Vit Favori sur la terre gisant;
Il respirait; le meunier le soulage, Clopin clopant le mène à son village, Prend soin de lui, le panse, le nourrit, Pour abréger, en un mot, le guérit. Mais prétendant se payer de sa peine, Il veut user de son convalescent; Chargé de sacs, sous le poids gémissant, Dix fois le jour il le mène et ramène Dans les marchés, au village, au moulin, 'Le suit de près un bâton à la main ; Et ce bâton, fait d'une double épine, De Favori vient chatouiller l'échine,
Pour peu qu'il bronche ou s'amuse en chemin.
Ce fut alors qu'il regretta Sanchette! Mais sa frayeur rend sa douleur muette! Brisé de coups, il n'ose pas gémir; L'excès des maux l'abrutit et l'accable. Et, se croyant pour toujours misérable, Il ne demande au ciel que de mourir.
Notre coursier, dégoûté de la vie, Vivait toujours, sans trop savoir pourquoi, Quand un matin, un écuyer du roi, Qui parcourait toute l'Andalousie, Vit Favori, de plusieurs sacs chargé, Par le bâton au moulin dirigé, Et conservant sous ce triste équipage Ce regard noble et cet air de grandeur D'un roi vaincu cédant à son malheur, Ou d'un héros réduit en esclavage. Bon connaisseur était cet écuyer. De Favori s'approchant davantage, Il l'examine, et demande au meunier Combien il veut de ce jeune coursier. L'accord se fait; aussitôt il délivre De son fardeau notre bel animal :
Son nouveau maître à l'instant s'en fait suivre Et le conduit vers le palais royal.
Oh! pour le coup, se disait à lui-même Notre héros, la fortune est pour moi;
Plus de chagrins, je suis cheval du Roi: Cheval du Roi! c'est le bonheur suprême! Je n'aurai plus qu'à manger et dormir : De temps en temps à la chasse courir, Sans me lasser, et, gras comme un chanoine, A mon retour choisir l'orge ou l'avoine, Que mes valets viendront vanner, je croi, Avec grand soin pour le cheval du Roi.
Ainsi parlant, il entre à l'écurie. Tout lui promet le bonheur qu'il attend; De peur du froid, sur son corps on étend Un drap marqué des armes d'Ibérie; On le caresse, et sa crèche est remplie D'orge et de son; il est pansé, lavé, Deux fois le jour; le soir sur le pavé, Litière fraîche; et cette douce vie Lui rend bientôt son éclat, sa beauté, Son poil luisant, sa croupe rebondie, Et son œil vif, et même sa gaité.
Il fut heureux pendant une quinzaine, Il possédait tous les biens à souhait; Mais un seul point lui faisait de la peine: C'est que jamais le Roi ne le montait. Nul écuyer n'aurait eu cette audace; Et leur respect pour monsieur Favori Fait qu'avec soin, il est choyé, nourri, Mais que toujours il reste en même place.
Tant de respect lui devint ennuyeux. Ce long repos, à la santé contraire,
Le rend malade, et triste, et soucieux, de temps change son caractère : Ce qu'il aimait lui devient odieux; Plus d'appétit, rien qui puisse lui plaire; Un froid dégoût s'empare de son cœur: Plus de désirs, partant plus de bonheur. Ah! disait-il, que tout ceci m'éclaire! Gloire, grandeur, vous qui m'avez séduit, Vous n'êtes rien qu'une erreur mensongère, Un feu follet qui brille et qui s'enfuit: Si le bonheur habite sur la terre,
Il vous évite autant que la misère; Il va cherchant la médiocrité,
C'est là qu'il loge; et sa sœur et son frère Sont le travail et la douce gaîté.
Ils sont chez vous, o ma bonne Sanchette; Plus que jamais, Favori vous regrette.
Notre cheval ainsi philosophant Est fort surpris de voir qu'on lui prépare Selle et bridon du travail le plus rare : Le fils du Roi, le jeune et noble infant, Ce même jour doit faire son entrée; Et Favori, qui sera son coursier, Porte harnais digne du cavalier. D'or et d'azur sa housse est diaprée, De beaux saphirs sa bride est entourée, Et d'argent pur est fait chaque étrier. Notre héros, dans ce bel équipage, De tant d'honneur n'a pas l'esprit tourné: Il commençait à devenir plus sage. L'infant sur lui doucement promenė, Suivi des siens, entouré de la foule, Vers son palais à grand'peine s'écoule, Quand Favori qui ne songeait à rien, Voit une femme, et tout à coup s'arrête, Dresse l'oreille en relevant la tête, Et reconnalt... vous le devinez bien...
Qui donc ?... Sanchette!... 6 moment plein de Il court vers elle, il hennit de plaisir;
De ses deux yeux tombent de grosses larmes, Larmes d'amour et de vrai repentir.
Tout comme lui la sensible Sanchette
Pleure de joie; et notre jeune infant, Surpris, touché, veut qu'au même moment
De Favori l'histoire lui soit faite. Sanchette alors raconte en peu de mots Que Favori fut élevé chez elle; Puis elle dit, non sans quelques sanglots, Quand et comment il devint infidèle.
De ce récit le prince est attendri:
Tenez, dit-il, je vous rends Favori.
Il dit, descend, et ne veut rien entendre. Sanchette alors monta, sans plus attendre, Sur Favori, qui, content désormais, Gagna la ferme, et n'en sortit jamais.
LE TRÉSOR ET LES TROIS HOMMES.
Trois hommes (c'est bien peu pour en trouver un bon) D'un trésor en commun firent la découverte.
En profitèrent-ils? L'histoire dit que non;
Ils ne sont pas les seuls dont l'or ait fait la perte. A quoi sert un trésor sans Bacchus et Cérès? Ces hommes eurent faim; à la ville prochaine L'un des trois du repas va chercher les apprêts. Pour ces gens-ci, dit-il, la mort serait certaine Si je voulais... Alors les dieux savent combien De l'un et l'autre lot j'augmenterais le mien; Et je laisse échapper une pareille aubaine! On peut juger qu'il n'en fit rien.
Quiconque pense au crime est près de s'y résoudre; Sur un plat du festin il mit certaine poudre Qui devait envoyer nos trouveurs de trésors Finir leur banquet chez les morts. Pendant qu'en son esprit il supputait la somme, Le couple de là-bas lui brassait même tour, Et le même destin l'attendait au retour.
Il vient, on l'embrasse, on l'assomme; L'endroit qui cachait l'or tient le forfait caché. En place on enterre notre homme;
On divisa sa part avant d'avoir touché
Aux mets apportés par le traitre :
Mais l'effet du poison ne tarda pas beaucoup;
La mort fit cette fois trois conquêtes d'un coup, Et le trésor resta sans maître.
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