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Je les sens répandus dans mes membres agiles.
A peine ai-je parlé qu'ils sont accourus tous
Invisibles sujets, quel chemin prenez-vous ?

Mais qui donne à mon sang cette ardeur salutaire ?
Sans mon ordre il nourrit ma chaleur nécessaire;
D'un mouvement égal il agite mon cœur :
Dans ce centre fécond il forme sa liqueur,
Il vient me réchauffer par sa rapide course :
Plus tranquille et plus froid il remonte à sa source,
Et toujours s'épuisant, se ranime toujours.
Les portes des canaux destinés à son cours
Ouvrent à son entrée une libre carrière,
Prêtes, s'il reculait, d'opposer leur barrière.
Ce sang pur s'est formé d'un grossier aliment;
Changement que doit suivre un nouveau changement;
Il s'épaissit en chair dans mes chairs qu'il arrose :
En ma propre substance il se métamorphose.
Est-ce moi qui préside au maintien de ces lois,
Et pour les établir ai-je donné ma voix?

Je les connais à peine. Une attentive adresse

ma respiration, ce qui est avantageux pour parler. Cependant, quand je dors, je respire sans le savoir et sans le vouloir; ce qui prouve que si notre âme a un empire sur notre corps, elle ne tient pas cet empire d'elle-même, mais d'une puissance plus grande que la sienne.

Je les sens répandus, etc. Les veines et les vaisseaux lymphatiques ont, d'espace en espace, des valvules qui font l'office d'une soupape dans une pompe; c'est-à-dire, qu'ils s'ouvrent d'un côté et se ferment de l'autre, pour ouvrir le passage à la liqueur et l'empêcher de retourner vers les parties d'où elle vient.

Est-ce moi qui préside, etc. De toutes les extravagances dont l'esprit humain est capable, celle des Epicuriens paraît la plus grande. Ils s'imaginaient que le hasard avait tout fait; que les parties de notre corps n'avaient point été destinées à quelque usage, mais que nous en avions fait usage, parce que nous les avions trouvées; que les premiers hommes naquirent de la terre échauffée par le soleil.

Je les connais, etc. L'anatomie, qui s'est beaucoup perfectionnée dans ces derniers temps, nous doit rappeler à Dieu autant que

Tous les jours m'en découvre et l'ordre et la sagesse.
De cet ordre secret reconnaissons l'auteur :
Fut-il jamais des lois sans un législateur?

Stupide Impiété, quand pourras-tu comprendre
Que l'œil est fait pour voir, l'oreille pour entendre ?
Ces oreilles, ces yeux, celui qui les a faits
Est-il aveugle et sourd? Que d'ouvrages parfaits,
Que de riches présents t'annoncent sa puissance!

VII.

OBJECTIONS DE L'IMPIE.

Où sont-ils ces objets de ma reconnaissance?
Est-ce un coteau riant? est-ce un riche vallon?
Hâtons-nous d'admirer: le cruel Aquilon
Va rassembler sur nous son terrible cortège,
Et la foudre et la pluie, et la grêle et la neige.
L'homme a perdu ses biens, la terre ses beautés,
Et plus loin qu'offre-t-elle à nos yeux attristés?
Des antres, des volcans, et des mers inutiles,
Des abimes sans fin, des montagnes stériles,
Des ronces, des rochers, des sables, des déserts;
Ici de ses poisons elle infecte les airs;

Là rugit le lion ou rampe la couleuvre.

De ce Dieu si puissant voilà donc le chef-d'œuvre!

VIII.

HARMONIE DE L'UNIVERS.

Et tu crois, o mortel, qu'à ton moindre soupçon,
Au pied du tribunal qu'érige ta raison,

Ton maître obéissant doit venir te répondre ?
Accusateur aveugle, un mot va te confondre.

l'astronomie. Fontenelle, après avoir parlé, dans ses Eloges, de la piété de Cassini, et de celle de Meri, ajoute cette judicieuse réflexion : L'astronomie et l'anatomie sont les deux sciences où sont le plus sensiblement marqués les caractères du souverain Etre. L'une annonce son immensité, l'autre son intelligence... On peut même croire que l'anatomie a quelque avantage. L'intelligence prouve encore plus que l'immensité.

Tu n'aperçois encor que le coin du tableau,
Le reste t'est caché sous un épais rideau,
Et tu prétends déjà juger de tout l'ouvrage !
A ton profit, ingrat, je vois une main sage
Qui ramène ces maux dont tu te plains toujours.
Notre art des poisons même emprunte du secours.
Mais pourquoi ces rochers, ces vents et ces orages
Daigne apprendre de moi leurs secrets avantages,
Et ne consulte plus tes yeux souvent trompeurs.
La mer, dont le soleil attire les vapeurs,
Par ces eaux qu'elle perd voit une mer nouvelle
Se former, s'élever, et s'étendre sur elle.

