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2. Les Fables de La Fontaine, les Fables de Florian, ne sont pas des histoires véritables; tout ce qui y est raconté n'est jamais arrivé; mais cependant ces Fables sont vraisemblables, parce que les personnages parlent toujours un langage qui est d'accord avec le caractère qu'on leur donne, et parce que tous les événements qui arrivent dans le courant de la narration ont un motif, une cause qui les amène.

3. On a vu (Chapitre IV, No 5), comment le langage des personnages était d'accord avec leur caractère. Pour comprendre comment les événements doivent toujours avoir un motif, on peut lire la Fable du Loup et l'Agneau. Bien que l'agneau réponde parfaitement à tous les reproches du loup, bien que l'agneau prouve qu'il est innocent, cependant le loup le tue et le dévore. Cela n'est pas invraisemblable, parce que d'abord l'habitude du loup est de manger les moutons, et, en second lieu, parce que l'auteur a eu soin de nous dire, au commencement de la Fable, que le loup était pressé par la faim. Voilà comment il faut donner un motif, une cause à tous les événements de la narration.

4. On peut voir encore un exemple de la vraisemblance des événements dans la fable le Chat et les Lapins. L'auteur raconte qu'un berger, à la prière des lapins, vient tuer le chat qui leur faisait la guerre. On pourrait se demander : Pourquoi le berger se montre-t-il si empressé à prendre la défense des lapins; pourquoi est-il ennemi des chats? — Il faut rendre l'action du berger vraisemblable, et c'est pour cela que l'auteur a soin de dire que ce berger aimait à prendre les lapins pour les manger lui-même. On conçoit alors que celui-ci se hâte de tuer le chat,

(1) Première partie des Vrais Ornements de la Mémoire. (2) Ibid.

VRAIS ORN

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puisque cet animal, en croquant les petits lapins, en privait le berger. Si l'auteur n'avait pas eu la précaution d'expliquer ainsi le motif de la haine du berger pour le chat, la fable serait invraisemblable.

5. En suivant les exemples des fables le Loup et l'Agneau, le Berger et les Lapins, on doit donner toujours un motif, une cause à tous les événements qui arrivent dans la narration; car il faut que ceux qui nous écoutent comprennent toujours pourquoi nos personnages parlent de telle ou telle manière plutôt que d'une autre, pourquoi telle ou telle chose arrive comme nous le racontons.

6. Ces règles doivent être suivies, même dans les fables et dans les contes, comme nous l'avons montré par l'exemple des fables du Loup et l'Agneau, le Chat et les Lapins. Tout le monde sait que les animaux ne peuvent point parler, et que par conséquent ces fables sont des contes inventés à plaisir; néanmoins elles sont vraisemblables, parce qu'on se dit: Si ces animaux pouvaient parler et raisonner, je me figure que c'est comme cela qu'ils parleraient; c'est de cette façon qu'ils agiraient. Dès qu'on peut se dire cela, la narration est vraisemblable.

QUESTIONS.

1. Qu'entendez-vous par une narration vraisemblable? 2. Les fables peuvent-elles être des narrations vraisemblables? 3. Comment donne-t-on un motif, une cause à tous les événements de la narration? - 4. Donnez un autre exemple de la vraisemblance des événements dans une narration ? - 5. Faut-il donner un motif, une 'cause aux événements de la narration? 6. Doit-on suivre les règles de la vraisemblance dans les fables et dans les contes?

VII.

CE QUE C'EST QUE LE MOT PROPRE.

1. Dans la fable le Corbeau et le Renard, on dit que le corbeau était perché sur un arbre. Si l'on disait qu'il était monté sur un arbre, ce serait mal dit; car le corbeau ne monte pas à l'arbre, comme nous montons dans un grenier. On ne pourrait pas dire non plus que le corbeau était grimpé sur un arbre; car grimper, c'est faire comme les petits enfants qui vont dénicher des oiseaux. Le corbeau vole et se pose sur une branche; c'est ce qu'on appelle percher. Sur un arbre perché était donc le mot convenable, le mot propre.

