La Religion, poème, par Racine fils, nouvelle édition à laquelle on a ajouté les tragédies d'Esther et d'Athalie; à Lyon chez Rusand, 1832.

IPHYGÉNIE.

TRAGÉDIE.

DISCOURS D'ULYSSE A AGAMEMNON.

Le roi Agamemnon, généralissime de l'armée des Grecs, qui assiégent la ville de Troie, en Asie, (12 siècles avant Notre-Seigneur Jésus-Christ), a reçu des dieux, par l'entremise du devin Calchas, l'ordre d'immoler sa fille Iphygénie : la protection des dieux ne sera donnée aux Grecs qu'à ce prix. Ulysse, roi d'Ithaque, s'efforce de persuader à Agamemnon de consentir à ce sacrifice

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De ce soupir que faut-il que j'augure?
Du sang qui se révolte est-ce quelque murmure}
Croirai-je qu'une nuit a pu vous ébranler ?
Est ce donc votre cœur qui vient de nous parler ?
Songez-y, vous devez votre fille à la Grèce :
Vous nous l'avez promise; et sur cette promesse,
Calchas, par tous les Grecs consulté chaque jour,
Leur a prédit des vents l'infaillible retour.
A ses prédictions si l'effet est contraire,
Pensez-vous que Calchas continue à se taire;
Que ses plaintes, qu'en vain vous voudrez apaiser,
Laissent mentir les dieux sans vous en accuser?
Et qui sait ce qu'aux Grecs, frustrés de leur victime,
Peut permettre un courroux qu'ils croiront légitime?
Gardez-vous de réduire un peuple furieux,
Seigneur, à prononcer entre vous et les dieux.
N'est-ce pas vous enfin de qui la voix pressante
Nous a tous appelés aux campagnes du Xanthe?

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Et, quand de toutes parts rassemblés en ces lieux,
L'honneur de vous venger brille seul à nos yeux;
Quand la Grèce déjà, vous donnant son suffrage,

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