De nuages légers cet amas précieux,

Que dispersent au loin les vents officieux,
Tantôt féconde pluie, arrose nos campagnes,

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Tantôt retombe en neige et blanchit nos montagnes;
Sur ces rocs sourcilleux, de frimas couronnés,
Réservoirs des trésors qui nous sont destinés,
Les flots de l'Océan apportés goutte à goutte,
Réunissent leur force et s'ouvrent une route.
Jusqu'au fond de leur sein lentement répandus,
Dans leurs veines errants, à leurs pieds descendus,
On les en voit enfin sortir à pas timides,
D'abord faibles ruisseaux, bientôt fleuves rapides.
Des racines des monts qu'Annibal sut franchir,
Indolent Ferrarais, le Pô va t'enrichir.
Impétueux enfants de cette longue chaine,

Le Rhône suit vers nous le penchant qui l'entraine;
Et son frère emporté par un contraire choix,
Sorti du même sein, va chercher d'autres lois.
Mais enfin terminant leurs courses vagabondes,
Leur antique séjour redemande leurs ondes;
Ils les rendent aux mers, le soleil les reprend ;

Sur les monts, dans les champs, l'aquilon nous les rend.

Notre art des poisons, etc. On fait des remèdes avec la vipère, la cigué, etc.

Et son frère emporté, etc. Le Pô, le Rhône et le Rhin ont leurs sources dans les Alpes : les deux derniers sortent de la même montagne.

Telle est de l'univers la constante harmonie,
De son empire heureux la discorde est bannie:
Tout conspire pour nous, les montagnes, les mers,
L'astre brillant du jour, les fiers tyrans des airs.
Puisse le même accord régner parmi les hommes

IX.

TOUS LES PEUPLES ONT RECONNU L'EXISTENCE DE LA DIVINITÉ.

Reconnaissons du moins celui par qui nous sommes,
Celui qui fait tout vivre, et qui fait tout mouvoir :
S'il donne l'être à tout, l'a-t-il pu recevoir?
Il précède les temps; qui dira sa naissance?
Par lui l'homme, le ciel, la terre, tout commence,
Et lui seul infini n'a jamais commencé.

Quelle main, quel pinceau dans mon âme a tracé
D'un objet infini l'image incomparable?

Ce n'est point à mes sens que j'en suis redevable.
Mes yeux n'ont jamais vu que des objets bornės,
Impuissants, malheureux, à la mort destinés.
Moi-même je me place en ce rang déplorable.
Et ne puis me cacher mon malheur véritable;
Mais d'un être infini je me suis souvenu
Dès le premier instant que je me suis connu.
D'un maître souverain redoutant la puissance,
J'ai, malgré ma fierté, senti ma dépendance.
Qu'il est dur d'obéir et de s'humilier!
Notre orgueil cependant est contraint de plier.
Devant l'Etre éternel tous les peuples s'abaissent,

D'un objet infini, etc. Locke prétend que nous formons l'idée de l'infini par la puissance que nous avons d'ajouter toujours à l'idée du fini. Descartes, et avant lui Platon et Cicéron, ont cru que l'idée de l'infini était innée en nous. En effet, pourquoi trouvons-nous finis les objets que nous voyons? Le fini suppose l'infini, comme le moins suppose le plus : ainsi nous ne nous trouvons finis qu'à cause de l'idée de l'infini qui est en nous.

Devant l'Etre éternel, etc. On n'a jamais trouvé aucune nation, même dans le monde nouveau, qui n'eût un culte établi en l'honneur de quelque divinité; et ce consentement de toutes les nations doit être regardé, suivant Cicéron, comme la loi de la nature.

Toutes les nations en tremblant le confessent.
Quelle force invisible a soumis l'univers !
L'homme a-t-il mis sa gloire à se forger des fers ?
Oui, je trouve partout des respects unanimes,
Des temples, des autels, des prêtres, des victimes.
Le Ciel reçut toujours nos vœux et notre encens.
Nous pouvons, je l'avoue, esclaves de nos sens,
De la Divinité défigurer l'image:

A des dieux mugissants l'Egypte rend hommage,
Mais dans ce boeuf impur qu'elle daigne honorer,
C'est un dieu cependant qu'elle croit adorer.
L'esprit humain s'égare, et follement crédules,
Les peuples se sont fait des maîtres ridicules:
Ces maltres toutefois par l'erreur encensés
Jamais impunément ne furent offensés :
On détesta Mézence, ainsi que Salmonée;
Et l'horreur suit encor le nom de Capanée.
Un impie en tout temps fut un monstre odieux,
Et quand, pour me guérir de la crainte des dieux,
Epicure en secret médite son système,

Aux pieds de Jupiter je l'aperçois lui-même.

Surpris de son aveu, je l'entends en effet

Reconnaître un pouvoir dont l'homme est le jouet,
Un ennemi caché qui réduit en poussière

De toutes nos grandeur la pompe la plus fière.
Peuples, rois, vous mourrez, et vous, villes, aussi.
Là git Lacédémone, Athènes fut ici.

Quels cadavres épars dans la Grèce déserte!

Oui, je trouve partout, etc. C'est ce que dit Plutarque contre Colotes : Vous trouverez des villes sans murs, sans rois, sans théâtres; mais vous n'en trouverez jamais sans dieux, sans sacri fices, pour obtenir des biens et écarter des maux.

On détesta Mézence, etc. Mézence, qui méprisait les dieux, est représenté par Virgile comme un tyran hai de tout le monde. Salmonée et Capanée furent, suivant les poètes, foudroyés à cause de leur impiété. Protagoras et Prodicus furent mis à mort pour avoir mal parlé des dieux; on se servit du même prétexte pour faire mourir Socrate.

Quels cadavres épars, etc. Image tirée de ces belles paroles de la

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