2. Il est bien rare qu'il y ait deux mots qui expriment exactement la même pensée, la même chose; il faut donc avoir grand soin de chercher toujours le mot qui rend le mieux ce que l'on veut dire; c'est là le mot propre. Ceux qui savent toujours trouver le mot pour rendre leur pensée ont ce qu'on appelle la propriété d'expression.

3. Les mots chose, rien, cela, personne, sont trèsvagues; ils peuvent représenter une foule d'idées différentes, c'est pour cette raison qu'on doit éviter de les répéter souvent; car en employant ces mots on ne désigne pas bien ce qu'on veut dire, et par conséquent, on ne peut pas être compris facilement de ceux qui écoutent.

QUESTIONS.

1. Faites voir par un exemple ce que c'est que le mot propre ? 2. Peut-on souvent trouver plusieurs mots pour dire exactement la même chose? 3. Pourquoi faut-il éviter d'employer souvent les mots chose, rien, cela, personne?

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VIII.

COMMENT ON FAIT FACILEMENT UNE BONNE NARRATION.

1. Pour faire une narration, il ne faut point se fatiguer la tête pour trouver ce qu'on doit dire, il ne faut pas non plus chercher à imiter toujours les phrases qu'on a lues ou bien qu'on a entendu dire par celui qui racontait; il vaut bien mieux raconter de soi-même, à sa façon, tout naturellement.

2. Pour raconter naturellement, voici comment on s'y prend. D'abord on pense bien attentivement à l'histoire qu'on doit raconter. Ensuite on réfléchit sur le caractère des personnages; on se demande a soi-même : Si je me trouvais à leur place, si j'étais dans cette situation, qu'est-ce que je ferais? qu'est-ce que je dirais? Enfin on examine s'il n'y a point quelque peinture à faire, quelques détails à donner pour faire mieux connaître les lieux dont on parle, comme on a vu un exemple dans le Chapitre III, No 5.

3. Si, par exemple, l'histoire qu'on raconte se passe dans un bois, il sera peut-être utile de faire une petite peinture de ce bois, de montrer ses grands arbres, ses longues allées, ses taillis épais, le calme, le silence qui y règnent.

4. Si au contraire on parle d'une vaste plaine, il sera peut-être utile de montrer les laboureurs qui travaillent, les voyageurs qui passent sur la route, les moissons qui couvrent les champs, pourvu que ce soit dans l'automne; car tout le monde comprend qu'il serait ridicule de parler des moissons qui sont sur les champs, si l'histoire qu'on raconte se passait en hiver; la narration alors ne serait plus vraisemblable.

CONCLUSION.

5. D'après tout ce qui a été dit dans ce petit traité, on voit qu'une narration, pour être bonne, doit être claire, rapide, vraisemblable et intéressante.

La narration est claire quand on la comprend facilement.

La narration est rapide quand elle ne renferme rien d'inutile.

La narration est vraisemblable quand tous les événements ont une cause, un motif, et qu'il n'y a rien qui se contredise.

La narration est intéressante quand ceux qui l'écoutent y prennent plaisir, quand ils croient voir de leurs propres yeux ce qu'on leur raconte.

QUESTIONS.

1. Quand on fait une narration qu'on a déjà entendu lire ou raconter, doit-on chercher à se souvenir des mots, des phrases qu'on a entendus? - 2. Comment fait-on pour raconter naturellement ? - 3 et 4. Montrez par deux exemples comment on peut donner des détails sur les lieux dont on parle dans la narration? 5. Quelles sont les quatre qualités que doit avoir une narration pour être bonne ?

FIN DES PREMIÈRES NOTIONS SUR LA MANIÈRE

D'ÉCRIRE UNE NARRATION.

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